ENQUETE. Pourquoi voit-on de plus en plus de vidéos de fusillades ou de violences sexuelles sur les réseaux sociaux ?

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos à caractère violent ou pornographique sont accessibles. À Marseille, il n'est pas rare de retrouver des fusillades filmées et diffusées sur des plateformes numériques. Impressionner, humilier, méconnaissance de la justice : des experts nous expliquent ce phénomène grandissant.

Si vous utilisez les réseaux sociaux, vous avez sûrement dû tomber par hasard sur des vidéos filmées de fusillades ou même encore d'agressions sexuelles. Mais pourquoi y a-t-il autant de vidéos à caractère violent ou pornographique sur Twitter ou Snapchat ? Que risquent les personnes à l'origine de ces diffusions ? France 3 Provence-Alpes est allée rencontrer des experts sur la question.

  • Prolifération d'images violentes sur les réseaux sociaux

Les vidéos aux contenus violents ou pornographiques sont en "forte augmentation depuis septembre", selon Yasmine Buono, spécialiste en éducation numérique, même si la violence, elle, a toujours existé. "Ils sont de plus en plus jeunes, ça commence dès la sixième. Et ça touche tous les milieux", ajoute-t-elle.

Certains jeunes filment des bagarres, voire des fusillades, ou encore des agressions sexuelles. Hassen Hammou est le fondateur du collectif marseillais "Trop jeune pour mourir", qui lutte contre l'abandon des quartiers Nord de la cité phocéenne. Récemment, il a publié une vidéo sur son Twitter d'un jeune encagoulé tirer sur la façade d'un café dans le 14e arrondissement de Marseille. Quelques jours plus tard, il publie à nouveau une vidéo d'un homme que l'on voit cribler de balles la porte d'un appartement, celle d'une "mère de famille", selon le compte Snapchat qui a diffusé l'agression.

Début avril, un influenceur marseillais bien connu des réseaux sociaux sous le nom de Pirouette a filmé et diffusé le viol qu'il commet sur un mineur. Un acte qui a fait couler beaucoup d'encre sur les plateformes numériques. Il a, depuis, été placé en détention provisoire.

Ces vidéos sont choquantes et pourtant, elles sont très faciles d'accès sur les réseaux sociaux. "Aujourd'hui, ils n'ont plus peur de rien, y compris de se filmer dans leur folie. Il n'y a plus rien qui peut les arrêter", interpelle Hassen Hammou.

"Ça devient presque un réflexe pour les jeunes, qui ne réfléchissent pas à ce qu'ils postent. Exister sur les réseaux, c'est poster, montrer que sa vie a une importance", ajoute Yasmine Buono.

  • Un objectif : impressionner...

Mais alors quel est l'intérêt pour ces jeunes de diffuser ce genre de vidéos ? Pour les spécialistes, il s'agit essentiellement d'impressionner. "C'est un enjeu de réputation, ils pensent démontrer leur virilité par des images violentes, explique Margot Déage, post-doctorante en sociologie à l'université Toulouse Jean-Jaurès. Ça leur donne du crédit quand c'est diffusé sur la place publique."

"Envoyer des vidéos, c'est avoir de la reconnaissance, être connu et liké", rajoute Yasmine Buono.

"Si le quartier craint, les personnes qui appartiennent à ce quartier seront craints."

Margot Déage, post-doctorante à l'université Toulouse Jean-Jaurès

à France 3 Provence-Alpes

Pour les jeunes issus des milieux populaires, et notamment ceux qui sont originaires des quartiers Nord de Marseille, la volonté d'impressionner peut, parfois, prendre une autre dimension. Alors, il n'est pas rare de retrouver, au lendemain des fusillades qui ont réveillé le quartier, les vidéos de ces crimes, diffusées en toute liberté sur des plateformes.

Être "craint" peut devenir un objectif, selon Margot Déage. "On ne va pas s'en prendre au plus fort, au plus violent. Ils sont en principe du coup plus protégés."

Un comportement qui peut-être à double tranchant, puisque la "violence appelle la vengeance", pour la chercheuse. Et les représailles ne mettent pas longtemps à arriver... "Tout de suite, la bande en face va rappliquer et faire une vidéo de l'autre côté de la ville", précise Hassen Hammou.

Pour lui, il y a tout un fantasme autour de Marseille. "C'est une fierté bizarre de vouloir avoir une ville qui soit une vendetta permanente."

  • ...mais aussi une volonté d'humilier

Les spécialistes se mettent d'accord sur un fait : ces vidéos sont parfois publiées dans le but d'humilier. On parle ici d'happy slapping. "Les violences sont délibérément filmées avec l'idée d'humilier la personne et d'intimider le groupe qui est relié à cette personne", définit Margot Déage.

Pendant le confinement, des comptes "fisha" se sont créés. Les internautes divulguaient des photos et vidéos intimes de jeunes filles et femmes principalement, sans leur consentement. Le danger, Margot Déage nous l'explique, c'est qu'il n'y a pas de traces. "On ne sait pas à qui ça a été diffusé."

"Ils n'ont même pas conscience qu'il y a des victimes", ajoute Yasmine Buono qui échange quotidiennement avec des jeunes sur leur rapport aux réseaux sociaux.

    • Snap ou Telegram, des réseaux sociaux obscurs 

    Ces vidéos sont principalement diffusées sur Snapchat et Telegram. Les applications sont téléchargeables sur iOS et Android. Elles permettent d'envoyer des messages photos ou vidéos de manière éphémère, qui seront effacés rapidement. Aucune trace n'est laissée donc, en théorie.

    "Ça se crée en deux secondes. On ne sait pas qui vous êtes."

    Margot Déage, post-doctorante à l'université Toulouse Jean-Jaurès

    à France 3 Provence-Alpes

    En deux temps, trois mouvements, il est facile de se fabriquer une nouvelle identité. Changer son prénom, mettre une photo de profil qui ne nous ressemble pas, tout cela est possible. Un peu comme sur tous les réseaux sociaux finalement. Mais la différence ici est qu'il est impossible de consulter publiquement les contacts de l'internaute. Personne ne peut donc savoir à qui ils ont échangé des messages ou des photos.

    On peut créer une conversation sur Snapchat en invitant jusqu'à 100 personnes. Pour Telegram, il n'y a pas de limites de participants. Ces réseaux sociaux sont donc largement utilisés pour diffuser des images pornographiques et pour le trafic de drogue.

    Le stockage de données reste très obscur avec ces applications. Les messages ne restent pas si secrets que cela... En 2014, près de 13 gigaoctets d'images volées sur Snapchat circulaient sur la toile. Cela correspond à 90 000 photos et 9 000 vidéos. Entre 5 et 10 % des photos et des vidéos concernées ont été envoyées ou reçues par des utilisateurs de Snapchat dans un échange à caractère sexuel, révélait le journal Le Monde.

    • Coopèrent-ils avec la police ?

    Même si les utilisateurs "pensent que Snapchat va échapper à la police, que ça va échapper au regard du monde adulte", selon Yasmine Buono, ce n'est pas le cas. 

    "Les codes de procédure pénale française permettent aux autorités de faire des réquisitions (auprès de ces plateformes numériques) dans le cadre d'une enquête sur une personne qui a commis une infraction pénale", explique Michel Leclerc, avocat associé du cabinet Parallel avocats.

    Les sièges sociaux de ces deux applications sont situés à l'étranger, Snapchat à Santa Monica, en Californie, Telegram à Dubaï, aux Émirats arabes unies. Mais alors, si ces entreprises ne sont pas basées en France, peuvent-elles être contraintes par nos lois ? C'est le cas, d'après Michel Leclerc. "À partir du moment où le service est disponible en France, ces plateformes sont tenues de respecter les règles. Elles sont d'ailleurs sanctionnées si elles ne collaborent pas avec la police."

    • Des preuves utilisées pour les enquêtes judiciaires

    Les vidéos ou photos constituent des preuves pour les forces de l'ordre. "Les services d'enquête récupèrent ces vidéos. Tout ce qui peut faire éléments de preuve peut être utilisé, au même titre que l'on utilise des vidéos de caméras de surveillance", confirme la préfecture de police des Bouches-du-Rhône à France 3 Provence-Alpes.

    Par exemple, l'influenceur Pirouette, évoqué plus tôt, a été interpellé par les forces de l'ordre, après la publication d'une vidéo postée sur son compte TikTok, où l'on assiste au viol qu'il commet. De nombreux signalements avaient été réalisés sur la plateforme gouvernementale Pharos. Il n'a donc pas été difficile pour la police de retrouver ce contenu, largement relayé sur la toile.

      • Méconnaissance totale des conséquences juridiques 

      Ce qui frappe le plus les experts lorsqu'ils échangent avec les jeunes internautes, c'est la méconnaissance des conséquences de leurs actes et des sanctions juridiques. 

      "La plupart des jeunes que l'on rencontre n'ont absolument pas de prise de conscience des impacts que cela peut avoir. Ils ont aussi une méconnaissance de la loi. Lorsqu'ils postent, ils voient plus l'usage récréatif. Ils pensent qu'ils sont dans un monde de jeunes et pas d'adultes", nous confie Yasmine Buono.

      • Quelles sont les sanctions ?

      L'avocat Michel Leclerc nous explique que la diffusion d'images pédopornographies ou de bagarres constitue une "infraction pénale". "C'est une violation de la vie privée.

      L'article 226-1 du code pénal punit d'un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende le fait de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé. 

      Photographier, filmer une personne ou transmettre son image, sans son accord, lorsque l'image a un caractère sexuel, est sanctionné de 2 ans d'emprisonnement et de 60 000 € d'amende.

      Diffuser cette photo ou cette vidéo, même si elle a été obtenue avec l'accord de la personne, est également sanctionné. C'est la pratique du revenge porn. La sanction est de 2 ans d'emprisonnement et de 60 000 € d'amende.

      • Choquer pour sensibiliser 

      Hassen Hammou fait de la sensibilisation auprès des jeunes et selon lui, pour que cela s'arrête, "il faut choquer". C'est pour cette raison qu'il a choisi de diffuser ces vidéos de fusillades sur son Twitter. "C'est la seule arme que nous avons. On se met en position de lanceur d'alerte."

      La fusillade rue de Lyon à Marseille a cumulé plus de 100 000 vues et a été partagée de nombreuses fois. "Ça montre que l'opinion publique ne s'en fout pas", justifie-t-il.

      Le Marseillais espère que, par la diffusion de ce genre de vidéos, les politiques publiques s'empareront du sujet et mettront plus de moyens dans la lutte contre le banditisme. L'élu a, d'ailleurs, mis en ligne une pétition où il demande la création d'une commission d'enquête parlementaire et le durcissement de la loi face aux armes à feu.

      • Éduquer les jeunes générations

      "Il faut absolument informer les parents d'agir, d'éduquer leurs enfants. Il faut agir avec l'école." Yasmine Buono a une tout autre approche pour sensibiliser les jeunes face à leurs responsabilités, et cela passe par l'éducation.

      Elle propose des formations à disposition des parents, où elle répond à toutes leurs questions, notamment sur le temps d'écran et sur la consommation de vidéos pornographiques. "Quand les enfants sont éduqués par leurs parents, on a une meilleure prise de conscience chez les enfants."

      L'éducatrice développe aussi des modules de formation pour les professionnels, et particulièrement à destination des enseignants, des chefs d'établissement et des infirmiers scolaires.

      • Demander de l'aide

      Pour se faire aider, il existe des numéros de téléphone gratuits. Pour signaler une situation de harcèlement entre élèves, il faut appeler le 3020. En cas de cyberharcèlement, vous pouvez joindre le 3018

      Si vous subissez des violences sur internet ou des violences sexuelles, physiques et morales, vous pouvez également contacter Jeunes violences écoute et appeler un numéro gratuit, le 119.

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