Ces 28 et 29 novembre 2022, la ville de Marseille a organisé les Etats généraux du logement à la friche de la Belle de Mai. Élus, collectivités, bailleurs sociaux, promoteurs et associations se sont réunis pour trouver des solutions et venir en aide aux plus précaires.
Il y a urgence. Quatre ans après le drame de la rue d'Aubagne, qui avait causé la mort de huit personnes, la question du mal-logement est toujours brûlante à Marseille. Pendant deux jours, acteurs du logement et municipalité ont pris part à des débats. Objectif : trouver des solutions concrètes à une situation qui perdure. Permettre à tous les Marseillais de se loger dignement : l'objectif est ambitieux. "Depuis 2020, la ville a mis toutes ses forces dans la lutte contre le mal-logement" assure la municipalité. Mais cet énorme dossier prend du temps.
"Habitué.es des grandes messes (la Métropole avait déjà tenu ses assises du logement en 2019), nous espérons cette fois que des objectifs communs seront définis et mis en actes".
Mouvement citoyen "Nos vies, nos voix"
"Quatre années se sont écoulées et lorsque l’on n'est pas ou mal-logé.e.s, “la politique du temps long” devient un discours inaudible"", précise le collectif "Nos vies, nos voix" dans une tribune. Ce mouvement citoyen marseillais réuni depuis six mois des acteurs et actrices associatives, des avocats et des élus.
40 000 demandes d'HLM
Première étape : le constat, grave, dont tout le monde s'inquiète.
Plus que jamais, le logement est un enjeu de civilisation et parce que nous ne voulons pas d’une société qui abandonne les siens, et qui laisse ses enfants vivre dans des bidonvilles, et parce que nous ne voulons pas d’une société qui enferme des milliers de familles dans des logements insalubres, vétustes et dangereux, nous devons faire de Marseille, la ville de la dignité retrouvée.
Benoît Payan, maire de Marseille (Le Printemps marseillais), lors des états généraux du logement, le 28 novembre 2022
870 731 habitants à Marseille où 26% de la population disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté. La cité phocéenne a donc besoin de logements sociaux. Or, 40 000 demandes sont en attente. Sur les 453 857 logements que compte la ville, 16% sont des HLM (habitations à loyer modéré). Pourtant, 73% des ménages marseillais sont éligibles au logement social. De plus, 14 000 personnes sont sans logement à Marseille dont 1 000 vivant dans 36 bidonvilles d'après la DIHAL et 6 000 vivant dans des squats, d'après le collectif "alerte PACA".
Choisir quel ménage aura accès à une HLM est donc un véritable casse-tête. "À chaque fois, c’est des situations très compliquées qui sont face à d’autres situations très compliquées et quand on a 40 000 demandes pour 5 000 offres, c’est complexe. Mais c’est fait de la façon la plus transparente possible", rapporte Eric Pinatel, directeur du bailleur social UNICIL, au micro de Nathalie Ramirez et Nicolas Chaix Brian, notre équipe sur place.
40 000 logements indignes
L'accès au logement est un premier problème à Marseille, et pas des moindres. Il faut ensuite que ce logement soit salubre. Nouvelle problématique. La cité phocéenne compte 40 000 logements indignes, d'après le rapport Nicol (2016). Autour de cette question, celle du relogement.
Depuis le drame de la rue d'Aubagne, "800 immeubles ont été évacués, ce qui pose la question du relogement et du devenir du logement ancien" explique Jean-Jacques Haffreingue, directeur de SOLIHA Provence, association et bailleur social, invité du journal de 19 heures de France 3 Provence-Alpes, ce lundi. Celui qui participe à ces états généraux tient à préciser : "un immeuble sur deux est évacué par semaine à Marseille, donc la question du relogement se pose vraiment".
Rénovation urbaine
Dans le quartier de la Solidarité par exemple, les habitants, comme beaucoup de Marseillais, se plaignent d'insalubrité. Punaises de lits, cafards, ascenseurs en panne, précarité énergétique... Une fois le logement social obtenu, difficile de partir. Il n'y a que 5% de rotation dans ces appartements. "Sauf que pendant vingt, trente ans, aucun travaux n'est entrepris à l'intérieur", rapportent les habitants.
À l'extérieur en revanche, la cité a bien évolué. Elle fait partie des premières à avoir bénéficié de rénovations urbaines. Pour désenclaver certains quartiers prioritaires, depuis 2010, des chantiers sont lancés à Marseille. De plus, la ville a défendu, en mars 2022, auprès de l’agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), un projet portant sur 10 quartiers prioritaires à hauteur de 2,7 milliards d’euros lors du comité d’engagement national.
À la solidarité, des travaux ont permis la mise en place d'une deuxième route. Avant, il n'y avait qu'une entrée et qu'une sortie. Aussi, un chantier est en cours pour aménager une piste cyclable, un terrain synthétique, mais aussi un terrain de basket.
4 500 nouveaux logements par an
À cette immense question du mal-logement, la municipalité répond par plusieurs plans d'action comme la rénovation urbaine donc. Mais il y a surtout le "programme local de l'habitat métropolitain" ou PLH, qui doit durer de 2023 à 2028. Il s'agit de propositions comme, notamment, la création de 4 500 nouveaux logements par an pendant six ans donc, dont 1 500 logements sociaux. La municipalité entend porter à 30% l'obligation de construction de logements sociaux dans tous les quartiers de la ville.
Puis il y a la nouvelle "charte de relogement" du 1er octobre 2021. En cours : la création de places d'hébergement d'urgence, de douches municipales ou encore l'amélioration de l'accès au logement des étudiants à Marseille avec la création, entre autres, de deux résidences universitaires.
Concernant la précarité énergétique, le 30 septembre 2022, le Conseil municipal a approuvé la création d’un "service local d’intervention pour la maîtrise de l’énergie (SLIM+)". Ce dispositif devrait permettre d’intervenir auprès d’environ 400 à 450 ménages par an.
Insalubrité et relogements
Benoît Payan, le maire de Marseille, a choisi d'exercer son pouvoir de "police de l’habitat (Article L511-3)", "lorsque les mesures et les travaux ordonnés concernant les logements soumis à des arrêtés de mise en sécurité ne sont pas réalisés dans le délai fixé", rapporte un communiqué de presse de la municipalité, au sujet de ces états généraux. Et de reprendre : "pour réaliser ces travaux d’office, le Conseil municipal a voté, dès juillet 2020, un budget de 48 millions d’euros qui sera déployé sur 4 ans."
Contre l'insalubrité, la mairie assure former et sensibiliser son personnel et des associations, mais aussi acheter du matériel de désinfection et assurer une campagne de prévention et d'information. Des signalements citoyens sont possibles via le centre d'appel Allô mairie au 3031.
Marchands de sommeil
La lutte contre ces logements insalubres nécessite de combattre les marchands de sommeil. En amont des Etats généraux, Benoît Payan avait annoncé vouloir renforcer les sanctions à leur encontre.
Tripler les peines de prison et les amendes, interdire l'achat de logement pendant 30 ans au lieu de 10 actuellement, rendre obligatoire pour les syndics de signaler les cas de marchands de sommeil ou encore la création d'un registre national des marchands de sommeil font partie des volontés du maire de la ville.
Contrôles techniques des logements
Le collectif "Nos vies, nos voix", lui, propose une "loi rue d'Aubagne" contre l'habitat indigne. "Cette proposition citoyenne de loi fait état de solutions pragmatiques et de révolutions institutionnelles à la hauteur des enjeux climatiques et sociaux qui sont devant nous" écrit le mouvement citoyen dans une tribune, publiée par Libération.
On établit que 4,3 millions d’habitats supplémentaires sont en danger au regard de l’inaction publique et de la crise climatique, s'ajoutant aux 3,5 millions de personnes vivant dans de l'habitat indigne et aux 12 millions de personnes en situation de précarité énergétique. Certaines mesures pourraient être expérimentées localement pour « montrer l’exemple ».
Collectif "Nos vies, nos voix"
Le collectif réclame "ce droit à l’expérimentation locale" articulé autour de trois objectifs :
- "Rendre applicable la réglementation existante avec de nouveaux outils qui vont des moyens aux institutions judiciaires jusqu’à la possibilité encadrée de grève des loyers lorsque nécessaire, en passant par l’évolution des polices administratives locales"
- "La construction d’un pôle public de lutte contre l’habitat indigne, en déployant un cadastre du logement permettant le suivi des problématiques immeuble par immeuble et la mise en place d’un contrôle technique tous les cinq ans de chaque logement, à l’instar de ce qui est fait pour le parc automobile. Il s’agira également de mobiliser enfin sérieusement les institutions policières et judiciaires pour lutter contre cette délinquance sociale qui sévit chez les propriétaires indignes et protéger concrètement leurs victimes, quelle que soit leur situation et nationalité"
- "La reconstruction d’une économie dédiée, par exemple en bloquant les prix des (éco-)matériaux, en développant la formation et de nouveaux emplois socialement et écologiquement souhaitables, en régulant le marché, les professions de l’immobilier et en démarchandisant le logement"
Le collectif propose une mobilisation nationale.
Encadrement des loyers
Ces Etats généraux se sont achevés ce mardi.
L'une des premières mesures adoptées, validée par le gouvernement : l'encadrement des loyers à Marseille. En effet, le ministre délégué au Logement, Olivier Klein, a donné son feu vert lors de la clôture de ces Etats généraux. Cet encadrement des loyers était une volonté répétée de la municipalité pour lutter contre les difficultés de logement dans la grande ville la plus pauvre de France. Olivier Klein a assuré que cette demande sera "une priorité" de son administration.
Les loyers sont déjà encadrés à Paris et dans dix-huit communes de Seine-Saint-Denis ainsi qu'à Lille, Montpellier, Bordeaux, Lyon et Villeurbanne. Ils le seront donc également à Marseille-centre, mais pas dans les 91 autres communes de la collectivité.
La métropole, Aix-Marseille Provence, elle, dirigée par Martine Vassal (Les Républicains), craint qu'une telle mesure "ne vienne gripper encore plus le système" et notamment la construction, d'après l'AFP.