Depuis son ouverture en juin 2022 à Marseille, la restitution de la célèbre grotte ornée fait le plein de visiteurs. Pari réussi pour un projet ambitieux qui a mobilisé des savoirs et des talents multiples. Un documentaire nous replonge dans les coulisses de ce chantier hors du commun.
Quand il a conçu la Villa Méditerranée, l’architecte Ivan Di Pol n’imaginait pas que son bâtiment, défi architectural aux dimensions atypiques, servirait un jour d’arche de Noé à une grotte submergée des calanques de Marseille.
Et pas n’importe laquelle : la grotte Cosquer, découverte en 1985 par le plongeur Henri Cosquer. Un site exceptionnel par sa richesse archéologique et son état de conservation. La cavité, vieille de plus de 30 000 ans, est ornée de centaines de dessins d’animaux, de gravures, d’empreintes de mains… autant de vestiges précieux laissés par nos ancêtres du Paléolithique.
Mais ce joyau de l’art pariétal est désormais menacé de disparition par la montée des eaux. Comment sauvegarder et valoriser ces fragiles traces d’humanité ? Longtemps évoquée par les politiques à Marseille, la construction d’une réplique est finalement lancée par le président de la Région, Renaud Muselier, à l’automne 2019.
Pendant près de deux ans, une véritable fourmilière humaine va s’activer sur l’esplanade du J4 : entrepreneurs, charpentiers, plasticiens, géologues, préhistoriens vont conjuguer leurs savoirs et leurs talents pour restituer, avec un réalisme minutieux, la célèbre cavité.
La grotte Cosquer, c’est 80 tonnes d’acier, 300 tonnes de béton, une équipe qui a travaillé à la conception puis à la construction pendant 2 ans…
Nicolas Feldkircher, entrepreneur
Un acte artistique et surtout patrimonial qui permettra au public d’admirer les oeuvres exceptionnelles du passé et de mieux comprendre l’évolution de nos sociétés.
Créer l'illusion
Reconstituer une grotte partiellement immergée à l’intérieur de la Villa Méditerranée était déjà un sacré défi. Si les lieux se prêtent au jeu - le bâtiment construit à fleur d’eau est doté d’un sous-sol à plus d’une dizaine de mètres sous le niveau de la mer – les difficultés ne manquent pas : il faut exploiter un espace plus petit que la cavité d’origine, gommer la superstructure et réussir à lui donner un aspect géologique le plus réaliste possible…
L’architecte Corinne Vezzoni sait qu’il va falloir jouer d'artifices et faire appel à des experts et des artistes pour relever le défi et créer l’illusion. Mais cela ne lui fait pas peur : "ces hommes préhistoriques faisaient avec l’existant aussi. Ils faisaient avec le volume, la spatialité de la grotte, et nous, architectes, on fait toujours pareil, on s’adapte à un lieu".
Au sous-sol, un ballet commence, au rythme des soudures, des découpes, des coups de truelles et de perceuses. Les corps de métiers se croisent, se complètent sur un ouvrage qui va les transformer, les marquer à jamais.
Le travail des artistes plasticiens
A des centaines de kilomètres de là, dans le sud-ouest, les équipes de Gilles Tosello et Alain Dalis entrent en action : c’est dans leurs ateliers que vont être reproduits les pariétaux, à partir des photos et relevés des scientifiques qui ont pu plonger dans la grotte.
Pour ces artistes plasticiens, déjà rompus au travail de réplique, Cosquer est un nouveau défi. "L’art préhistorique restitue une énergie, qui est conservée par delà les dizaines de millénaires, que l’on doit transmettre. Le but, c’est de traduire l’œuvre d’un autre et c’est là que ça devient difficile" confie Gilles Tosello. "La documentation a une très grande importance, particulièrement dans le cas de cette grotte qui est inaccessible".
Dans son atelier, des centaines de photos tapissent les murs, pour recueillir des informations visuelles à différents niveaux, de loin comme de près, dans les moindres détails…
"Surtout, il ne faut pas qu’on interprète ce qui a été fait. On doit avoir le plus grand respect de ces œuvres paléolithiques, donc on va refaire exactement comme c’est" souligne à son tour Alain Dalis. "Il faut vraiment qu’on sente l’impulsion du geste, la rapidité d’exécution, ça c’est très important parce que ça montre toute la maîtrise qu’avaient ces hommes préhistoriques".
Les panneaux en résine ainsi créés vont être intégrés – opération délicate - dans une superstructure d’acier et de béton, puis assemblés pour ne faire qu'une seule et même paroi.
Le chantier n’est pas encore terminé. Outre les parois ornées, il faut aussi reconstituer les strates géologiques, les concrétions, les couleurs... Là encore, le souci du micro détail est permanent, pour rendre le support parfaitement crédible.
"Dans la grotte Cosquer, on a tout le panel géologique, c’est très fouillé, presque de la dentelle, certains appellent ça une forêt géologique" explique Marc Burdet, chef des travaux. "Ces formations-là se font sur 17, 18 000 ans. Donc il faut tricher pour avoir la même vraisemblance et le même rendu final".
"Moi je suis un faussaire, je donne l’impression que les murs sont là depuis une éternité !" glisse Roger Mattei, artiste plasticien.
La mise en lumière a aussi toute son importance. Quelques jours avant l’ouverture, Solveig Pezin, conceptrice lumière, procède aux ultimes ajustements : "il y a 350 luminaires à régler en intensité, en orientation, et à cacher. L’idée, c’est de ne pas voir les luminaires, ni les sources…"
Un tunnel de 220 mètres de long
Contrairement à d'autres répliques, comme celle de Chauvet, ici le parcours n'est pas déambulatoire. Les visiteurs empruntent des "modules d'exploration", sortes de petits wagonnets circulaires qui les emmènent à basse vitesse le long d'un tunnel.
Un choix original lié à la configuration de la cavité d'origine. "La vraie grotte est penchée, elle débouche sur une cheminée qui monte très haut et un puits qui descend à 24 mètres. Et dans la grosse partie de la grotte, il faut parfois ramper, grimper, passer sous la roche, c'est extrêmement complexe... Donc en faire une grotte déambulatoire avait moins de sens" explique Sylvain Depitout, responsable communication de la réplique.
C'est pourquoi l'intérieur de la cavité a été entièrement scanné : "on a obtenu 344 scans différents, qu’on a remis à plat et qui numériquement ont été positionnés pour former un tunnel de 220 mètres de long".
De quoi s’immerger dans le monde de la Préhistoire et admirer de près les chefs d’œuvre réalisés par nos ancêtres.
Une nouvelle vie pour la grotte Cosquer ? Découverte il y a plus de 30 ans, cette dernière a été à un moment donné quelque peu oubliée : "elle s’est un peu dissoute dans la mémoire collective" observe Cyril Montoya, directeur de l'équipe scientifique. "La restitution va la faire redécouvrir une nouvelle fois..."
>> "Grotte Cosquer : de l’ombre à la lumière" et "Grotte Cosquer : des origines à la surface", deux documentaires de Jean-Claude Pascal Flaccomio à voir sur france.tv
Une coproduction France Télévisions / WeGo Productions.
Diffusion jeudi 21 mars 2024 à 22h50 sur France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur (première diffusion en 2022).