"Mardji", "la cantchine"... Non, l’affrication, cette tendance de langage très répandue à Marseille, n’a rien à voir avec l'Afrique

L'affrication, mode linguistique qui pousse les ados à escamoter les consonnes, est dénoncée par Eric Zemmour comme un signe du "grand remplacement" de la population française. France 3 Provence-Alpes a analysé avec des linguistes un phénomène aux origines avant tout sociales.

C'est la nouvelle tendance qui fait virevolter la langue des collégiens. Déjà populaire dans le Sud et en particulier à Marseille, l'affrication, cette façon familière de malmener la prononciation des consonnes en remplaçant les sons "t" et "d" par "tch" et "dj" (votre ado prononcera "Didier", Djidier et "tu", tchu") fait désormais fureur dans les établissements scolaires de la France entière. À l'extrême droite, certains fulminent contre cet escamotage du Français. Sur le réseau X (anciennement twitter) Eric Zemmour avance que l'affrication ne serait rien de moins qu'une preuve de l'existence du "grand remplacement", soit le remplacement de la population française par une population immigrée.

Mais peut-on vraiment faire de l'affrication, une "africanisation" comme semble le suggérer le chef du parti Reconquête ? Pour le déterminer, France 3 Provence-Alpes a sollicité les avis de Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste à l'université d'Aix-marseille et de Cyril Trimaille, enseignant-chercheur en sociolinguistique à l'Université Grenoble Alpes.

L'affrication n'a étymologiquement rien à voir avec l'Afrique

"Le terme affrication vient du latin et signifie étymologiquement 'frotter'. Étymologiquement, cela n'a rien à voir avec le continent africain", affirme d'emblée Cyril Trimaille. "Il s'agit de la combinaison de deux modes d'articulation des consonnes. Une première articulation 'par occlusion''- c'est-à-dire la bouche fermée -, "suivie d'une friction" quand la bouche s'ouvre et l'air "chuinte" en sortant (le fameux "ch"). L'intérêt d'une telle articulation est de faciliter la prononciation de la consonne explique l'universitaire.

L'affrication est "un phénomène linguistique banal", ajoute Méderic Gasquet-Cyrus. Géographiquement, on la retrouve dans les langues romanes comme l'italien et aussi au Québec. En France, l'affrication est d'ailleurs une réalité linguistique ancienne, étudiée depuis les années 80, après une première constatation dans les années 50 dans le français parlé des Français rapatriés d'Algérie, pointe le linguiste.

Bien qu'il soit difficile de situer exactement sa provenance, "la question de l'origine étrangère est peu pertinente", tranche Médéric Gasquet-Cyrus. Si le chercheur concède que le "taux d'affrication" de la population française d'origine maghrébine dans les quartiers populaires, et notamment dans les quartiers Nord de Marseille, est plus élevé, cela ne signifie pas que cette prononciation soit emblématique de cette dernière.

Une prononciation populaire avant tout

"On ne peut pas dire que l'affrication vient de l'arabe, car il s'agit d'un phénomène social" et non ethnique, justifie Médéric Gasquet-Cyrus."L'affrication est en fait une manière de parler populaire ou des classes populaires indifféremment de leurs origines, et qu'on retrouve aussi en dehors des banlieues" abonde Cyril Trimaille. "Les écarts de langage sont moins contrôlés dans les milieux populaires que dans les milieux sociaux plus élevés où vous subissez une pression sociale sur votre parole", justifie Médéric Gasquet-Cyrus. L'affrication est cependant pratiquée à des degrés divers par toutes les classes sociales, "Eric Zemmour lui-même fait des affrications", souligne Cyril Trimaille.

Qu'est-ce qui explique le succès croissant de l'affrication auprès des ados de la France entière? La médiatisation d'acteurs qui n'avaient auparavant pas la parole, comme les "rappeurs ou les participants aux émissions de télé-réalité", avance comme hypothèses, Cyril Trimaille. Loin d'être une preuve d'un grand remplacement, l'affrication ne serait même pas un signe d'appartenance mais seulement une "habitude de groupe" que les jeunes prennent par "solidarité ou imitation du groupe auquel ils veulent appartenir", juge Médéric Gasquet-Cyrus.

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