Dans un sondage OpinionWay commandé par la Ligue contre le cancer, 70 % des Français trouvent "acceptable" de faire goûter de l'alcool à des mineurs à l'occasion des fêtes. Des spécialistes donnent leur avis sur la banalisation de la consommation d'alcool dans le cercle familial.
Pendant les fêtes, la tentation peut être grande de faire trinquer ses enfants, petits ou grands, au champagne, dans un joli verre à pied du service en cristal, sous les guirlandes clignotantes de Noël ou dans l'euphorie des douze coups de minuit. Un sondage OpinionWay pour la Ligue contre le cancer révèle que 70 % des Français trouvent "acceptable" de faire goûter de l'alcool à des mineurs. Par ailleurs, 42 % des parents affirment que si leur enfant de moins de 18 ans boit de l'alcool pendant les fêtes, ce n'est pas grave.
Pourtant, de nombreux spécialistes déconseillent aux parents de se laisser aller à ce laxisme, considéré comme une dangereuse banalisation de la consommation d'alcool.
Une banalisation dans le cercle familial
Pour Yana Dimitrova, de La ligue contre le cancer, à l'origine de cette enquête, un autre chiffre avait mis la puce à l'oreille de l'association. "Selon, l'OFDT, 30% des jeunes de 17 ans consomment de l'alcool en présence de leurs parents, nous avons voulu aller voir plus loin au travers du sondage". Un sondage aux résultats "surprenants", confie cette chargée de prévention qui rappelle que l'alcool est le deuxième facteur de risque évitable de cancer et donc un axe fort de sensibilisation dans le combat contre la maladie.
L'enquête fait également bondir le docteur Pierre Cano, de l’association Additions France : "L'alcool est la deuxième drogue légale après le tabac dans notre pays et il tue encore 45 000 à 50 000 personnes chaque année". En encourageant la consommation d'alcool chez leurs enfants, les parents prennent, selon le médecin, "une grande responsabilité". Et d'ajouter, volontairement provocateur : "Qui aurait idée de faire découvrir le cannabis à son enfant en lui faisant fumer son premier pétard ? "
L’alcool, élément culturel fort
Selon l'addictologue Michaël Bazin, "nous sommes dans une société très permissive où la culture de l'alcool est encore très présente, au travers de croyances, de traditions, d'arguments tels que "ça renforce le système immunitaire", ou "cela fera de toi un homme" et pourtant plus l'exposition de l'enfant à l'alcool est précoce plus le risque de complications, addictives ou non, est fort". Selon ce sondage, le cidre, considéré comme plus léger, peut-être consommé à partir de 15 ans et presque un Français sur deux considère que 17 ans est un âge raisonnable pour goûter à des alcools forts tels que le rhum, le whisky ou la vodka.
Voilà qui constitue à n'en pas douter une porte ouverte vers le "binge drinking, la défonce en un minimum de temps", selon la pédopsychiatre Violaine Gubler, qui voit passer aux urgences des jeunes en état de coma éthylique. Les graines peuvent tout à fait être semées lors d'un événement festif en famille, alerte la spécialiste.
Les ados ne sont pas des mini-adultes, il ne faut pas oublier que leur cerveau n'a pas fini de grandir et qu'ils sont très vulnérables.
Violaine Gubler, pédopsychiatreà France 3 Provence-Alpes
Violaine Gubler rappelle qu'à l'âge des expérimentations, les adolescents recherchent la sensation d'ébriété, le frisson et leurs propres limites et cela ne doit être ni accompagné, ni cautionné par les parents. "On doit aider l'enfant à bien grandir et je parle de sécurité morale, physique et psychique, c'est d'ailleurs un devoir parental inscrit dans le Code de la famille".
"Il faut retarder au maximum la première rencontre avec l'alcool"
À la question, "y a-t-il un âge auquel les parents peuvent s'autoriser à partager un verre avec leurs enfants" Michaël Bazin répond qu'"il faut retarder au maximum la première rencontre avec l'alcool, car on ne sait pas ce que cela va donner plus tard."
L'addictologue rappelle que les facteurs qui favorisent l'alcoolisme peuvent être psychiques, psychiatriques ou génétiques, mais qu’il est difficile de prédire la réaction d’un individu avant la consommation du premier verre. "La réponse neurobiologique est qu'il faut donc attendre au moins 20 ans pour être certain que le cerveau a terminé sa construction, mais ce n'est évidemment pas la bonne réponse dans la vraie vie...", pointe-t-il.
L'addiction ne se fabrique pas sur l'instant, mais dans le temps, dans une chaine d'événements chimiques et psychologiques dont on ne sait rien chez chacun d'entre nous.
Michaël Bazin, addictologueà France 3 Provence-Alpes
L'addictologue qui refuse de tenir un discours moralisateur et radical, indique que le conseil à donner aux parents est d'accompagner le verre d’un message de modération, rappelant que la répétition de la consommation d'alcool représente un danger pour la santé.
Le défi de janvier
Selon Pierre Cano, on trouve en France "une ambivalence, une contradiction des messages entre l'interdiction de vente d'alcool aux mineurs, qui n'est pas d'ailleurs pas respectée, et le fait d'encourager sa consommation dans le cercle familial." Pour le représentant d'Addictions France, le contrôle de l'accès au produit reste "un chantier phénoménal", quatorze ans après l'entrée en vigueur de la loi Bachelot.
Un avis partagé par Yana Dimitrova. Elle confie par ailleurs, qu'au travers de ce sondage, La ligue contre le cancer voulait devancer le défi de janvier, plus connu sous l'appellation de Dry January, tandis que cette année, 53 addictologues appellent le gouvernement à soutenir le mois sans alcool.
"Cette banalisation instrumentalisée par les lobbies montre à quel point l’alcool a infiltré le milieu familial, sanctuarisé pendant les fêtes, on fait goûter de l'alcool aux plus jeunes... il est temps pour le gouvernement d'agir avec un plan de lutte national", conclut Yana Dimitrova, qui réclame "un discours plus clair de la part de l'Etat à destination du grand public".