Costumière depuis 1986, Chantal a baissé définitivement le rideau de sa boutique de déguisements en décembre 2023. Mais cette Marseillaise résiste pour que son petit commerce ne cède pas la place à une grande enseigne. Elle s'y est engagée auprès des habitants du quartier et pose ses conditions aux successeurs.
"On m'appelle Chantal Polichinelle" s'amuse la couturière, "certains clients pensent que c'est mon nom de famille". Sa boutique de déguisements était ce que l’on appelle "une institution" marseillaise. Le rideau est définitivement baissé depuis fin décembre 2023, mais Chantal garde un œil sur sa succession et tient à ce que l'esprit de petit commerce demeure vivace entre ses murs.
Une lettre aux clients
À 68 ans, Chantal Ben Zekri a refermé la porte de sa boutique, sur presque quarante années d'activité et un stock de costumes en tous genres cousus à la main qui faisait sa fierté. Elle regrette de ne pas avoir trouvé preneur pour ses machines, dont "personne n'a voulu" et qu'elle a offertes à des associations. Mais la costumière, les mains abîmées par l'arthrose, ne pouvait plus coudre et puis "l'heure de la retraite avait sonné", confie-t-elle dans un sourire généreux.
Particulièrement attachée à sa clientèle de proximité, dont elle a vu défiler jusqu'à quatre générations, Chantal confie qu'elle a beaucoup pleuré et pleure encore, mais elle s'est autorisée, pour la première fois, depuis 38 ans, des vacances en période de carnaval. "D'habitude, je travaille nuit et jour à cette époque de l'année, pour que tous les costumes soient prêts", avant d'ajouter aussi sec en riant, "eh bien cette fois, c'était farniente sur la Côte d’Azur ". Mais avant de partir, la costumière a laissé sur sa vitrine une lettre adressée à ses clients et voisins. Elle s'est engagée à leur rendre des comptes sur ses successeurs.
Attention aux faux-nez !
"Je ne voulais pas vendre à n'importe qui" raconte Chantal, il fallait qu'elle retrouve chez son acheteur une "âme de commerçants", de ceux qui appellent leurs clients par leur prénom, qui connaissent leurs habitudes, qui leur rendent des services. Et gare aux faux-nez !
Pas question de céder son commerce à un imposteur ni de voir débarquer dans la vitrine des produits hors de prix : "je voulais que ça reste populaire", justifie la jeune retraitée, "j'avais des clients de toutes les catégories sociales, des personnalités comme des ouvriers qui se privaient pour offrir un déguisement de carnaval à leurs enfants et je souhaitais que cela perdure".
"Je choisirai des successeurs correspondant à vos attentes (...) Bisous à tous ces enfants qui s'émerveillaient devant la vitrine"
Chantal, patronne de PolichinelleDans sa lettre aux clients
Alors Chantal a organisé une sorte de casting de ses repreneurs. Résistant aux sirènes du profit, et malgré des offres de "40 % supérieures", son choix s'est finalement porté sur un coup de cœur. Une rencontre avec des commerçants de sa trempe, issus des métiers de bouche.
Une "rôtisserie, pâtisserie, glacier" remplira bientôt la boutique vide, après avoir fait promesse que l'escalier en fer forgé "qui lui donnait son âme" serait conservé.
Le sur-mesure terrassé par la standardisation
"Je n'ai jamais eu peur de la concurrence" clame Chantal haut et fort,"parce que j'avais un savoir-faire que l’on me reconnaissait aussi dans le milieu du cinéma", avec des participations à des séries tournées à Marseille telles que Plus belle la vie. Mais la vérité est que ces dernières années, Chantal ne vivait plus de son activité. "Le tout prêt" comme elle l'appelle, des grandes enseignes, a battu à plate couture le sur-mesure et le service. "Si je démarrais aujourd’hui, je sais que je n'arriverais pas à tenir tête aux grands magasins" avoue-t-elle dans un soupir.
La jeune retraitée se nourrit encore du soutien de sa clientèle et de ses souvenirs de "pur bonheur" au service "des petits et des grands". Elle reçoit des messages par dizaines et a déjà prévu d’inviter 40 familles à l’inauguration du nouveau commerce du 167 boulevard Chave." Il va falloir que j’informe mes successeurs", s'amuse-t-elle, avant d'ajouter "mais de toute façon, je les avais prévenus".