Laura Calu, humoriste, Alain Bernard sportif de haut niveau et Eva Navarro miss Provence ont accepté de raconter leurs histoires, à l'occasion de la journée de lutte contre le harcèlement scolaire. Ces célébrités de la région prouvent que, malgré le harcèlement subi à l'école, chacun est capable de s'en sortir. Il faut trouver la force d'en parler et de ne pas rester seul.
"Un jour, je montais les escaliers pour aller en classe et je reçois des chewing-gums dans les cheveux."
Eva Navarro est devenue Miss Provence en 2021. Elle a subi du harcèlement scolaire au collège par ses camarades. Cette scène est un exemple type de ce qu'elle vivait au quotidien.
700.000 élèves harcelés par an
700 000 élèves par an sont harcelés en France, soit 10 % d'entre eux. Selon les chiffres, cela veut dire que dans une classe de trente élèves, trois d'entre eux sont victimes d'harcèlement scolaire.
Eva Navarro avait peur tous les jours d'aller à l'école. "On me bousculait dans les couloirs. On me volait mes affaires dans ma trousse. Je préférais passer mes récréations dans les toilettes ou dans le bureau de ma professeur de français", confie-t-elle avec beaucoup d'amertume.
Amplifié par les réseaux sociaux
Le harcèlement ne s'arrêtait pas quand elle franchissait la porte de l'école, il se poursuivait sur les réseaux sociaux. "J'avais peur de regarder mon téléphone en rentrant à la maison. Je voyais des critiques sur les réseaux : "Personne ne l'aime", "Elle n'a pas d'amis". Ces personnes qui me critiquaient étaient les mêmes à qui je disais bonjour", précise Eva Navarro.
Pour elle, le harcèlement est un "effet de groupe". "On ne se rend pas toujours compte qu'on est un harceleur. On pense pas toujours que c'est grave quand un groupe taquine une personne. Mais, quand ça devient répétitif, c'est du harcèlement", déclare l'ancienne Miss Provence.
Il ne faut pas que les parents s'en veuillent.
Eva Navarro, Miss Provence 2021
Elle n'en a pas parlé tout de suite à ses parents. "En rentrant de l'école, on n'a pas envie d'en parler", soutient-elle. Après deux années à subir les moqueries des autres élèves, Eva Navarro finit par changer de collège. Un grand soulagement. Elle tient à souligner un point important face à ce problème : "Il ne faut pas que les parents s'en veuillent."
La reine de beauté a maintenant 20 ans, et même si de l'eau a coulé sous les ponts, elle en garde des séquelles. "J'ai tellement pris les choses à cœur que j'en suis tombée malade. Aujourd'hui, je fais beaucoup de crises d'angoisse et je suis très stressée", reconnaît-elle.
Une revanche sur la vie
"Miss France a été une sorte de revanche sur la vie face à tous mes harceleurs." Le 30 juillet 2021, Eva Navarro revêt la couronne scintillante de Miss Provence. Ce sacrement la bouleverse et la rend plus forte. "C'était un challenge pour moi, je me suis prouvée que j'étais plus forte qu'eux. Je n'ai plus peur de parler en public et j'ai moins peur du regard des gens", assure Eva Navarro.
Laura Calu est une humoriste originaire de Correns, dans le Var. À l'école, les élèves se moquaient d'elle car elle était plus grande et souvent dans la lune.
Elle se souvient d'une scène en particulier : "En maternelle, je me suis fait pipi dessus, sous le préau à côté des toilettes. Les plus grands faisaient que de me dire que j'avais une araignée sur la tête. Ça m'a tétanisée, je n'arrivais plus à bouger."
Venir d'un petit village de 900 habitants a contribué au harcèlement qu'elle vivait. "Quand on se moque de nous en maternelle, on est suivis", assure la comédienne.
Un peu comme une tradition, le harcèlement était une "affaire familiale". Dans ce même établissement, sa sœur et sa mère s'étaient faites harceler. Laura Calu a un peu eu l'impression de reprendre le "flambeau" de ces moqueries.
L'humoriste reproche aux professeurs de ne pas l'avoir soutenue, et parfois même de l'avoir enfoncée. "Tu vas rien faire de ta vie", c'est une phrase qu'elle a pu entendre sur les bancs de l'école.
L'humour comme bouée de sauvetage
Sa mère l'a aidée à se mettre à la place de ceux qui l'harcelaient, de comprendre pourquoi. "C'était des enfants qui n'étaient pas en paix. Ma mère me disait que la mère de celui-ci était alcoolique, que le père d'un autre trompait sa mère."
C'est surtout l'humour qui l'a sauvée. "On se foutait tellement de ma gueule. J'ai fini par rire de moi-même et à devenir un clown", rapporte Laura Calu. En riant de tout et en s'enfermant dans sa bulle, elle a fini par devenir humoriste.
Lorsque Laura Calu décroche son téléphone pour cet article, elle revient de son village natal. Ce week-end, c'est la première fois qu'elle joue son spectacle "En grand", devant les habitants de Correns. Depuis quelques temps, elle refusait des interviews sur ce sujet pour ne pas être considérée "juste comme une harcelée". Cet appel, elle l'a vu comme une "coïncidence", qu'il fallait "boucler la boucle".
Aujourd'hui, elles payent 30 € pour venir me voir.
Laura Calu, humoriste
Ces anciens harceleurs ont assisté à sa représentation dans la salle La Fraternelle. "À la fin, j'ai remercié tous les gens qui ne m'avaient pas aidée et qui ont fait que je sois devenue humoriste", plaisante Laura Calu.
Elle n'a pas eu envie, ni besoin, de prendre sa revanche ou d'être méchante avec ceux qui lui ont fait du mal. "La vie s'en est chargée", assure-t-elle. L'humoriste ironise : "Mes harceleuses se réunissaient le samedi pour des anniversaires où je n'étais pas invitée. Aujourd'hui, le samedi, elles payent 30 € pour venir me voir."
Accepter d'être différent et différente
La comédienne a un seul conseil à donner face au harcèlement : "accepter d'être différente". "Aux enfants, je leur dis que ça va passer. S'ils me voient bien dans mes baskets et remplir une salle de théâtre, c'est qu'ils en sont eux aussi capables", assure Laura Calu.
L'ancien champion olympique de natation, Alain Bernard, a été, lui, harcelé par une bande d'adolescents d'un autre collège. Le sport a été pour lui un réel "échappatoire". "J'ai pris de l'assurance et de la confiance. On se découvre des capacités insoupçonnées en faisant du sport, pour faire face à tous les obstacles de la vie", affirme-t-il.
En parler autour de soi
Pour l'athlète, le meilleur moyen de s'armer face au harcèlement est d'en "parler à sa famille et ses amis".
Tous les élèves n'ont pas la chance de pouvoir être épaulés par des gens de confiance. Certains ne souhaitent tout simplement pas en parler aux proches. Pour cela, il existe des associations qui luttent contre le harcèlement scolaire.
Il est pourtant difficile de les joindre directement par téléphone. Elèves, parents, mais aussi professeurs peuvent appeler le numéro vert "3020" pour être écouté. Ce service redirigera les personnes concernées vers des associations proches du domicile.
Libération de la parole
"Jouons dans la même équipe" est une association de lutte contre le harcèlement scolaire opérant à Marseille. Elle fait de la sensibilisation auprès des élèves, forme le personnel encadrant et informe les parents.
Pour Julien Cattaneo, le président et fondateur de l'association, la libération de la parole, et notamment à travers les réseaux sociaux, a permis de "mettre en avant la problématique".
Il modère, toutefois, ses propos. Les réseaux sociaux ont aussi, selon lui, amplifier ce harcèlement. Julien Cattaneo considère que le harcèlement dans la vraie vie continue sur internet. À l'inverse, le cyberharcèlement se poursuit aussi sur le terrain.
Des initiatives régionales pour lutter contre le harcèlement
Des initiatives existent dans la région pour aider les victimes de harcèlement scolaire. Un club de "bikers", les Lag Spirit MC City of Popes, viennent en nombre escorter l'enfant victime de moqueries, à la sortie de l'école.
Des élèves du Vaucluse ont gagné, en 2020, la 7e édition du prix "Non au harcèlement". 2 minutes et 7 secondes de clip pour dénoncer le harcèlement scolaire et les comportements habituels qui l'entourent, amenant à la réflexion. Ce clip est utilisé dans les classes de l'académie d'Aix-Marseille, mais aussi dans le reste de la France.
À Toulon, un jeune garçon, victime lui aussi de harcèlement, a écrit une chanson avec sa mère. La chanson "Je haine" s'adresse à la victime : "La vérité c'est qu'ils sont lâches, ta volonté c'est ton courage." Une thérapie pour cet élève qui a aussi permis aux enfants de parler de ce qu'ils subissaient.
Jusqu'à 3 ans de prison et 45.000 € d'amende
D'après une enquête réalisée par l'institut Audirep pour l'association e-Enfance auprès de 1.209 jeunes, âgés de 18 à 25 ans, 90 % des jeunes estiment que leur temps passé sur internet et les réseaux sociaux a augmenté suite à la crise sanitaire et aux confinements.
70 % d'entre eux estiment que cette période les ont conduits à être plus exposés qu'avant aux risques liés à internet et aux réseaux sociaux. Seulement 24 % des personnes interrogées considèrent avoir été totalement sensibilisées à ces risques.
60 % des jeunes ont affirmé avoir subi du cyberharcèlement. L'étude révèle que les jeunes ont plus souvent connu leur première confrontation à ce type de harcèlement entre 18 et 21 ans.
La difficulté d'en parler a été évoquée par 61 % de ces victimes de cyberharcèlement.
Et même si c'est en ligne, le cyberharcèlement est un délit, et donc puni par la loi. Les sanctions dépendent toutefois, de l'âge de la victime et de l'auteur. Si la victime a moins de 15 ans, l'auteur, s'il est majeur, risque jusqu'à 3 ans de prison et 45.000 € d'amende.
Informations pratiques
- 3020 : numéro gratuit d'écoute et de prise en charge pour les élèves, les familles et personnel encadrant (joignable du lundi au vendredi, sauf jours fériés, de 9 h à 20 h, et de 9 h à 18 h, le samedi).
- 3018 : numéro gratuit de prise en charge des victimes de cyberharcèlement à l’école (joignable du lundi au samedi, de 9 h à 20 h.)
- 04 42 91 75 00 : numéro de l'académie d'Aix-Marseille de signalement des situations de harcèlement
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04 93 53 72 51 : numéro de l'académie de Nice de signalement des situations de harcèlement