Trois jours d'absence non payés en cas d'arrêt maladie. La mesure envisagée par le gouvernement pour les salariés du secteur public afin de réduire le déficit soulève des questions et provoque l'incompréhension ou la colère de nombreux fonctionnaires.
Le ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian souhaite aligner le nombre de jours de carence des fonctionnaires en arrêt maladie sur celui du privé, et de plafonner à 90% du salaire les trois premiers mois d'un congé maladie ordinaire. Actuellement, les salariés du secteur public qui sont en arrêt maladie ne sont pas payés le premier jour. La loi prévoit trois jours sans indemnités pour les salariés du privé, dans la réalité souvent compensés par les entreprises elles-mêmes ou les mutuelles d'entreprise. Ces mesures doivent permettre d’économiser 1,2 milliard d’euros d'après le gouvernement, qui propose l'adoption d'un amendement au projet de loi de finances pour 2025. France 3 Provence-Alpes a interrogé des salariés de la santé publique, de l'Éducation Nationale et de la fonction publique territoriale afin de recueillir leur avis sur la question.
"Les hospitaliers quittent le navire, c'est une catastrophe"
Isabelle Godard affiche sa "grande colère". Secrétaire générale de l'Union syndicale de la santé et de l'action sociale de la CGT du Var, elle estime que la mesure envisagée "est un mépris de ces hommes et de ces femmes qui assurent la santé publique".
"Ils coûtent cher, ils sont privilégiés ils sont fainéants". Les fonctionnaires sont stigmatisés une fois de plus
Isabelle Godard, secrétaire générale de l'Union syndicale de la santé et de l'action sociale de la CGT du Var
"On est le socle, on est le matelas en cas de crise, nous a-t-on dit ? Certains ne restent plus dans le métier. Les hospitaliers quittent le navire, c'est une catastrophe. On réduit les moyens et il faut continuer quand même". La responsable syndicale estime que la considération des agents est une nouvelle fois mise à mal.
"Un jour, c'est supportable financièrement, pas trois jours".
Véronique, elle, est cadre de la fonction publique territoriale à Toulon. Elle désapprouve la mesure proposée par Guillaume Kasbarian et voit les conséquences néfastes de cette mesure.
"Les mutuelles font payer la couverture de la prise en charge de la carence très cher et peu la prennent, je suppose. Pendant trois jours, on vient travailler malade ? Quel intérêt ? "
Le ministre de la Fonction publique veut aligner le nombre de jours de carence des fonctionnaires en arrêt maladie sur celui du privé, une fausse excuse. "Dans le privé, c'est souvent pris en charge par l'entreprise ou la mutuelle d'entreprise".
Lutter contre les causes des arrêts maladie
Comme beaucoup de salariés de la fonction publique, elle estime que la mesure annoncée est une mauvaise réponse à de plusieurs bonnes questions. "Il vaudrait mieux lutter contre les arrêts maladie abusifs qui existent aussi. Et les causes des arrêts qui tiennent aux dégradations des conditions de travail et de management".
"Lutter contre l'absentéisme et certains arrêts abusifs, oui, mais de cette façon, je ne suis pas sûr". Cadre infirmier dans un hôpital public de Toulon, Gérald* constate la réalité des arrêts de travail dans son établissement, mais n'est pas non plus vraiment convaincu par la mesure. Même si ces arrêts de travail du personnel hospitalier sont une réalité difficile à gérer au quotidien.
Pour faire face à l'absentéisme, les heures supplémentaires explosent
Gérald*, cadre infirmier dans un hôpital public du Var
"Le problème, c'est l'absentéisme perlé. Notre pool d'aide-soignants et d'infirmiers ne suffit pas à remplacer les arrêts. Alors les heures supplémentaires explosent. Cela est devenu courant de finir le mois avec 20 heures de plus au compteur, et sur le compte en banque."
Reprendre d'un côté avec cette mesure ce que le système de santé a donné de l'autre pour compenser ce qui dysfonctionne, la question est complexe.
"Toucher au portefeuille pour limiter les arrêts abusifs ?" La mesure envisagée par le gouvernement laisse Gérald perplexe. "C'est sociétal, le monde change, les soignants d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'hier, mais je n'ai pas la solution".
C'est purement de la démagogie électoraliste. 1,2 milliards d'économie ? On n'a aucune garantie d'arriver à ce résultat
Isabelle, enseignante agrégée en sciences économiques et sociales à Marseille
Elle n'a pris qu'une seule journée d'arrêt maladie en plus de 10 ans, parce qu'elle avait attrapé le Covid. Isabelle ne se sent pas visée personnellement par la mesure proposée par le gouvernement. Pourtant, cette enseignante en sciences économiques et sociales dans un lycée marseillais ne mâche pas ses mots.
Son propos est aussi une analyse, celle d'une société qui réforme sans arrêt, malheureusement sans résultat.
Des réformes, pour quels résultats ?
"Les réformes de l'Éducation Nationale s'enchaînent, mais le niveau des élèves est en baisse constante si l'on se réfère au classement PISA".
Côté santé et prise en charge, même constat. Nicolas Sarkozy a instauré le premier jour de carence pour les fonctionnaires le 1ᵉʳ janvier 2012. "Le taux d'absentéisme a augmenté, preuve que ça n'a pas marché !" , souligne l'enseignante. "Il faudrait s'intéresser aux causes : il y a quelque chose qui ne va pas. Je crois que la majorité des gens qui sont en arrêt de travail ont un vrai souci".
L'enseignante ne nie pas que certains arrêts maladie puissent être considérés comme abusifs. "SI c'est le cas de temps en temps, on peut essayer de trouver une solution, mais on ne sanctionne pas tout le monde", argumente l'enseignante.
Les punitions collectives dans les classes, c'est terminé, on trouverait ça injuste. Alors que signifie cette mesure ?
Isabelle, enseignante agrégée en sciences économiques et sociales à Marseille
L'argument selon lequel elle vise à réduire les inégalités avec le secteur privé, où trois jours de carence sont préalables avant que la Sécurité sociale ne verse des indemnités, n'est pas recevable non plus pour Isabelle : "50 à 70 % des entreprises privées ne l'appliquent pas et financent les carences à leurs salariés", souligne-t-elle.
Pour elle, le risque est de baisser encore un peu plus la qualité du service public. "Un risque, ou une volonté politique ? Pour réduire le déficit public, certains économistes ont d'autres propositions", souligne l'enseignante en SES, citant Thomas Piketty.
Gérald est un prénom d'emprunt *