Les Goudes, Callelongue, la Madrague, Montredon... des noms qui font rêver. Entre mer et collines, en plein cœur du Parc National des Calanques, ces "villages" aux maisons bigarrées semblent suspendus dans le temps. Mais ces petits coins de paradis n'ont pas toujours été aussi enchanteurs. Pendant près de deux siècles, ils ont été la zone de relégation des industries les plus polluantes de Marseille. Aujourd'hui, scories et cheminées rampantes, saturées de métaux lourds, témoignent d'un pan de l'histoire de la ville. Si les sites industriels ont désormais fermé, la pollution, elle, est restée.
Il s’agit d’une époque révolue au cours de laquelle plus d’une douzaine d’usines crachaient des fumées noires toxiques sur les pins et déversaient du plomb dans les eaux turquoise des criques.
Des collines, alors peuplées d’ouvriers, pour la plupart des immigrés italiens ou espagnols, qui exécutaient des tâches ingrates et dangereuses, dans un cadre idyllique. Si les sites industriels ont désormais fermé, la pollution, elle, est restée, des décennies, parfois même des siècles plus tard.
Les habitants qui vivent là le savent. Certains s’en accommodent, d’autres tentent de combattre, une partie d’entre eux préfère oublier. Même si tous les riverains partagent un amour profond et sincère pour leur Eden, la gestion complexe de la pollution donne lieu à des débats extrêmement houleux.
Pendant plus de deux siècles, c’est dans ce petit bout de paradis, le littoral sud de Marseille, de Montredon à Callelongue, qu’on a voulu cacher les usines les plus toxiques.
Chloé Henry-Biabaud, réalisatrice
La réalisatrice Chloé Henry-Biabaud a vécu aux Goudes pendant plus de huit ans. Elle y a élevé ses enfants, rencontré beaucoup d’amis. Comme tous les riverains, elle aime cet endroit plus que tout.
Pourtant, son histoire la questionne. Avec ce film documentaire, elle a choisi de se pencher sur l’héritage de ce lourd passé industriel, tant sur les sols contaminés, que sur les habitants, quotidiennement exposés à une pollution chronique.
Deux siècles d’activité industrielle
La friche de l’Escalette, devenue aujourd'hui un parc de sculpture et d’architecture, est sans doute la plus visible. Mais un œil aguerri peut déceler bien d’autres traces de ce passé industriel. Des vestiges, qui rappellent que les quartiers excentrés de la ville, ont joué un rôle essentiel au cours des révolutions industrielles et dans l’écosystème.
Une équipe de chercheurs s’emploie depuis une quinzaine d’années à répertorier les sites concernés.
Les premières installations datent de 1809. Il s’agissait principalement d’usines d’acide sulfurique et de soude. Ces dernières étaient indispensables à la fabrication du savon de Marseille, activité économique très importante pour ville et la région. Une fois installées, les calanques étaient alors devenues une sorte de zone de relégation. Par la suite, il a été décidé d’installer des usines de plomb, dont l’activité était classée parmi les plus dangereuses et les plus polluantes.
« On a un ensemble de sites industriels qui, contre toute attente, va vivre à l’intérieur des Calanques pendant deux siècles. »
Xavier Daumalin, professeur d’histoire contemporaine Aix-Marseille Université
Cependant, malgré tout, les habitants entretiennent une relation ambivalente et particulièrement affective avec les lieux. Certains ont même réinvesti certains anciens bâtiments des sites industriels et les ont réaménagés à leur façon.
Il y a une espèce d’attachement viscéral à ce lieu, car pour certains, il est lié à leur enfance et leur histoire.
Carole Barthélémy, maître de conférences en sociologie Aix-Marseille Université
Des initiatives pour tenter de dépolluer certains secteurs
Depuis 2015, Pascale Prudent et Isabelle Laffont-Schwob, chimiste de l’environnement et écologue à Aix-Marseille Université, ont entrepris une opération inédite de restauration écologique de la cheminée rampante de l’Escalette. Elles ont créé un site pilote pour aider la végétation locale à se réinstaller malgré la contamination des sols et ainsi contenir la pollution en sous-sol pour éviter qu’elle ne se dissipe dans l’air.
Un chantier de dépollution titanesque
Les deux siècles d’héritage industriel rendent non seulement la tâche longue et fastidieuse mais également particulièrement coûteuse. Dépolluer les calanques nécessiterait des centaines de millions d’euros. État, collectivités, mairie…, qui doit agir et comment ?
Des projets sont à l’étude, des investissements envisagés. Mais combien de temps faudrait-il pour venir à bout d’un tel chantier ?
Calanques, les usines du bout du monde
Un film réalisé par Chloé Henry-Biabaud
Une coproduction France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur / 13 Prods
Diffusion jeudi 27 avril 2023 à 22h45 sur France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur