Ils ne supportent plus le bruit des avions au-dessus de leur tête, "à s'en rendre malades". Les riverains de l'aéroport de Marseille-Provence, constitués en collectif, veulent faire entendre leur détresse, après "un été infernal comme jamais".
Cet été, ils affirment avoir franchi leur "mur du son". Cette limite invisible qui rend insupportable, au quotidien, le grondement incessant des avions au-dessus de leur tête. "Ça gâche la vie, ça gâche tout", raconte Sarah*. Cette enseignante vit depuis trente ans aux Pennes Mirabeau. Sa belle bâtisse en pierres se tient fièrement à cinq km, à vol d'oiseau, de l'aéroport. "Il a toujours été là, on ne l'a pas découvert un beau matin", reconnaît cette propriétaire, mais elle est formelle : depuis la covid, quelque chose a changé, "je n'arrête pas de me demander, les avions passent plus bas ? Ils sont plus bruyants ? Il y en a plus qu'avant ? Ils ont changé de trajectoire ?"
Jusqu'à cet été, où Sarah et sa famille ont dû renoncer à profiter du jardin." Le soir, on ne peut même pas manger dehors, on ne s'entend pas parler !", raconte-t-elle, "et c'est sans arrêt, sans arrêt... alors au bout d’un moment, je craque ". Pas question de vivre chez elle avec un casque antibruit sur les oreilles, comme certains riverains. Et puis Sarah refuse de prendre des antidépresseurs pour faire taire le vacarme des réacteurs qui "rend fou"". Ce bruit si particulier, qu'elle décrit d'ailleurs comme un son qui "vient de loin et déchire l'air". Des sanglots dans la voix, la quinquagénaire laisse couler les mots, "ça résonne dans la poitrine, ça vibre, ça remplit la tête et le corps tout entier, c’est horrible parce que dès qu'il s'éloigne, un autre arrive".
Je ne vois pas d'horizon, je ne vois pas d'issue, donc je me dis, ou tu pars ou tu meurs".
Sarah*, habitante des quartiers est des Pennes-MirabeauFrance 3 Paca
Sarah dit avoir "honte" de sa situation, n'invite plus personne parce qu'elle ne veut pas que l'on voit "comment" elle vit. "On se sent condamnés, ce n'est pas tenable et ça va s'aggraver".
Une exaspération qui monte en puissance
À bout de nerfs, cette riveraine n'est pas la seule à envoyer des signaux de détresse. Né au printemps 2024, le collectif Mistral regroupe les associations de neuf communes impactées par les nuisances de l’aéroport de Marseille-Provence. Selon son président Jalal Samain, l'exaspération des habitants est palpable et monte en puissance ces derniers mois. À tel point qu'il a dû retirer des commentaires trop virulents du compte Facebook du collectif. "Avec des nuits sans sommeil, du stress, la boule au ventre, forcément, la grogne augmente et la nervosité avec."
L'amplification des nuisances n'est pas une vue de l'esprit, affirme-t-il. Les chiffres que Jalal Samain avance, sont d'ailleurs confirmés par l'aéroport de Marseille-Provence (AMP).
Les vols de nuit, à savoir entre 22h et 6 heures du matin, ont effectivement augmenté de +27% entre 2019 et 2023. L’aéroport provençal ne faisant l’objet d'aucune restriction sur ce point, ce qui explique qu'une étude d’impact selon l’approche équilibrée (EIAE) a été lancée par la préfecture en novembre 2023, pilotée par la DSAC (direction sécurité de l’aviation civile).
Par ailleurs, le trafic augmente bien de manière significative en période estivale, pour atteindre 282 vols par jour en moyenne, selon les informations communiquées par l'AMP et vérifiables sur son site Aerovision, que consultent avec attention les responsables associatifs, bien avisés.
"Les services de l'État restent sourds"
"Cet été, un avion survolait la commune toutes les une à trois minutes", précise Jean Reynaud, le président de l'association Bien Vivre aux Pennes-Mirabeau (BVPM) "et cela pose la question de la continuité du bruit et de ses conséquences sur la santé des riverains impactés". Le porte-parole de BVPM cite en référence le rapport de l'Organisation mondiale de la Santé de 2018 sur les conséquences de l'exposition aux nuisances sonores aéroportuaires. "On est dans une situation folle, il est prouvé scientifiquement que cela provoque des problèmes cardiovasculaires, des pathologies liées au stress, de l'obésité, et les services de l'État restent sourds, tandis que les élus locaux ne font pas grand-chose".
J'enlève mes prothèses auditives quand je rentre chez moi, je préfère me couper des autres, me mettre dans ma bulle plutôt que de supporter le bruit des avions en continu".
Patrick, riverain de l'aéroport de Marseille-ProvenceFrance 3 Provence-Alpes
Pourtant, 70 à 70 décibels à chaque survol, Patrick ne peut plus le supporter, surtout avec des prothèses auditives. Ce cadre de 48 ans, vit depuis 2017 dans la maison de famille, avec son épouse et leurs deux enfants. Malentendant, il doit enlever ses appareils quand il rentre chez lui, "car le dispositif amplifie tous les bruits, celui des avions, y compris." L'été, il vit et dort fenêtres fermées et affirme se réjouir d'aller travailler pour échapper à ce vacarme incessant.
Double peine pour les propriétaires
Selon lui, ce qui a changé, c'est " la chevelure du ciel". Bien documenté, Patrick explique désormais l'augmentation du niveau sonore et des fréquences de passage par la réduction du "couloir de décollage à un kilomètre de large alors qu'auparavant cet espace était de neuf kilomètres". L'aéroport confirme que depuis 2017, "les trajectoires au décollage et à l’atterrissage ont en effet été resserrées pour assurer un guidage par satellite", en vertu d'une réglementation européenne.
Alors Patrick a bien pensé à vendre sa maison, mais compte tenu des prix de l'immobilier alentours, il s'est ravisé. "Beaucoup de propriétaires sont victimes d'une double peine", explique Jalal Samain, "ils souffrent du bruit et du stress permanent, ils veulent partir, mais n'en ont pas les moyens, car ils voient la valeur de leur bien dépréciée".
Sarah voudrait partir, mais elle se souvient avoir retapé "pierre par pierre cette bâtisse où ses enfants ont grandi ". Avec son époux, ils ont beaucoup investi d'eux-mêmes, de leur temps, de leur argent. "Cette maison, c'est tout ce qu'on a" confie-t-elle, alors "la quitter serait un déchirement".
À l'issue d'une réunion publique le vendredi 11 octobre, l'association BVMP et le collectif Mistral ont décidé de lancer une action en justice et de structurer leur combat, pour que le cri des riverains trouve enfin un écho dans les hautes sphères.
- Sarah est un prénom d'emprunt, à la demande cette riveraine qui souhaite conserver l'anonymat