Depuis le mois de juillet, le parquet de Marseille organise des sessions de sensibilisation à la consommation de stupéfiants. Des leçons de civisme, destinées à des prévenus déjà condamnés par le tribunal de Marseille.
14 heures dans la salle d'audience "Pierre Michel" du palais de justice de Marseille. Sur deux écrans, des images défilent. On y voit les cités des quartiers populaires de Marseille "gangrenées par le trafic" : des entrées d'immeubles filtrées, des cages d'escaliers bloquées par des meubles…
Aucune image violente, mais le message est clair : "En consommant, vous participez" aux trafics, insiste une magistrate du tribunal de Marseille.
Elle poursuit : les dealers sont prêts à tout - enlèvements, tortures, séquestrations - pour "générer plus de profits". Or, "sans consommation, pas de ventes; sans ventes, pas de profits" et pas de guerre des gangs. Un discours destiné à responsabiliser le consommateur, et qui n'est pas sans rappeler celui de Gérald Darmanin, lors d'un déplacement à Marseille, fin juin.
Quelques heures à peine avant cette audience, dans la nuit de samedi à dimanche, un homme "s'est retrouvé sous le feu d'une arme de guerre", au cœur de Marseille, rappelle d'ailleurs la magistrate. Le 20ème mort par balles dans les Bouches-du-Rhône, depuis le début d'année.
Au total, 220 personnes sont décédées dans le département sur fond de trafic de drogue, entre 2009 et 2021, appuie la vice-procureure Maud Gauthier.
Des primo-délinquants âgés de 20 à 30 ans
Dans la salle : des consommateurs de cannabis ou de cocaïne - une trentaine ce jour-là, majoritairement des hommes, âgés de 20 à 30 ans - déjà condamnés par le tribunal de Marseille.
Ils sont intérimaires, salariés du privé, chômeurs ou encore étudiants… arrêtés pour consommation de stupéfiants ou conduite sous l'emprise de drogue. La plupart sont des primo-délinquants.
Victor (NDLR: les prénoms ont été modifiés), la trentaine, chemise à carreaux, bermuda en jean et cheveux ébouriffés, semble désorienté. "C'est la première fois que j'ai à faire à la justice", explique timidement à l'AFP cet employé d'une société de sécurité. Arrêté il y a quelques mois pour conduite sous l'emprise de cannabis, il sait seulement qu'il a "perdu six points et le permis", qui a été suspendu.
Condamnations inscrites au casier
Léna, étudiante de 20 ans et consommatrice "très occasionnelle" de cannabis, ne se sent pas "vraiment concernée". "Je voulais surtout régler tout ça et ne plus y penser", dit-elle. Comme les autres, elle devra pourtant patienter en file indienne pour récupérer son ordonnance de jugement, des mains du délégué du procureur, à l'issue d'une leçon de civisme d'environ 45 minutes.
Ce jour-là, les amendes oscillent entre 100 et 1.000 euros, assorties de suspensions de permis et d'une obligation de réaliser un stage de sensibilisation dans la majorité des cas.
Elles resteront inscrites sur le casier judiciaire des intéressés : si cette session se déroule au palais de justice, elle n'a rien d'une audience classique. Le parquet est là, mais aucun juge du siège. Car la sentence est déjà scellée.
Donner du sens à la condamnation, permettre aux consommateurs d'amorcer des démarches et rappeler que (la consommation) est illégale.
Parquet de Marseille
La moitié des condamnés choisit de payer l'amende sur place, via le terminal de paiement installé sur le bureau de la greffière. Ils bénéficient ainsi d'une remise de 20%. "Si vous ne payez pas, vous passerez devant le tribunal", mais dans le cadre d'une audience correctionnelle, met en garde le délégué du procureur.
Anne-Gaëlle Perrais, directrice de l'Association régionale de coordination en addictologie, présente enfin aux consommateurs les solutions possibles pour s'en sortir: consultation médicale, soutien psychologique, voire hospitalisation.
Pour le parquet, l'intérêt de ces sessions est triple: "Donner du sens à la condamnation, permettre aux consommateurs d'amorcer des démarches et rappeler que (la consommation) est illégale".
La France est le 2e pays où la consommation de cannabis est la plus élevée en Europe, selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives dans un rapport publié en mai, avec 18 millions d'expérimentateurs. L'institut estime à 850.000 le nombre d'usagers quotidiens.