Au Liban, il y a deux ans jour pour jour, une double déflagration a ravagé des quartiers entiers de Beyrouth. De l'explosion est né le chaos, 214 personnes sont mortes, et beaucoup de Libanais ont quitté le pays depuis. Parmi eux, Walid a quitté le pays des cèdres neuf jours après, pour s'installer à Marseille.
Il y a exactement deux ans, le 4 août 2020, Walid, 22 ans à l'époque, fêtait son pot de départ avec ses collègues de travail, dans un immeuble du quartier de Gemmayzeh, à quelques centaines de mètres du port de Beyrouth.
À 18h06 le jeune libanais longeait le couloir et a senti comme un tremblement de terre sous ses pieds. Quelques secondes après, une forte détonation l'a propulsé dans un nuage de demi-conscience, un vrombissement assourdissant en arrière-fond.
Malgré les vitres explosées, ses collègues ont eu la chance de ne pas être gravement blessés. "Personne ne comprenait ce qui se passait, certains de mes collègues semblaient traumatisés. J'avais mal à la tête et je voyais des étoiles. En sortant sur le balcon j'ai vu le chaos dehors, des voitures cassées, des arbres déracinés, des gens blessés, d'autres qui couraient...". Walid se remémore la scène, les yeux dans le vide.
De Beyrouth à Marseille, villes portuaires et méditerranéennes
Son départ en France était déjà prévu. La double déflagration qui a dévasté des quartiers entiers de Beyrouth , le chaos qui s'est ensuivi et le drame sociétal que ça laissait présager, tout cela a conforté sa décision de quitter le pays.
"D'un côté je me sentais soulagé de partir en France et de l'autre côté, j'avais cette sensation de dégoût de quitter mes collègues comme ça, en plein chaos. C'était censé être un jour de fête, finalement c'était un jour de deuil", explique Julien, les sentiments ambigus.
Partir, oui. Mais pour aller où? Walid a hésité entre Lyon, Marseille, Nice... "J'avoue que j'avais comme idée que Marseille, ça craint... Marseille c'est sale... Les médias en diffusaient des images très négatives. J'entendais dire qu'ici il y a plein de clandestins, qu'on brûle des voitures..."
Neuf jours après le fatidique 4 août 2020, il quitte Beyrouth. Destination Marseille. Son premier contact avec la ville phocéenne se fait à bord de l'avion, dans lequel se trouve une équipe de pompiers venus de Marseille, pour aider aux opérations de sauvetage et déblayage.
Une ambiance "pesante et chaleureuse à la fois"
"En arrivant à la gare Saint-Charles, je voyais les cafés-trottoirs dans le boulevard d'Athènes, plein de vacanciers avec leurs valises qui buvaient leur dernier café avant de rejoindre la gare, les gens de passage... Il y avait une ambiance pesante et chaleureuse à la fois".
La ville l'a accueilli et en quelques mois il a trouvé du travail en tant que prothésiste dentaire. Il a rapidement fait connaissance avec d'autres Libanais, rencontrés à la paroisse maronite Notre Dame du Liban, sur l'avenue du parc Borély.
"Marseille me fait penser à Beyrouth, avec son port, sa végétation aussi. Il y a beaucoup de cèdres ici", dit-il en souriant. "Par exemple sur le boulevard Romain Rolland, derrière le Vélodrome, ou vers la Valentine. Et les Marseillais aiment beaucoup sortir, faire la fête, vivre dehors." .
Aujourd'hui sa vie est à Marseille, il ne compte pas partir. De chez lui, dans le 9e arrondissement, depuis son balcon, il aperçoit la mer.
Ne lui demandez pas quel est son restaurant libanais préféré, il serait presque capable de se mettre debout sur sa chaise et de s'égosiller : "C'est Chez Marwan, dans le 5ème arrondissement, rue Brandis. C'est le vrai de vrai!".
Walid est retourné chez lui une fois seulement, en 2021, pour retrouver sa famille. "J'ai vu les prix qui ont augmenté de façon absurde. Socialement, j'ai senti beaucoup d'énervement, mais je trouve que les Libanais sont très cool et très patients."
Selon lui, nous voyons le Liban comme le pays des chagrins où le drame est perpétuel. Il trouve qu'on ne montre pas suffisamment les points positifs, les moments de joie, la force et la solidité des Libanais.
"Malgré tout ce qui se passe, ils savent vivre. Et survivre", dit-il doucement. "J'ai toujours vu le sourire sur leur visage". Inévitable pour lui de ne pas faire de comparaison entre la France et le Liban. "Quand je vois qu'ici, on râle pour dix centimes de plus dans le carburant, je pense aux longues queues que les Libanais subissent en espérant récupérer un peu d'essence pour aller travailler".
Alors, lui qui vit entre deux cultures, rigole: "Au Liban, j'ai appris à ne pas râler". Ça fait maintenant deux ans qu'il est en France, et pour preuve de sa capacité à s'adapter, il conclut, rieur: "Depuis, je suis redevenu râleur".