"On met de l'humain dans l'économie" : comment la plus ancienne quincaillerie de France a été remarquée par les Américains

Huit générations de quincailliers s'y sont succédé depuis 1827. La Maison Empereur est lauréate du prix Global Innovation Awards (GIA) 2024 à Chicago, qui récompense au niveau mondial les commerces d'excellence. France 3 Provence Alpes a poussé la porte de cette institution marseillaise qui trône depuis 200 ans à deux pas de la Canebière.

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À n'en pas douter, la Maison Empereur vient de conférer ses lettres de noblesse à la quincaillerie française et au commerce de détail du bricolage. Mais l'attribution, dans un roulement de tambour, du prix international GIA 2024 le 18 mars à Chicago, n'a pas fait trembler l'édifice.

Le détaillant qui se dresse fièrement sur trois étages entre la rue d'Aubagne et la Canebière, a abrité une dynastie de quincailliers depuis sa création à Marseille en 1827. Mais ce n'est pas par hasard que la doyenne des quincailleries françaises a gagné le cœur des Américains.

L'utile à l'agréable

Au lever de rideau, à 10 heures pétantes, une petite poignée de clients piaffent déjà d'impatience. Merlin, dans sa blouse bleue, leur ouvre la porte de la coutellerie dont il est responsable, et les gratifie d'un "bonjour" jovial. Ici "l'accueil à l'ancienne", le service, le conseil, sont la marque de fabrique. Les habitués se faufilent au rez-de-chaussée sans demander leur reste, vers les rayons de "l'utile" : ustensiles de cuisine, droguerie, objets en tous genres pour la maison, ils savent ce qu'ils sont venus chercher. "L'agréable" se trouve dans les étages, où les touristes savent dénicher des petits bonheurs à glisser dans leurs valises.

Ici, un joyeux bazar est savamment entretenu pour laisser transpirer l'authenticité. De pièces en recoins, les murs, sols et plafonds baignent dans leur jus, des senteurs d'antan de savon ou de cire planent délicatement et des amas de tissus ou d’objets colorés dégoulinent en suspension. Dans les bacs et étagères, les produits sont agencés méthodiquement avec goût. "Lorsqu'un nouveau produit arrive, la sempiternelle question est "où on va le mettre ?", mais on trouve encore et toujours de la place ", sourit Zélie Villard, la responsable de communication qui est aussi assistante de direction et responsable des commandes.

"Les clients viennent chercher leur madeleine de Proust"

Comme elle, les trente-cinq employés sont polyvalents et doivent être capables de conseiller les clients sur les quelque 50 000 références de la boutique. Derrière son comptoir, au rayon vêtements traditionnels, Fred se définit comme "un extra de longue durée". Depuis six ans, ce photographe travaille ici pour arrondir ses fins de mois. Il est un peu le couteau suisse, prêt à intervenir à tous les étages. "J’ai commencé aux jouets anciens, c'est le secteur que je connais le mieux, mais il m'est arrivé de tenir le rayon casseroles", lance-t-il avec un regard espiègle. Fred confie être fasciné par "cette maison, où les clients viennent chercher leur madeleine de Proust", "je n'ai jamais vu ça ailleurs" conclut-il.

"Je suis né dans la boutique, ma mère me donnait le sein sur le bureau", raconte Martin Guez-Empereur" qui s'en amuse, "la quincaillerie, on en parlait matin, midi et soir et on en bouffait à tous les repas". À 25 ans, l'héritier a fini par mettre le nez dans les livres de compte, pour peu à peu succéder à sa maman à la tête de la Maison, mais ne fait encore rien sans son approbation. "Dans la lignée familiale, je suis le seul avoir fait des études de commerce, à avoir eu la chance d'étudier à l'étranger, ma mère était autodidacte", raconte le jeune patron, qui se veut délibérément tourné vers le passé. Le capital de sa quincaillerie, c'est le made in France et les 200 fournisseurs de l'Hexagone avec lesquels la maison travaille main dans la main depuis la nuit des temps. Face à la crise qui sévit, il dit vouloir les défendre : "chaque produit qui disparaît, c'est un peu de la maison Empereur qui disparaît avec. On essaye de mettre de l'humain dans l'économie".

Notre ambition est de préserver l'existant, pas de s'agrandir, le bébé est déjà bien assez gros comme ça.

Martin Guez-Empereur

France 3 Provence-Alpes

Sur un marché dominé à 85% par les mastodontes du bricolage Leroy Merlin, Bricomarché et Castorama, il s'agit avant tout pour ce jeune chef d'entreprise de tenir tête aux concurrents directs que sont les concept stores locaux tels que les écoresponsables Okjö, Coutume store ou les autres boutiques qui aspirent à dépoussiérer le vintage.

De la mamie du quartier au "client disco"

Quand le brouhaha s'installe dans la boutique, on entend parler toutes les langues. Yasmine est vendeuse depuis sept ans et affirme pouvoir "tout faire, sauf l’électricité et la plomberie. Je suis depuis quatre ans au rayon des arts ménagers et par extension de la bonne ménagère puisqu’il y est aussi question de repassage de rideau". Sa clientèle va des habitués du quartier, parmi lesquels "la petite mamie" qui jette chaque semaine son couteau économe avec les épluchures, au"client disco, le riche acheteur qui ne demande pas le prix et veut tout emporter", explique Yasmine en l'imitant dans un sourire, "celui qui dit, je veux ça, je veux ça, je veux ça", assortit-elle d'un mouvement de l'index et d'un déhanché.

Le mercredi après-midi, les grands-parents déboulent avec leurs petits-enfants pour une balade familiale, raconte Zélie Villard, la boutique s'anime, "les gamins touchent les sonnettes, jouent avec les heurtoirs, font tinter les ustensiles en inox, le magasin est vivant, c'est bien dans l'esprit de la transmission". Ici deux grands-mères s'amusent avec un bilboquet et se remémorent avec complicité "combien cela fait mal au poignet". Un touriste parisien croisé au milieu des casseroles avec ses filles dit venir chez Empereur à chaque déplacement à Marseille et s’interroge devant les poêles à frire sur leur éventuelle teneur en polluants PFAS. "Une poêle à l'ancienne comme ça, il faut commencer par la culotter, par la noircir à l’huile comme le faisaient nos grands-mères et c’est une technique qui n’est pas facile", explique-t-il, "mais elle n'a pas besoin de revêtement, c'est sûr."

De la brosse à brosse au moule à panisse


"Je dois reconnaître la collectionnite aiguë de la famille", confie Zélie. Il est vrai que de nombreux produits se déclinent ici dans toutes les tailles, comme le plat à paella de 10 cm à 1 mètre de diamètre, les paniers ou les brosses, dont la cadette est la brosse à brosse en métal. Au hit-parade des produits "vintage" qui cartonnent, "l'iconique" martinet, dont l'utilisation se trouve aujourd'hui détournée par les parents ou le moule à panisse, un inédit pourtant grand classique marseillais, sans oublier l'insolite canne à champignons.

Martin Guez-Empereur préfère lui être photographié au rayon droguerie qui n'est pas "instagrammable". Les photos sont interdites dans le magasin parce que "les gens se photographiaient en permanence pour les réseaux sociaux et Instagram ce n'est pas vraiment dans l'esprit de la maison" justifie le patron, et puis "cela permet aussi de lutter contre les commerciaux en attachés-cases qui viennent nous piquer des références qu'on retrouve plus tard chez des concurrents".

La quincaillerie à échelle humaine

Depuis une dizaine d’années, la famille s’est lancée à contrecœur sur Internet pour répondre à une demande parisienne, mais "ce n'est pas une vitrine" affirme Martin Guez-Empereur, "on ne met volontairement que 5000 références sur notre site pour garder intacte la surprise pour les clients qui se déplacent".

Et puis la maison tient à soigner les rapports humains, qui doivent aussi estampiller la vente à distance. "On continue à glisser des petites cartes manuscrites dans les colis et à traiter les commandes par téléphone. C’est un principe", confirme Zélie.

Ce patrimoine commercial est le travail d’une dynastie de quincailliers. Le prix GIA des Américains a donc été accueilli comme "le tampon qui vient sceller une reconnaissance historique de la famille", mais ne semble pas réveiller de rêve d'extension à l'international. "Nous ne trouverons nulle part ailleurs l'atmosphère de ces murs chargés d'émotion", conclut le futur patron."Empereur n'est pas duplicable".

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