Comme Paris et Lille, et bientôt Lyon, la mairie de Marseille va proposer en conseil municipal, lundi, d'encadrer les loyers pour améliorer l'habitat sans risque d'inflation. Les professionnels du secteur s'inquiètent des effets pervers et l'expérience menée dans la capitale montre ses limites.
C'était une promesse de campagne de la candidate du Printemps Marseillais. Michèle Rubirola souhaite un encadrement des loyers à Marseille, à titre expérimental, pour permettre une rénovation du centre-ville sans inflation pour les locataires.
En conseil municipal lundi 23 novembre, la maire écologiste va présenter le projet qui sera soumis à la Métropole, seule compétente en la matière. Premier soucis : sa présidente LR Martine Vassal n'y semble pas favorable. Mais surtout, cette disposition serait au mieux inutile, au pire, elle deviendrait un frein à la location de logements, selon certains professionnels du secteur. Alors, vrai ou faux ?
Un loyer médian stable à Marseille
Dans les villes où l'encadrement est en vigueur, c'est le préfet qui fixe par arrêté un loyer de référence au mètre carré par type de logement. Ce dispositif est déjà appliqué à Paris depuis juillet 2019 et à Lille depuis mars. Lyon et Villeurbanne y sont candidates, comme Grenoble, Montpellier et Bordeaux. Cette mesure permettrait-elle de limiter la hausse des loyers à Marseille ? C'est un faux problème selon les professionnels du secteur, qui s'inquiètent des effets pervers de dispositif censé protéger les locataires."On veut réguler le montant des loyers pour permettre à plus de gens d'avoir accès à des logements, mais à Marseille les loyers sont déjà encadrés à la relocation depuis 2017", explique Didier Bertrand, président de la Fnaim Aix-Marseille."Depuis 2014, le loyer médian à Marseille n'a pas augmenté."
Ce nouveau dispositif concernerait donc la première location ou une location après 18 mois d'inoccupation. "On pourrait entendre cette volonté d'encadrer les loyers dans un marché où les loyers explosent, or depuis 2014, le loyer médian à Marseille n'a pas augmenté. Il est à 11, 90 euros le mètre carré et il n'a pas bougé", note-t-il.
Ce que confirme le baromètre de l'Observatoire Immobilier Provence :
[#Conjoncture] "Le prix médian des #loyers à #Marseille est de 11,9 €/m2 et de 14,70 €/m2 à #Aix. la situation est stable depuis 5 ans". #ThierryMoalic, directeur @ADIL_13officiel.
— OIP (@observatoireOIP) November 17, 2020
Retrouvez l'intégralité de la présentation du #BaromètreOIP sur https://t.co/Nh7cc47gb4 pic.twitter.com/pP36AJzNoH
"Effectivement, aujourd'hui, il n'y a pas de flambée évidente des loyers dans le centre-ville, c'est vrai", reconnaît Patrick Amico adjoint en charge de la politique de logement à la mairie de Marseille. Mais la nouvelle municipalité, qui veut mener une politique de rénovation dans le centre-ville pense qu "ça va amener une politique de loyers sans doute différente à terme. Et nous voulons avoir les outils pour encadrer cette politique de loyers à terme."
Le dispositif n'est pas là pour bloquer toute évolution de loyers.
"C'est un outil parmi d'autres, ce n'est pas un outil en soi pour aller faire du blocage de loyers ou mettre en difficulté les petits propriétaires bailleurs, souligne Patrick Amico.
"On va avoir une fuite des propriétaires"
Mais selon Didier Bertand, les effets seraient tout particulièrement pervers à Marseille, une ville pauvre où "les bailleurs sont majoritairement des petits propriétaires". "C'est un retraité qui a économisé toute sa vie pour acquérir un bien, généralement petit, pour avoir un complément de revenus pour vivre", détaille Didier Bertrand. Il estime que l'encadrement des loyers va dissuader ces propriétaires d'investir et de faire des travaux. Pire, "on va avoir une fuite des propriétaires"."Ils vont aller ailleurs, sur un autre territoire, pour eux c'est pareil qu'ils aillent à Toulon. Non seulement on n'aura pas rénové nos logements anciens dans le centre-ville, mais en plus, on va avoir moins, et ça va encore plus renforcer notre problématique", alerte-t-il.
Paradoxalement, l'encadrement des loyers pourrait aussi avoir un effet contraire à celui recherché et entraîner une hausse pour les locataires. Car s'il y a un plafond à ne pas dépasser, rien n'empêche un propriétaire qui serait en-dessous de relever son loyer.
Pour le président du syndicat qui regroupe 450 adhérents dans les Bouches-du-Rhône, encadrer les loyers n'est qu'une "solution à court terme" qui ne règlera pas le problème du logement à Marseille, et qui au contraire, ne fera que le renforcer."Un tiers des locataires seraient tenté d'augmenter leurs loyers."
Un bilan très mitigé à Paris
Didier Bertrand fait remarquer qu'à Paris, "ça n'a pas fonctionné". La mesure a, au contraire, fait grimper les prix, selon lui, et inciter les propriétaires à se tourner vers d'autres marchés comme la location de meublés entre particuliers, de type Airbnb.La capitale a été la première ville de l'Héxagone à avoir mis en place l'encadrement des loyers. Une étude réalisée en juin 2020 par le site d’estimation immobilière en ligne MeilleursAgents.com, montre qu'il y a bien eu un frein à la flambée des loyers mais seulement durant les six premiers mois suivant l’entrée en vigueur du dispositif. Un effet qui serait dû à la peur des contrôles. Mais ensuite, les loyers sont repartis à la hausse.
Le reste du bilan est aussi très mitigé. L'étude montre en effet que plus d'une annonce sur deux ne respecte pas l'encadrement des loyers dans la capitale. C'est encore plus flagrant dans la location des petites surfaces, 80 % des appartements de moins de 20 m2 sont trop chers. "Un an après sa remise en vigueur, l’encadrement des loyers est loin d’être respecté à Paris. Ce sont malheureusement les petits logements qui sont le plus dans l’illégalité alors que ce dispositif devait justement protéger les locataires de ce type de surfaces (étudiants, ...)", souligne Thomas Lefebvre, directeur scientifique de Meilleurs Agents dans un communiqué.
Le cabinet d'experts explique aussi que les infractions sont peu sanctionnées. De faibles contrôles, car il n'est pas possible de condamner un propriétaire pour une simple annonce au prix trop élevé, explique à Europe 1 le ministère du Logement. Il faut qu'un bail soit signé pour que l'infraction devienne réelle. Et c'est ensuite au locataire de signaler ce loyer abusif sur une plateforme en ligne. Une procédure longue et complexe. En un an, sur 51 recours déposés à Paris, seuls dix ont donc abouti à un abaissement du loyer.