Les casserolades résonnent lors des déplacements du chef de l'Etat et des ministres. Ce moyen de contestation sonore existe depuis le XIXe siècle en France. France 3 Provence-Alpes vous explique ce phénomène.
S'armer de casseroles pour montrer son désaccord dans les rues : voici le principe de la casserolade. Les opposants à la réforme des retraites, tant contestée depuis le mois de janvier, se sont emparés de cette méthode de protestation. Mais ce phénomène ne date pas d'hier. La rédaction de France 3 Provence-Alpes vous explique ce phénomène.
- Un moyen de protestation utilisé depuis le XIXe siècle
Les casserolades, vous en entendez parler depuis plusieurs semaines. Mais il n'y a rien de nouveau à cela, ce mouvement de contestation existait déjà au début du XIXe siècle.
Dans une interview donnée à France Culture, l'historien Emmanuel Fureix, spécialiste du XIXe siècle, et notamment des pratiques politiques, explique que ce phénomène a été constaté dès la Monarchie de Juillet, dans les années 1830. Les Républicains s'opposaient au roi Louis-Philippe. Et pour ce faire, ils utilisaient un rituel appelé "charivari", le fait de faire beaucoup de bruit avec toute sorte d'objets pour se moquer. L'historien donne plusieurs situations pour lesquelles ce charivari était utilisé : "Les mariages mal assortis, les veufs remariés avec des jeunes filles".
Dans les années 1830, cette protestation populaire est utilisée pour exprimer son mécontentement face à certains politiciens. À cette époque, les députés proches du gouvernement provisoire font l'objet de casserolades sous leurs fenêtres. Emmanuel Fureix parle d'une année particulièrement importante, l'année 1832 où une centaine de charivaris étaient organisés, parfois, pendant plusieurs jours consécutifs, la nuit tombée.
D'ailleurs, un personnage bien connu de l'histoire marseillaise, Adolphe Thiers, qui a donné son nom au lycée Thiers, a été visé par ces concerts bruyants. Ministre à l'époque, les habitants ont sorti leurs casseroles à Aix et à Marseille. L'homme politique était accusé d'avoir "trahi les idéaux de la Révolution, de s’être rallié à l’ordre, et de ne pas avoir porté assistance aux peuples en lutte", d'après l'historien.
Les "charivaris", transformés en casserolades, ont poursuivi dans l'ère contemporaine. Pas seulement en France, mais aussi à l'étranger. En 2012, des milliers de personnes manifestaient en Argentine pour dénoncer la situation politico-économique du pays. La foule a fait entendre son mécontentement en brandissant casseroles et poêles devant le palais de la présidente Cristina Fernandez Kirchner.
- Un phénomène relancé en France avec le "Penelopegate"
Disparues quelque temps en France, ces casserolades ont fait leur retour avec l'affaire Fillon. Alors que le "Penelopegate" éclate en février 2017, l'homme politique a pu entendre ces concerts populaires, à chacun de ses déplacements.
Et plus récemment, c'est au président de la République de connaître le même sort. Les casserolades sont réapparues au moment de son allocution le 17 avril dernier.
Une initiative lancée par Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne), qui a appelé les Français à se réunir devant les mairies pour frapper sur ces ustensiles de cuisine, en signe de protestation contre la réforme des retraites. Chaque jour, l'organisme met à jour une carte, recensant les déplacements des représentants de l'Etat.
Ils étaient une centaine sur le Vieux-Port, ce lundi 17 avril, à se réunir pour couvrir l'allocution du président de la République, à 20 h.
Ce rassemblement avait été autorisé sous l'ombrière du Vieux-Port par la préfecture de police mais les opposants se sont ensuite dirigés vers l'hôtel de ville. Une cinquantaine de personnes ont continué à manifester dans les rues de Marseille. Quelques poubelles ont été incendiées, et six personnes ont été interpellées.
- Les "dispositifs sonores portatifs" interdits
Un symbole de contestation politique fort qui semble donner du souci au gouvernement, puisque ces concerts populaires ont été interdits à plusieurs reprises. "Je respecte toutes les colères, je n'ai jamais considéré que couvrir la voix de l’autre (...) soit un signe de respect démocratique", a déclaré le chef de l'Etat en marge de son déplacement à Vendôme, mardi 25 avril, dans le Loir-et-Cher, qui vient de prendre fin. "Je n’ai pas le sentiment qu’il y a des millions de manifestants dans la rue", a-t-il encore assuré.
Un arrêté préfectoral a, par exemple, été pris, la veille du déplacement du président de la République, le 19 avril, dans l'Hérault, à Ganges. Cette décision exécutoire interdisait l'utilisation de tout "dispositif sonore portatif", sans toutefois mentionner clairement cet ustensile de cuisine. "Ce ne sont pas les casseroles qui feront avancer la France", avait assuré Emmanuel Macron, à cette occasion.
Mardi 25 avril, à nouveau, la préfecture du Loir-et-Cher a pris un arrêté similaire, lors du déplacement du chef de l'Etat.
- Que risque-t-on si on participe à une casserolade ?
Pas grand-chose, puisque rien ne fait clairement mention de "casseroles", mais de "dispositif sonore portatif". Toutefois, à vos risques et périls, si vous tenez particulièrement à vos ustensiles de cuisine.
Drôle de scène lors du déplacement d'Emmanuel Macron à Ganges... des policiers qui fouillent les sacs des manifestants et interdisent l'entrée à toute personne possédant ces instruments métalliques. Un journaliste de LCI, Paul Larrouturou a, d'ailleurs, capturé cet instant.
Nos confères de Libération sont allés demander à l'Elysée des explications. "Il n’y avait pas de consigne pour interdire les casseroles. Il y a eu un sujet sur le terrain, où les choses ont été interprétées différemment", a répondu le gouvernement.
La préfecture de l'Hérault a, de son côté, précisé au journal Libération qu'un "arrêté préfectoral a été pris, prévoyant un certain nombre de mesures. Mais en aucun cas il n’interdisait les casseroles sur la commune de Ganges. L’arrêté interdisait uniquement l’usage de sonores portatifs ou l’usage de dispositifs sonores portatifs ou émanant de véhicules non dûment autorisés. C’est-à-dire tout dispositif d’amplification sonore, des micros, des sonos, en aucun cas des ustensiles ou des casseroles".
L’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) et la Ligue des droits de l’Homme ont, toutefois, saisi le tribunal administratif de Montpellier d’un référé liberté en vue d’obtenir la suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral.
- Les casseroles, également un outil marketing
Ces casseroles qui font polémique sont devenues aussi un moyen pour des enseignes de magasin de faire de la publicité. Il y a quelques jours, Ikea France a publié une campagne publicitaire sur Twitter en écrivant "A ce prix là, ça peut faire du bruit".
Emmaüs Marseille, quant à lui, a fait un rabais de - 50 % sur ses casseroles pour encourager la population à faire du bruit dans les rues.