Le chef de l'Etat a annoncé ce jeudi des moyens pour la recherche et la prévention des cancers, qui restent la première cause de mortalité chez l’homme et la deuxième chez la femme en France. France 3 a interrogé le professeur Patrice Viens, directeur de l'Institut Paoli-Calmettes à Marseille.
En cette journée mondiale de lutte contre le cancer, Emmanuel Macron a annoncé une hausse de 20% des moyens déployés contre le cancer. Le chef de l'Etat a promis davantage de dépistage, soulignant que 40% des cancers sont évitables, et s'engage à augmenter le budget alloué à la recherche.
De son côté, l'OMS souligne les effets désastreux de la crise du Covid-19 sur la prise en charge précoce de la maladie. France 3 a interrogé le professeur Patrice Viens, directeur général l'Institut Paoli-Calmettes, le centre de lutte contre le cancer de Marseille qui a pris en charge 45.640 patients en 2019.
France3 : On en est à plus de 30 ans de recherche sur le cancer, où en est-on ?
Professeur Viens : En cancérologie, le gros progrès thérapeutique de ces deux-trois dernières années, c'est l'immunothérapie, qu'elle soit médicamenteuse et cellulaire, qui stimule le système immunitaire pour détruire le cancer.
L'autre gros progrès, ce sont les thérapies ciblées continuent à progresser, le concept date d'au moins une bonne dizaine d'années. On découvre une anomalie biologique dans la tumeur, on fabrique un médicament contre cette cible et ce médicament va détruire directement la tumeur. Et on découvre toujours de nouvelles cibles, et donc de nouveaux médicaments qui vont aller attaquer ces nouvelles cibles.
Le troisème progrès depuis deux-trois ans aussi, c'est l'amélioration spectaculaire des radiothérapies avec des techniques, qui permettent d'avoir une efficacité plus importante et une toxicité beaucoup moins importante.
Ce qui 'il faut comprendre dans la recherche, c'est qu'il y a parfois des grands progrès qui paraissent très rapides mais qui sont issus d'années et d'années de travaux de recherche fondamentale.
On a tendance à croire que la recherche se fait sur commande pour être utilisée rapidement. Et le succès du vaccin du Coronavirus va malheureusement amplifier cela. Mais si on prend l'ARN messager, c'est une découverte qui a été faite en 2005, il y a 15 ans, et ça n'avait eu que très peu d'application, voire pas du tout.... jusqu'au vaccin anti-Covid mis au point en un an.
La crise du Covid a-t-elle eu un impact négatif sur la recherche ?
Le premier élément, c'est le retard que l'on a pris en raison des mesures sociales qui ont été prises. Des laboratoires se sont vidés de leurs étudiants et de leurs thésards, cela a fait prendre du retard à certains programmes.
L'autre aspect, c'est que dans les 2-3 ans qui viennent, il va falloir faire avec une diminution des fonds pour la recherche. Les associations telles que la Ligue contre le Cancer, qui est le premier financeur privé de la recherche, ou l'Arc, ont eu des difficultés pour collecter des fonds parce qu'on collecte à travers des manifestations et tout un tas de choses qui n'ont pas pu être faites.
La crise du Covid a-t-elle aggravé la mortalité par cancer ?
C'est un vrai effet qui malheureusement perdure. On a beaucoup moins dépisté les cancers, en particulier les cancers du colon et les cancers du sein, parce qu'il y a eu des fermetures de cabinet en ville et des arrêts d'activité au mois de mars-avril. On a eu une très grosse baisse globale dans la prise en charge des patients ayant des cancers pour lesquels il y a un dépistage organisé efficace.
Fin août, on avait toujours pas récupéré cette baisse. Les chiffres ont déjà montré qu'on a opéré des cancers plus évolués en 2020 qu'en 2019. Et on a aussi moins opéré en 2020 qu'en 2019, ce sont donc des patients qu'on va opérer à un stade plus avancé.
Les chiffres estimés sur la base du retard de diagnostic et les chances de survie en moins sont assez inquiétants. On commencera à avoir des vrais chiffres dans deux ans.
Quelle est, selon vous, la priorité aujourd'hui ?
Les priorités annoncées dans la stratégie décennale sont les bonnes : éviter les cancers évitables. Ça paraît banal de dire ça, mais la meilleure façon de guérir d'un cancer, c'est de ne pas l'avoir.
Si on prend l'exemple du vaccin contre le papillomavirus contre le cancer du col de l'utérus, il est autorisé, il est remboursé mais il n'est pas utilisé. On a un des plus faibles taux de vaccination en Europe. C'est culturel, il y a un frein sociétal. Il y a toute une recherche à faire sur l'acceptabilité sociétale des mesures de prévention.
Je pense qu'on n'est pas bons dans les messages, quel qu'ils soient, dans les campagnes de prévention. On est à côté de la plaque. Des études montrent que parfois les messages que l'on donne dans le cadre de la prévention ont quasiment l'effet contraire. Il faut travailler sur le contenu et la qualité du message qui permettent aux gens d'accepter le message.
La deuxième priorité, c'est la recherche sur les cancers à très mauvais pronostics (les cancers du sein triple négatif, certains cancers du pancréas, certaines leucémies qui ont des survies à cinq ans très très faibles.