C'est une leçon que Francis Moreau n'est pas prêt d'oublier. A 59 ans, ce professeur des écoles à Carry-le-Rouet, près de Marseille, a passé fin mars 17 heures à la dérive sur sa planche à voile, faute de vent, les pieds dans une eau à 13 degrés à cet époque de l'année en Méditerranée.
"A un moment, j'ai pensé me noyer pour en finir". Quand Francis Moreau raconte son histoire, on devine que cette nuit de mars a été longue, très longue.
Pourtant ce véliplanchiste aguerri de 59 ans a l'habitude de prendre la mer avec sa planche à voile. Ce jour-là, une fois encore, la météo est belle, la mer calme et un vent de Nord-Ouest souffle modérément. Des questions parfaites pour enchaîner les allers retours. Jusqu'à ce que le vent tombe.
A moins de 300 mètres de la côte, Francis Moreau se retrouve coincé. Le courant ne joue pas en sa faveur et "assez vite", le véliplanchiste dérive vers le large. Francis comprend vite la situation et tente plusieurs "water start", a palmer pour sortir de l'eau, un pied sur sa planche.
Peine perdue. Une crampe au mollet signe la fin de la partie. Et malgré des grands signes à des bateaux au loin, il se résigne à attendre, assis sur son flotteur, les jambes dans une eau à 13 degrés.
Pas de téléphone, pas de miroir ou de fusée éclairante
Francis Moreau se rend compte de son erreur. Naviguer seul à cette époque de l'année oblige plus que jamais à respecter quelques règles de prudence.
Bien sûr qu'une lampe "flash" pour la nuit et un petit miroir pour être vu de jour l'aurait vite sortie de sa galère. Mais ces équipements ne sont pas obligatoire. Et Francis n'a pas plus emmené son téléphone dans une poche étanche. Pour la leçon, il faudra repasser, car là l'urgence est de s'en sortir.
A 19h, couvre-feu oblige, la mer se vide totalement. Son espoir repose désormais sur ses proches, forcément inquiets de ne pas le voir. "Je me suis dit que ma femme allait commencer à s'inquiéter".
Et ses proches donnent effectivement l'alerte au Cross Med, le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage de Méditerranée.
Six bateaux des pompiers et d'associations de sauvetage, un hélicoptère de la sécurité civile sont déjà à la recherche du naufragé quand un deuxième hélicoptère, de la Marine nationale cette fois, rejoint les secours vers 20h30.
"Quand on décolle, on se dit qu'avec les températures fraîches et la nuit qui tombe, il faut aller vite", explique le capitaine de frégate et pilote Thomas Ancelin.
"Une aiguille dans une botte de foin"
Mais rechercher à la tombée de la nuit, un homme sur un flotteur plus petit qu'un kayak et dont la voile est dans l'eau, à peine plus visible, c'est comme chercher "une aiguille dans une botte de foin", regrette le militaire.
Malgré "une belle lune avec beaucoup de visibilité", personne ne repère Francis Moreau. Les heures passent. "S'il avait eu ne serait-ce qu'une lampe, on le localisait très vite", regrette Thomas Ancelin.
Pour Francis Moreau, le moral en prend un sacré coup. Le naufragé aperçoit bien un hélicoptère et les lumières du bateau de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), mais eux ne le voient pas. Vers 3h du matin, toutes les lumières disparaissent. Le dispositif de recherche est levé pour la nuit.
Malgré sa combinaison, ses chaussons et son bonnet en néoprène, Francis Moreau est "gelé".
Il s'allonge sur sa planche. Il a abandonné son gréement et tente désormais de rejoindre la côte à la nage, face à la houle.
Il m'est passé à l'esprit de me noyer pour en finir.
"J'ai chaviré plusieurs fois, le moral en a pris un coup". Avec l'énergie du désespoir, Francis Moreau remonte une fois encore, et encore. En ligne de mire, l'éclat du phare du Planier, au large de Marseille guide son instinct de survie. Il l'aperçoit "sans avoir la moindre idée de la distance".
Ses mains sont écorchées par la planche, son menton râpé: "A un moment, il m'est passé à l'esprit de me noyer pour en finir". Mais ce sportif endurant calcule qu'il ne lui reste "que cinq heures à tenir avant le jour". Inspirer, expirer..., profondément, doucement, Francis Moreau se calme avec des respirations longues.
Quand le jour se lève enfin, un Falcon de la Marine nationale reprend les recherches. Mais le salut viendra de la mer. Des pêcheurs l'aperçoivent enfin. Francis Moreau est sauvé.
Aujourd'hui, le professeur des écoles déplore que "dans la culture planche à voile, la sécurité ne soit pas prise en compte". Mais le véliplanchiste à compris la leçon. Depuis son accident, il s'est équipé d'une balise de secours. Un petit boitier aussi petit qu'un étui à lunette.
Pour s'éviter un bain de pied prolongé et garder la vie sauve.