Plan Macron à Marseille : l'exemple du parc Corot, cité en déshérence, symbole du mal logement et de la violence

Le parc Corot, citée dégradée du 13e arrondissement de Marseille, fait partie d'un plan de sauvegarde initié en 2016 par la Métropole Aix-Marseille. Cinq ans plus tard, les premières actions concrètes s'engagent dans un climat tendu, au milieu des trafics et des violences.

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Le 17 septembre, sur un terrain vague du parc Corot, un homme a été tué et brûlé. Un règlement de comptes, un de plus. En avril dernier, un homme de 21 ans était abattu de trois tirs de 9 mm. C'est le quotidien chaotique des habitants de cette cité délabrée du 13e arrondissement de Marseille.

Corot, ce sont aujourd’hui 376 logements allant du T2 au T5 répartis sur sept bâtiments s’étendant sur 4,81 hectares.  C’est aussi 40 garages répartis sur trois bâtiments, et cinq commerces situés à l’entrée Ouest.

Entre squats, trafics et prostitution, le parc Corot est le théâtre de violences depuis plusieurs années. C’est aussi le symbole du mal-logement à Marseille. Rien de comparable avec la carte postale du début des années 1960. 

"Il y avait une mixité sociale fabuleuse"

Marcel Ferreres a connu les débuts de Corot. Les pelleteuses, la construction de la tour principale, celle des six autres bâtiments. Quelque temps après l'indépendance de l'Algérie, la famille Ferreres s'est installée au premier étage du bâtiment A.

Les souvenirs sont intacts : "Les habitants venaient de partout, il y avait mixité fabuleuse. Tout le monde vivait en bonne harmonie, on était heureux".

Marcel Ferreres a vécu la "belle époque" du parc Corot, jusqu’en 1966. "Il y avait l'épicerie de monsieur Maurice, le marchand de légumes vietnamien monsieur Michel, le salon de coiffure Valenza. Des catholiques, des musulmans... mais pas de racisme"

A l'époque, le petit Marcel fait de la musique avec le fils de M. Michel. "On se retrouvait sur le petit muret du bâtiment B, (détruit aujourd'hui, ndlr), on jouait au foot au stade Weygand. Il n'y avait jamais de bagarres, jamais d'agressions. Les immeubles étaient intacts, bien entretenus"

Jacques Chanard, propriétaire d'un appartement dans le bâtiment C depuis 45 ans, a connu cette époque dorée. Il s'en souvient avec nostalgie. "C'était un vrai parc. C'était fort plaisant. On a eu une trentaine d'années paisibles".

Aujourd’hui, Corot n'a de parc que le nom. Si elle est restée la citée de coeur de Marcel Ferreres, elle ne ressemble en rien à ce qu’il a connu. "Ca me rend malade de voir l'état actuel des choses, ça me fait de la peine".

Pour comprendre sa descente aux enfers, il convient de revenir à la genèse de Corot.

Une dégradation progressive

La construction des huit immeubles de la cité s’est achevée en 1964, deux ans après l’arrivée de plus de 450.000 rapatriés d’Algérie. Le parc Corot est alors géré par un syndic général et des syndics secondaires pour chaque bâtiment.

"A partir des années 1970, il y a eu les premières dégradations. Les ascenseurs ne marchaient plus, des poubelles brûlaient", raconte Marcel Ferreres. Le bâti se dégrade et les propriétaires laissent place à de plus en plus de locataires.

La spirale de la dégradation arrive à un point de non-retour pour le bâtiment B. En 1980, le préfet prend un arrêté d’insalubrité remédiable.

Mais plusieurs rapports mènent à un constat sans appel. Le bâtiment B est compromis, irrémédiablement. II est frappé d'un arrêté de péril et démoli, après 11 ans d’attente pour les habitants.

La situation n'a fait qu'empirer. Les autres bâtiments connaissent, eux aussi, une progressive dégradation, le parc se paupérise, et l’insécurité se renforce.

"Il y a eu les premiers squats en 2015, et différents trafics se sont installés", se désole Jacques Chanard.

Des diagnostics, des plans… mais pas de solutions

Après des années d’impuissance et d’indifférence, Corot est intégré au programme de rénovation urbaine (PRU) du quartier Saint Paul adjacent lancé dès 2006… avant d’en être finalement exclu.

Les syndics généraux se succèdent. En 2011, Leandri prend la suite de la Sagec, pour finalement donner la main à Cogefim Fouques en 2015. La situation du parc s’empire.

En 2015, la société Urbanis est mandatée par Marseille Rénovation Urbaine pour réaliser un diagnostic du parc. "La copropriété n’est plus qu’un théâtre d’ombres", conclut le rapport, un "produit immobilier cul-de-sac pour les plus démunis"

La même année, le rapport NICOL souligne les failles dans la gestion de l’habitat indigne à Marseille. Le parc Corot est à nouveau inclus dans un plan exceptionnel. 

Il faut attendre 2016 pour que naissent les prémices du "plan de sauvegarde" du parc Corot, par la préfecture des Bouches-du-Rhône. Sur une durée de cinq ans, il a pour but d’acquérir les logements pour rénover, démolir, reloger. Son budget : 18 millions d'euros. 

En 2017, Corot est ciblé parmi 14 quartiers prioritaires marseillais pour un protocole de préfiguration du nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU) de la métropole. 

En 2018, la députée Alexandra Louis, en charge d'un rapport sur l'habitat dégradé à Marseille, alerte le gouvernement sur la situation du parc Corot.

"La situation du Parc Corot relève aujourd’hui de l’extrême urgence, et concentre des problématiques économiques, sociales, sécuritaire, de droit et de bâti", peut-on lire dans ses conclusions.

Un combat qu’elle continue de mener aujourd’hui.

La ville, la métropole et l’Etat au secours de Corot

Après des décennies de diagnostics et de plans divers, les choses semblent frémir en 2018. En mars, la Métropole Aix-Marseille-Provence lance un projet d'aménagement au parc Corot et le confie à l'opérateur CDC Habitat.

En octobre de la même année, le secrétaire d'Etat auprès du ministre du Logement, Julien Denormandie, dévoile son plan de lutte contre l'habitat indigne dans les grandes copropriétés. 

Cinq copros marseillaises sont concernées, dont Corot. Trois milliards d'euros sont mobilisés sur dix ans pour transformer et rénover les copropriétés dégradées.

"Ces sites ont été choisis en fonction de l’urgence de leur situation. Cela signifie qu’ils feront l’objet d’un pilotage direct par l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (Anah) et l’agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) en lien avec les chefs de projets désignés pour le suivi de chaque site, assure le secrétaire d'Etat. (..) Cela signifie aussi qu’elles feront l’objet d’un financement prioritaire".

Dans l'attente de l'état de carence

Le contrat de la métropole confié à CDC habitat prévoit la rénovation de l'ensemble du parc Corot. "Dans ce cadre, on est chargé d’acheter un certain nombre de logements, de démolir une partie des bâtiments, de reloger les ménages concernés et réaménager des espaces libérés par démolitions", explique Arnaud Cursente, directeur général adjoint en charge des territoires. 

La priorité pour CDC habitat : les bâtiments A et C. "Pour le bâtiment A, on s'oriente vers une démolition. Idem pour le bâtiment C". Ces décisions sont tributaires de la capacité à bénéficier d'un droit d'expropriation sur ces bâtiments. 

Pour ce faire, le juge doit constater la carence de ces copropriétés. En effet, l’article L615- 6 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que, lorsque le syndic est dans l'incapacité d'assurer la conservation de l'immeuble ou la sécurité et la santé de ses occupants, il est possible de saisir le Président du tribunal de grande instance. C’est ce qu’a fait Gillibert, pour les bâtiments A et C. 

En clair, le tribunal envoie des experts sur place pour évaluer l'état du bâtiment et la situation financière de la copro. Si le juge conclut à l'état de faillite, il peut prononcer l'état de carence. 

Les procédures sont lancées sur les bâtiments A et C. Des audiences sont prévues entre l'automne et la fin d'année. "On espère avoir une décision de justice avant la fin de l'année", vise Arnaud Cursente. 

Des achats à l'amiable aux expropriations

La CDC habitat assure qu'aucune expropriation n'a eu lieu à ce stade. "On achète à l'amiable. On discute en direct avec les propriétaires et on utilise le droit de préamption". Ce droit permet à la CDC habitat de se substituer à l'acquéreur.

"Les préamptions sont effectuées à des prix cohérents avec ceux des acquisitions à l'amiable. Le tout validé par les domaines, les services de l'Etat qui valident les prix"

C'est un combat moral pour refuser une spoliation honteuse.

Jacques Chanard, propriétaire à Corot

Des prix qui ne satisfont pas tous les propriétaires, comme Jacques Chanard. "On a dit aux propriétaires : 'On vous offre 20.000 euros', mais les appartements valent 80.000. Certains ont cédé mais d'autres refusent de se faire dépouiller à vil prix. C'est un combat moral pour refuser une spoliation honteuse".

"On a acheté plus de 80 logments sur tout Corot, estime la CDC Habitat. Une vingtaine d'acquisitions sont en cours, ajoute Arnaud Cursente. D'ici la fin de l'année, on aura acheté le tiers". 

Une situation "exceptionnellement compliquée"

En parallèle de ces acquisitions, la CDC habitat assure effectuer des études sur les autres bâtiments pour évaluer les besoins de travaux. Des procédures ont été récemment achevées, des mises en sécurité "non-visibles". Le dispositif d'évacuation des fumées remis à neuf, par exemple. 

"Lorsque l'on achète des logements, on veille à ce qu'ils ne soient pas squattés. Mais la situation est exceptionnellement compliquée", note Arnaud Cursente. La CDC tente de sécuriser les logements en installant des portes anti-intrusion face à des "tentatives de squat immédiates".

Le parc Corot a-t-il la capacité de rester une copropriété privée? Arnaud Cursente n’est pas convaincu. "L'administrateur judiciaire n'a pas les fonds pour engager les travaux".

L'administrateur AJA face à la dette abyssale

Dès 2016, MRU a sollicité la désignation d’un administrateur judiciaire pour le parc Corot. Et ce, pour pallier les défaillances du syndic général et des syndics secondaires. En 2017, Gilbert est désigné par le tribunal de grande instance de Marseille. 

Un an plus tard, Gillibert laisse sa place à AJA, par décision judiciaire. Mais Gillibert jette l’éponge et sollicite son remplacement. En septembre 2018, AJA récupère le lourd dossier et ses innombrables défaillances. 

"On a repris la comptabilité sur tous les bâtiments, depuis 2015", explique Nicolas Deshayes, administrateur judiciaire d'AJA associés. Cela correspond à 37 arrêtés comptables en deux ans et demi. AJA reprend également la procédure de carence sur les bâtiments A et C. 

"Au quotidien, nous faisons de très nombreuses interventions mais hélas, dictées par la trésorerie de la copropriété". A ce jour, la dette copropriétaire sur tous les bâtiments s'élève à 2 millions 455 mille euros, et près d'1 millions 800 mille pour les seuls bâtiments A et C.

Si l'on divise par le nombre de lots, 423, cela fait près de 5.800 euros par propriétaire. 

"Il y a un effet volume dévastateur"

Le gros du travail de l'administrateur judiciaire consiste à préparer les travaux d'urgence dans le cadre du plan de sauvegarde. "Les travaux ont déjà débuté, c'est un volet colossal". Des travaux dont "l'intégralité du coût est financé par l'Anah et la métropole", rappelle Nicolas Deshayes.

Dès son arrivée en 2018, AJA alerte la ville de Marseille sur l’état du bâtiment A, et notamment sur les défaillances en matière de sécurité électrique. AJA pointe "un risque d’incendie majeur lié aux squats".

Ces derniers relient les appartement aux colonnes d’eau avec des tuyaux d’arrosage et créent des dégâts des eaux, les branchements électrique sauvages sont tout aussi hasardeux.

En décembre, le bâtiment A du parc Corot est évacué et en partie muré. Puis re-squatté. Puis muré plus haut encore. 

L'administrateur judiciaire assure effectuer des réunions tous les trois mois avec les services de police et la préfecture, avec les associations de quartiers. "On a un vrai suivi sur cette affaire". Il ne nie cependant pas la lenteur du processus de sauvegarde. 

"Il y a un effet volume dévastateur", commente Nicolas Deshayes. Au total, à Corot, plus de 40 % des copropriétaires ont des impayés à ce jour. Le principal poste de dépense étant l’eau, notamment à cause des fuites, les réseaux vétustes et les branchements sauvages.

Le travail d’AJA est aussi freiné par une communication difficile voire absente avec les propriétaires. "On ne peut pas joindre les propriétaires des logements occupés". Ces derniers se désintéressent de la copropriété. "La majorité n’ont pas la capacité d’être copropriétaires"

"Seule la carence peut casser cette spirale infernale pour autonomiser les derniers bâtiments qui peuvent être sauvés".

Les squats, nœud du problème ?

Jacques Chanard ne se déplace plus directement à son appartement à Corot. Il s'est fait agresser par trois jeunes il y a quelques années.

"Nous avons aujourd’hui deux appartements squattés par des Nigérians extrêmement dangereux. Leur présence est signalée. AJA n'intervient pas, ni la préfecture de police".

Le propriétaire regrette que l'administrateur judiciaire ait "rapidement cessé de participer aux réunions avec les propriétaires"

"Ce que nous souhaitons aujourd'hui, c'est de mettre fin à l'administration judiciaire. On veut un syndic qui gère sous notre surveillance. Nous continuerons à nous battre".

"Aujourd'hui, quand le pourcentage de squatteurs est trop important, les propriétaires nous disent : 'on fait la grève des charges'. C'est une spirale. La rénovation fonctionnera s'il y a une volonté politique d'évacuer les squatteurs", estime-t-il. 

"Si on veut que Corot redevienne une résidence convenable, il faut que les squatteurs soient évacués dès le lendemain. Ce qui compte, c'est la rapidité d’intervention"

Johan Mahé, président de l'association "Corot Debout Déterminés", assure avoir fait les signalements nécessaires. "J'ai envoyé des dizaines de lettres aux différents préfets, aux commissaires divisionnaires et autres. Les squatteurs d'origine nigériane installés à Corot sont laissés en toute impunité"

Le jugement de l'état de carence pourrait tomber en décembre. "Si la carence est confirmée par le juge, nous lancerions immédiatement l’expropriation des bâtiments en question", déclare Arnaud Cursente.

Avant l'expropriation, deux recours sont possibles : soit sur la décision même de l'état de carence, soit sur le montant d'indemnisation d'expropriation. 

"Si la carence est contestée, les travaux de rénovation ne sont pas près d'arriver...", lâche la CDC Habitat. Et le parc Corot de s'enfoncer un peu plus dans la spirale de l'abandon.

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