Il y a tout juste un an, plus de 3000 magistrats signaient une retentissante tribune pour alerter l'opinion sur l'état de la justice. Un an après, les magistrats se mobilisent à nouveau. Malgré l'annonce d'un budget de la justice en hausse, ils dénoncent des conditions de travail dégradées.
La justice n'a pas les moyens de fonctionner correctement à Marseille, estime Clara Grande, juge d’instruction et déléguée du Syndicat de la magistrature (SM). "Le tribunal des affaire de la sécurité sociale est oublié des mesures. Il déborde."
Selon elle la situation est préoccupante, dans une ville "précarisée, ou la justice a longtemps été délaissée". Avec des conséquences directes. "Au tribunal pour enfant, des mineurs restent en danger parfois pendant un an, le temps que les mesures puissent être mises en place."
Comme plus de 3000 de ses collègues, Clara Grande a signé il y a un an une tribune publié dans le journal Le Monde. Ils dénonçaient alors la souffrance au travail, la politique du chiffre, le manque de moyens, entre autres revendications.
Une prise de position collective inédite pour une profession plutôt habituée à la réserve. Un an après l'importante mobilisation nationale de décembre 2021, le constat du syndicat de la magistrature est sans appel : "rien n'a changé".
Un communiqué, signé par plusieurs organisations souligne tout de même deux avancées positives depuis l'an passé : "une libération de la parole des professionnels sur leurs conditions de travail déplorables, mais également une prise de conscience globale sur l’état de la justice en France forçant l’exécutif à réagir".
Le ministre de la justice, Eric Dupont-Moretti a en effet annoncé un budget en hausse de 8% pour l'année 2023 et plus de 2000 recrutements.
"On se réjouit de ces annonces mais on est dans une période de transition difficile on a besoin d'être accompagnés". Le temps notamment de former les nouveaux magistrats promis pas le ministre, et de remettre le système judiciaire à niveau.
"Travaille plus ou travailler mieux ?"
"A Marseille, la situation est tellement dégradée. A quoi on emploiera ces effectifs supplémentaires, s'interroge Clara Grande. Est ce qu'on les utilisera pour nous demander de travailler plus ? Ou pour travailler mieux ?"
Elle pointe notamment le manque de greffiers. "Sans eux, on ne peut pas tenir une audience et les décisions de justice ne peuvent être notifiées. On s'organise en permanence en fonction des pénuries. C'est épuisant."
Les syndicats font la liste des dysfonctionnements auxquels doivent toujours faire face les magistrats : "des audiences surchargées qui se terminent trop souvent au milieu de la nuit, des délais au-delà du raisonnable, des jugements non expliqués, des décisions exécutées plusieurs mois – voire années – après", note le communiqué.
A Marseille s'ajoute la question des moyens matériels. "Les locaux sont inadaptés à nos fonction on manque de salles d'audience, de bureaux", estime Clara Grande. "On nous parle de rationaliser les coûts des imprimantes et de n'en avoir qu'une par service. Ne plus avoir d'imprimante dans son bureau... Cela peut paraître anecdotique, mais ça s'ajoute au reste."
Un projet de construction d'une cité judiciaire regroupant tous les services est en projet à Marseille. "C'est un projet qui a 30 ans de retard. Et je ne crois pas qu'il aboutira en 2028 comme prévu" estime Clara Grande.
Au delà des moyens, Clara Grande souhaite également une "pause" dans les réformes. "Elles changent trop vite. Elles viennent sans cesse modifier nos activités."
Pas de rassemblement public à Marseille
Les magistrats se mobilisent à nouveau ce mardi 22 novembre, à l'initiative des syndicats SM et USM. pour rappeler que les états généraux de la Justice et les communications sur l’augmentation du budget de la justice "n’ont toujours rien changé à la situation dramatique du monde du judiciaire, de ses professionnels comme des justiciables."
Il n'y aura pas de rassemblement public à Marseille. Les magistrat préfèrent se retrouver pour échanger à l'heure de la pause déjeuner, au palais de justice. Ils seront accompagnés d'un psycho-sociologue du travail, précise Clara Grande.
"Notre objectif c'est de discuter et de trouver les ressources en interne." La profession est en proie à un épuisement collectif. Le 18 octobre dernier une de leur collègue est décédée en pleine audience au tribunal de Nanterre.