"La misère attire les curieux" : sur TikTok, des prisonniers filment leur quotidien en direct

Ils sont surtout connus sur TikTok mais aussi parfois sur Instagram, Snapchat et YouTube. Ils, ce sont des prisonniers, qui passent le temps en se filmant, souvent en direct. L'un d'entre eux explique pourquoi. Et un surveillant résume la situation : "la prison est devenue une colonie de vacances".

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"Pourquoi t'es en prison ?" Les questions s'enchaînent sur le direct TikTok d'un détenu d'une prison de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur en cette fin de journée du mois de juin. Près de 2 000 personnes suivent ce "live"  où l'on voit la fenêtre de la cellule du détenu, donnant sur la cour de promenade. "Pourquoi tu veux savoir ? Vous êtes trop curieux", répond le prisonnier. Pendant une heure, des questions reviennent en boucle. Dans quelle prison est-il ? Pour combien de temps ? A-t-il le droit d'avoir un téléphone, mais surtout : quelles sont les origines de ses codétenus. "Bien sûr qu'il y a des Français ! Il y a toutes les origines", répond celui qui ne montre pas son visage. 

L'utilisation clandestine du téléphone portable en prison n'est pas nouvelle. En 2017, un clip de rap avait même été entièrement tourné au smartphone, à l'intérieur de la prison de Luynes, à l'insu du personnel de surveillance.

En 2023, les réseaux sociaux et leurs formats "live" favorisent carrément un dialogue direct entre détenus et curieux.

"La misère attire les curieux"

En messages privés, ce détenu affirme à France 3 Provence-Alpes qu'il fait des lives depuis un mois "surtout pour rigoler". Puis, il concède : "C'est réconfortant. J'essaie d'apprendre à connaître mes abonnés au maximum. Ils me donnent de la force". Pour lui, si les comptes de TikTokeurs prisonniers fonctionnent, c'est parce que "la misère attire les curieux". Et puis, "je suis la vie, la vraie, je ne mens pas", écrit celui qui comptabilise près de 8 500 abonnés. 

Comme lui, d'autres détenus se sont rendus célèbres sur les réseaux. "Un Tiktolard" (441 000 abonnés), "La taule ou le pactole" (1 800 abonnés) ou encore "Le cuistolard" (34 000 abonnés). Ce dernier élabore des recettes de cuisine depuis sa cellule. 

Comment ces "influenceurs" parviennent-ils aussi facilement à filmer leur quotidien alors que les téléphones portables sont interdits en prison ?

"C'est devenu une colonie de vacances"

Cyril Huet Lambing est secrétaire national adjoint du syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS). Le surveillant assure que 90% des détenus ont un portable en prison. Pour lui, il y a de plus en plus de prisonniers connus sur les réseaux sociaux, parce qu'il y a de moins en moins de personnel. Et "cela arrange l'administration"., glisse-t-il.

"On achète la paix sociale, on laisse tout rentrer dans les prisons. Sauf que ça fait l’inverse : il y a de plus en plus d’agressions, c’est très conflictuel."

Cyril Huet Lambing

à France 3 Provence-Alpes

"On nous demande même de ne pas être trop regardants avec la famille", souffle-t-il. Dans son cas précis, il assure que le personnel de surveillance de la prison d'Aix-Luynes est "dépassé, dépourvu par cette situation. Aucun soutien de la part du chef des détentions, au contraire". 

Et de résumer : "La prison, c'est devenu une véritable colonie de vacances ! Et c'est géré comme tel." Pour lui, la direction ne fait rien pour que les détenus restent "tranquilles". "Ils pensent que s'ils font ce qu'ils veulent, ils se tiennent à carreau", donc il n'y a pas besoin d'embaucher plus de surveillants.

Brouilleurs de réseau téléphonique

La responsable communication de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille évoque trois solutions pour lutter "contre les communications téléphoniques illicites par les détenus" :  

  • Lutter contre la poursuite d’activités criminelles depuis la détention,
  • Améliorer la sécurité des agents (violences, diffusion d’images sur les réseaux sociaux, etc.).
  • Mettre fin aux passages à l’acte violent dû au trafic et racket de téléphones portables entre détenus

Plus précisément, elle assure déployer un système de brouillage des communications "qui détecte et / ou neutralise par brouillage les communications téléphoniques utilisant les réseaux 2G/3G/4G, Wifi, Bluetooth, téléphone satellite, sur l’ensemble des zones d’hébergement et de circulation des détenus d’un établissement".

Ce dispositif de brouillage, rejeté par les détenus, engendre des tensions : à Rennes, en septembre 2021, ou encore à Marseille et Seysses, où des équipes d'intervention ont été mobilisées à la suite de la mise en place de ces dispositifs. Ces brouilleurs entrainent aussi des perturbations chez les riverains comme ça a été le cas début mars près de la prison des Baumettes.

Néanmoins, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille, fait état de premières remontées qui "démontrent les effets positifs du déploiement du brouillage : sa mise en service a fait croître significativement les chiffres de la téléphonie fixe encadrée". Alors, au niveau de la direction de Marseille, "il y a une progressivité d’installation des équipements dans les établissements de la région. Ces installations représentent un fort investissement du Ministère de la Justice dans le but aussi de protéger nos personnels".

"500 euros pour qu'un surveillant fasse entrer un portable"

Le TikTokeur détenu devenu célèbre en Paca, explique le système : "j'achète mon téléphone à un détenu 1 000 euros, qui lui-même le fait rentrer dans la prison par un surveillant. Ce surveillant prend 500 euros pour ça. Il prend 300 euros pour faire rentrer 100 grammes de shit". 

La direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille indique que lors des saisies de portables dans les cellules, "les personnes détenues font systématiquement l’objet de sanctions disciplinaires". Pas de quoi décourager certains détenus pour autant.

"Je me suis fait attraper plein de fois. J'ai fait du cachot. Mais ça ne change rien. J'en rachète un à chaque fois."

Un TikTokeur détenu en Paca

à France 3 Paca

"Même le président est corrompu, tout le monde est corrompu quand on parle d'argent", s'exclame-t-il lors de l'un de ses directs sur TikTok, répondant à internaute surpris qu'il soit aussi facile d'avoir un portable en prison. 

Un spectateur écrit : "C'est une garderie la prison". Las, il rétorque : "Une garderie ? Ouais ouais... J'aurais bien aimé que ce soit une garderie !" Et d'ajouter, un peu plus tard, en réponse à une remarque sous-entendant que certains sont mieux en prison que chez eux : "moi, je préférerais être avec ma famille".

"Des détenus continuent de harceler leur ex-femme"

Pour Cyril Huet Lambing, très peu de surveillants sont corrompus. "C'est exceptionnel. Certains cèdent à l'appât du gain parce que nos salaires ne sont pas attractifs. Mais c'est très rare", assure celui pour qui le téléphone portable est un fléau.

"Ils peuvent maintenir des affaires de drogues depuis la prison, prévoir une évasion... Et, puis certains, entrés pour violences conjugales, continuent de harceler leurs ex-femmes".

"Il faudrait mettre des moyens. Parce que TikTok n'est pas de la réinsertion. On devrait travailler sur ça : leur trouver un travail."

Cyril Huet Lambing

à France 3 Provence-Alpes

Le surveillant syndiqué rapporte que le portable est banalisé et que les punitions sont minimes. "Ils devraient être sévèrement réprimandés parce qu'ils nous font passer, nous et l'administration pour des bourricots. Ils font croire que la prison, c'est génial. On ouvre les portes à la voyoucratie. La prison ne fait plus peur", s'inquiète-t-il.

Trois discours, trois voix qui se sont confiées séparément à France 3 Provence-Alpes alors qu'elles viennent toutes du même endroit : un centre pénitentiaire.

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