"J'ai été torturée, enfermée, ligotée, frappée" : témoignage à Marseille de violences conjugales

101 femmes, au moins, sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex, depuis le début de l'année 2019. Lundi 2 septembre, une centaine de femmes, et quelques hommes, s'est rassemblée devant le palais de justice de Marseille. Témoignage de Marie, qui a échappé à la mort.

Lundi soir, Marie était présente sur le parvis du palais de justice à Marseille. Un rassemblement était organisé, pour dire "stop" aux violences conjugales et pour rendre hommage à la 100e femme, victime des coups de son conjoint.

Samedi 31 août, à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), la police a découvert le corps d'une jeune femme de 21 ans, sous un amas d'ordures. Elle serait morte après une violente dispute avec son compagnon.

Lundi, ce chiffre est monté à 101, avec le décès d'une femme de 92 ans dans le Tarn. Son mari de 94 ans est soupçonné de l'avoir rouée de coups de canne. 101 femmes mortes sous les coups de leur conjoint, ou ex-conjoint, depuis le début de l'année... 101 féminicides, soit un toutes les 72 heures.

Marie a échappé à la mort

"Il s'est mis à me frapper de plus en plus violemment. A chaque fois que j'allais au commissariat, on se moquait de moi", raconte Marie, qui souhaite rester anonyme (nous avons changé le prénom).

Marie a aujourd'hui 60 ans, elle veut témoigner du calvaire qu'elle a vécu, alors qu'elle n'avait que 20 ans.

Marie n'avait jamais parlé de son enfer jusqu'à aujourd'hui. Face à "l'incompréhension" de la police et à "l'inertie" de la justice, elle veut désormais témoigner.

"J'étais jeune à l'époque, ça a commencé petit-à-petit. Il s'est mis à me frapper, en état d'ébriété, puis c'était de plus en plus violent", raconte-t-elle.

Très vite, elle s'est plainte au commissariat, en vain :"On se moquait de moi". Pire, quand elle avait des traces de coups, on lui répondait : "Mais vous êtes sûr, vraiment, il a fait ça".

Torturée, enfermée, ligotée, violée

Par la suite, il y a eu une escalade de violence, explique Marie : "J'ai été torturée, enfermée, ligotée, frappée avec des instruments et menacée de mort. J'ai été violée, mais à l'époque, on considérait qu'il n'y avait pas de viols conjugaux."

Pendant cette période, personne ne réagi, ni la police, ni la famille et lorsque Marie annonce à son compagnon qu'elle va le quitter, un pas est franchi : "Je me suis retrouvé avec un fusil à canon scié sur le ventre. Mon fils de 4 ans, qui était caché, s'est agrippé à son père et lui a dit qu'il voulait sortir".

Le père est sorti avec son fils et Marie en a profité pour courir au commissariat : "La police est finalement intervenue parce qu'il était armé".

Pourquoi tant de violences ?

Marie cherche alors à comprendre pour l'homme qu'elle aimait, agissait comme ça. Pour elle, une seule explication : "Il était malade, il reproduisait ce que faisait son père avant lui, il était issu d'une famille très violente".

Marie pourrait exiger le pire pour son compagnon de l'époque, mais elle considère qu'il fait partie de ces hommes qui doivent être soignés : "Il n'y a pas de prise en charge pour eux aussi".

Le déni face à une violence bien réelle

Parmi la centaine de femmes rassemblée lundi soir sur le parvis du palais de justice de Marseille, l'une d'entre-elle raconte encore une anecdote qui l'a choquée.

"Le soir de la fête de la musique, des amis ont été témoins de harcèlement de rue, des femmes qui se faisaient frapper dans la rue; ils pensaient que c'était une légende, que les femmes exagéraient, parce qu'ils ne sont pas comme ça".

Parfois, ce sont les femmes elles-mêmes qui ne savent pas si elles sont victimes de violence, comme l'explique Samira Allal, éducatrice spécialisée à l'association SOS femmes 13.

"Ce sont des femmes qui ont vécu des violences dans leur enfance; pour elles, c'est un mode de communication qui semble logique", précise-t-elle à France 3 Provence-Alpes.

"Parfois ce sont des femmes qui viennent pour savoir si elles sont victimes de violences conjugales, elles n'en sont pas sûres". 

Des dysfonctionnements de la police et de la justice

Martine Ragon, de l'association Femmes Solidaires, était aussi présente au rassemblement. Elle était déjà là, en juillet dernier, lors d'une précédente manifestation. Encore une. Et elle avait déjà une pancarte sur laquelle était inscrit que 78 femmes étaient mortes, tuées par leur conjoint, depuis le début de l'année.

Lundi soir, elle a gardé sa pancarte, et a macabrement remplacé 78 par 101. Car pour le reste, pour elle, rien n'a changé.

"J'accompagne des femmes victimes depuis 15 ans et je remarque que ça n'avance pas. Il y a d'énormes dysfonctionnements de la justice et de la police. On nous annonce un Grenelle des violences conjugales, mais les associations ne sont pas écoutées, les femmes ne sont pas écoutées".

Pour Martine, son premier sentiment, c'est le manque de moyens qui domine, ainsi qu'un énorme "cafouillage" et une justice qui n'est pas rendu "à sa juste valeur".

Témoignage Féminicide

“J'ai été torturée, enfermée, ligotée, frappée” : édifiant témoignage (lien) et mobilisation de tous pour que cela cesse. Aller + loin ? https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/marseille-femmes-disent-stop-aux-violences-conjugales-temoignent-1717321.html

Publiée par France 3 Provence-Alpes sur Mardi 3 septembre 2019

Un "Grenelle" des violences conjugales

Le gouvernement a lancé le 3 septembre à Matignon, en présence de familles de victimes, un "Grenelle" des violences conjugales, dont les associations espèrent qu'il débouchera sur un "plan Marshall" pour enrayer un phénomène ayant déjà fait plus de 100 mortes depuis le début de l'année.

Le Premier ministre, Édouard Philippe, doit annoncer "de premières mesures d'urgence pour renforcer la protection des victimes", ont annoncé ses services. "Des mesures supplémentaires concertées de manière collective arriveront plus tard".

Les associations féministes souhaitent que l'événement débouche sur un plan doté d'"au moins" 500 millions, voire un milliard d'euros, loin des 79 millions d'euros de crédits spécifiquement alloués à cette lutte, selon une étude menée par cinq organisations.

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