Non respect des règles déontologiques, faible "diligence" dans le rendu de la justice ordinale, indemnités "indûment perçues"..., le rapport de la Cour des comptes dénonce de nombreux dysfonctionnements au sein de l'Ordre des médecins. Le président de l'Ordre régional répond point par point.
Agressions sexuelles sanctionnées "bien après des sanctions pénales", comptes "souvent incomplets et insincères", indemnités "indûment perçues"...
La gestion de l'Ordre des médecins se caractérise "par des faiblesses, voire des dérives préoccupantes", estime la Cour des comptes dans un rapport publié lundi.
La Cour des comptes a étudié de près la gestion du Conseil national de l'Ordre des médecins, ainsi que celles de ses 24 conseils régionaux et 46 conseils départementaux (sur 101).
A Marseille, c'est le siège social du Conseil régional de l'Ordre des médecins (CROM) PACA qui est montré du doigt par les magistrats de la cour.
Une somptueuse villa sur les hauteurs de Marseille
A la page 67 du rapport, la cour des comptes indique que le CROM PACA "a acheté en 2012, sur les hauteurs de Marseille, une villa avec vue dégagée de 318 m2 avec un jardin et une piscine pour 1.700.000 euros et y a engagé des travaux d'aménagements pour près de 1.150.000 euros" (dont 72.000 euros de travaux de réfection de la piscine)."Lorsque j'ai sollicité ma candidature à la présidence du Conseil régional de l'Ordre, j'ai annoncé que je voulais vendre cette villa, qui est une erreur en terme d'image et qui n'est absolument pas fonctionnelle", assure le docteur Pierre Jouan, président du CROM PACA depuis le 13 février 2019. Le CROM est sur le point d'acheter un local de 400 m2 à la Tour Méditerranée.
Au sujet du Conseil départemental de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, qui exerce ses missions dans la villa "Nadar", située avenue du Prado, les magistrats de la Cour des comptes indiquent que la restauration de ce bâtiment "a été particulièrement coûteuse en raison du classement d'une partie qualifiée de monument remarquable". Le coût des travaux a aussi été "majoré par l'utilisation de marbre, de mobilier de prix (120.000 euros) et par le comblement de la piscine de la villa".
Le siège du Conseil départemental de l'Ordre devait rejoindre celui du Conseil régional de l'Ordre, à la Tour Méditerranée, mais finalement, il reste à la villa "Nadar", "compte tenu de ses fonctionnalités et son accessibilité", précise Pierre Jouan.
Manque de rigueur dans le traitement des plaintes
En matière disciplinaire, le traitement des plaintes des patients ne serait pas assuré avec suffisamment de rigueur et l’impartialité de la formation de jugement ne serait pas toujours garantie, indiquent les magistrats dans leur rapport.Les signalements, dans leur grande majorité, ne seraient pas considérés par l’Ordre comme des plaintes et ne seraient, en conséquence, pas déférés devant la justice ordinale.
"Faux", répond le docteur Pierre Jouan, même s'il n'est pas directement ciblé par cette critique. "C'est faux, tout simplement parce que lorsque le Conseil départemental de l'Ordre est saisi par une plainte d'un patient, il a une durée limité pour transmettre le dossier à la commission compétente".
"L’analyse d’une cinquantaine de décisions rendues entre 2016 et 2017 (parmi une liste de 90 décisions transmises par l’Ordre à la Cour) révèle l’existence d’irrégularités de procédure ou un manque de diligence dans le traitement des plaintes pour des faits à caractère sexuel", précise le rapport.
Des sanctions disciplinaires tardives
"Les poursuites et sanctions disciplinaires interviennent souvent bien après des sanctions pénales", indiquent les magistrats, citant le cas d'un médecin condamné pour agression sexuelle à six mois d'interdiction d'exercer par un tribunal correctionnel au début des années 2000.Le Conseil de l'Ordre n'a décidé de le poursuivre au disciplinaire qu'en mai 2016, après une récidive "dont l'Ordre était informé depuis 2015".
"Nous avons eu le cas où l'Ordre s'est emparé d'une affaire de mœurs avant que la justice ne soit saisie et finalement la personne a été blanchie... On avait l'air de quoi ? On préfère attendre la décision de justice pour agir", justifie le président du CROM PACA.
Conflits d'intérêts avec les laboratoires
La cour des comptes constate, dans son rapport, que les risques de conflits d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ne sont pas suffisamment pris en compte.Lorsqu'un médecin signe un contrat, ou une convention, avec un laboratoire, ce document doit être obligatoirement transmis à l'Ordre des médecins pour validation. Sur ce point, la cour précise que "des règles déontologiques de la profession, au regard des relations avec l’industrie pharmaceutique notamment, souffrent de graves lacunes".
"On a mis en place des outils pour éviter ces problèmes", affirme Pierre Jouan, " mais c'est la faute du législateur... Si les déclarations étaient faites normalement, il n'y aurait pas de soucis", précise-t-il. "On nous reproche, ce que nous reprochons aussi".
De sérieuses défaillances de gestion
Dans son rapport de 187 pages, la Cour des comptes critique largement la gestion de l'Ordre, au niveau national comme dans les territoires.Entre l'incapacité à fournir un état exhaustif du patrimoine immobilier et des rémunérations excessives, la cour précise que "la gestion des ressources humaines" devrait en outre "être professionnalisée, tant sont grandes les disparités de rémunérations et d'avantages sociaux". Les magistrats appellent à cesser "définitivement" les recrutements "favorisant les liens familiaux".
De son côté, Pierre Jouan indique que la gestion et les méthodes de comptabilité sont en cours de modernisation et devrait être achevé d'ici 2022.
"Entre le Conseil national et les conseils régionaux et départementaux, nous n'avions pas les mêmes méthodes de comptabilité, nous faisons le nécessaire pour tout harmoniser, mais ça prend du temps", conclut le président des médecins de PACA.
Fort de ces constats, les magistrats de la cour plaident pour une remise en ordre urgente, avec trois priorités : replacer la sécurité des patients au cœur des préoccupations de l’ordre, ouvrir sa gouvernance à des non-médecins et achever la mutation de la justice ordinale, dont le fonctionnement vient d’être amélioré par un décret du 3 décembre 2019.
Il s’agit ainsi de compléter la transformation de la gouvernance des ordres des professions de santé, amorcée avec les ordonnances prises en 2017 à la suite des précédents contrôles de la Cour.