Poussant à l'extrême la logique de la liberté individuelle au détriment du collectif, une minorité de militants anti-vaccin ou anti-pass sanitaire ont franchi le cap de la violence antiparlementaire. Avec d'autres, le député LREM des Bouches-du-Rhône Jean-Marc Zulesi en subit les conséquences.
"Tu es une cible" : l'objet de l'email adressé le 27 décembre à 21h03 à Jean-Marc Zulesi, député LREM des Bouches-du-Rhône, est on ne peut plus clair.
"Tu seras décapité sur la voie publique, ton sang viendra tâcher [sic] le goudron, ta tête finira dans la bouche d'égoûts [sic], je te le promets, ça va très mal se terminer, avertit l'auteur du message, un certain "Résistant anonyme" à la politique sanitaire de la France en période de Covid-19.
Pour l'occasion, le corbeau utilise l'adresse mail suivante : "onvatetuer@discardmail.com". "Nous tuerons le Président mais aussi les députés, juges, procureurs, magistrats, ministres", prévient-il encore.
Des menaces de mort, émises à l'encontre d'une personne investie d'un mandat électif public, passibles de 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.
Menaces répétées
Comme bon nombre de ses confrères parlementaires du même bord que le sien ou d'étiquettes politiques différentes, Jean-Marc Zulesi finirait presque par s'habituer à ce genre de courriel : sa boîte mail en est remplie. Chaque semaine, il dépose plainte.
Encore un exemple, le 29 décembre, à 6h53 : "Je n'ai pas peur de tuer des collaborateurs, vous avez plus à perdre que moi. L'envie d'aller jusqu'au bout me ronge, maintenant vous le savez."
"Au départ, je peux vous dire que j'étais loin d'être insensible, confie le député de la majorité. Mais je pense qu'il faut montrer que nous sommes capables de surmonter cela, afficher de la résilience", se conforte-t-il, calquant la terminologie macronienne.
Pessimiste, Jean-Marc Zulesi "pense qu'il y en a bien un dans le lot qui finira par s'en prendre à un parlementaire", cette fois pour de bon.
Il songe à David Amess, le député britannique poignardé à mort en octobre 2021 par un terroriste islamiste.
Gradation dans la violence
Avec les opposants à la politique vaccinale, aussi déterminés soient-ils, les menaces n'ont jamais été mises à exécution. Mais la violence est montée d'un cran.
Ce dimanche à Saint-Pierre-et-Miquelon, le député de la majorité présidentielle Stéphane Claireaux a été blessé au visage après avoir essuyé des jets de projectiles lors d'une manifestation contre le pass vaccinal.
La ministre de la Mer Annick Girardin a partagé la vidéo de l'agression sur Twitter :
L'agression de Stéphane Claireaux à son propre domicile lors de la manifestation contre le passe sanitaire est absolument inacceptable. Les images sont profondément choquantes. pic.twitter.com/S4ttQF2WTG
— Annick Girardin (@AnnickGirardin) January 9, 2022
Le 20 décembre, le député LREM de l'Oise Pascal Bois a vu son garage incendié. Sur un mur ont été taguées les inscriptions suivantes : "votez non", "ça va péter", en référence à l'examen parlementaire de la loi sur le pass sanitaire.
En juillet 2021, Jean-Marc Zulesi, marié et père de famille, découvre une poupée évoquant les poupées vaudoues reposant dans son jardin, déposée là en guise de menace :
J’ai toujours pris le temps de répondre avec attention aux interrogations de nos concitoyens. C’est mon rôle. Aujourd'hui, je suis la cible de menaces et d'intimidations jusqu'à mon domicile. Ces méthodes sont ignobles. Rien n'entamera ma détermination à poursuivre mon mandat. pic.twitter.com/tufKN4W4Yv
— Jean-Marc Zulesi (@jmzulesi) July 16, 2021
Du côté des militants anti-vaccin, quelles réactions ?
"J'estime que les élus qui votent aussi facilement toutes ces lois liberticides, alors que nous savons désormais que c'est pour emmerder les gens [en référence à la formule d'Emmanuel Macron admettant vouloir "emmerder" les non-vaccinés], doivent être mis sous pression", témoigne pour nous l'un d'entre eux, un homme de 58 ans qui dit s'être "radicalisé".
Pour autant, "les violences contre les élus et les violences tout court sont indéfendables", admet-il. Des pressions, oui ; des violences, non.
"Jusqu'au jour où l'on m'empêchera d'entrer dans un commerce pour me nourrir..."
Climat complotiste
Selon Jean-Marc Zulesi, plus jeune député de la région lors de son élection en 2017, l'argument est irrecevable : "Quand bien même Emmanuel Macron aurait envie d'emmerder les gens, cela justifie-t-il une menace de décapitation à mon encontre ?"
À la question du "pourquoi", le député cite les confinements que la France a connus : "Les gens ont eu du temps pour lire des fake news, s'imprégner du climat complotiste."
Parmi les canaux d'information dont raffolent les militants anti-vaccin ou anti-pass sanitaire : TVLibertés, une web TV d'extrême droite se présentant comme la "première chaîne de réinformation" ; Odyssee, plateforme sur laquelle avait été hébergé le film complotiste Hold up ; France soir, plus grand média d'après-guerre, aujourd'hui feuille de chou numérique et complotiste.
Stéphanie Mulot, professeure de sociologie à l'université de Toulouse, ne dit pas autre chose : "Les infox contribuent à brouiller la différence entre vérité et mensonge et accentuent la défiance."
Les facteurs de colère et donc de violence potentielle sont pluriels, Stéphanie Mulot les identifie : "peur des produits vaccinaux à ARN messager, désaccord avec la politique d'Emmanuel Macron, refus du système néolibéral et de ses dérives, perte de confiance envers les autorités politiques, scientifiques, médicales, médiatiques, inscription dans une logique néolibérale de l'individualisme roi ou de l'écologie anti-capitaliste, sentiment d'exclusion et d'injustice qui provoque un abstentionnisme citoyen".
Un phénomène ancien
Immédiatement visible et multidiffusée du fait d'Internet et des chaînes d'info en continu, la violence antiparlementaire n'est pas pour autant chose nouvelle.
Au crépuscule du 19e siècle, ne pouvait-on pas entendre des militants hurler, s'adressant au député socialiste Léon Blum : "Tuez-le, à mort le Juif" ?
"Détritus humain, à traiter comme tel. […] C'est un homme à fusiller, mais dans le dos", pouvait encore écrire le Provençal Charles Maurras, grande figure pensante de l'extrême droite royaliste, catholique et antisémite.
Le phénomène est aussi ultra-minoritaire. Selon le sociologue Jérémie Ward, sociologue à l'Inserm, auteur d'une étude toute récente sur le rapport des Français au vaccin, seuls 2 à 5 % d'entre eux rejettent le principe de la vaccination.
Parmi eux, combien sont prêts à recourir à la violence ?
Il n'en demeure pas moins que l'expression violente est aujourd'hui facilitée : il suffit d'un clic pour nuire à quelqu'un ; l'anonymat reste possible.
Le député LREM des Bouches-du-Rhône Jean-Marc Zulesi est loin d'être le seul à en avoir fait les frais : 150 parlementaires sont dans le même cas, selon le parquet de Paris qui annonce avoir ouvert une enquête.