La proposition de loi soumise à l'Assemblée en avril a relancé le débat sur la légalisation de l'euthanasie et le suicide assisté. Le texte a suscité une forte opposition et n'a pas été adopté. C'est un cap à ne pas franchir, selon le docteur Jean-Marc La Piana, spécialiste en soins palliatifs.
Dès la première question qu'on lui pose - ("pourquoi êtes-vous défavorable à toute avancée de la loi ?"), Jean-Marc La Piana corrige le tir : "Si vous parlez d'avancée, ça commence mal ! Ce n'est pas une avancée, mais un changement qui est proposé."
Certes. Ne prenons pas les mots à la légère, surtout quand il est question de fin de vie. Le directeur de la Maison, un centre de soins palliatifs à Gardanne, près de Marseille, est contre l'euthanasie et le fait vite comprendre.
"Une fin de vie libre et choisie"
Or c'est bien l'euthanasie que le député PRG de la Charente-Maritime, Olivier Falorni, souhaite voir légaliser en France. Sa proposition de loi "donnant le droit à une fin de vie libre et choisie" est débattue ce jeudi 8 avril 2021 à l'Assemblée nationale.
Que prévoit le texte ? La possibilité pour toute personne "en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable (…) lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable", de "disposer d’une assistance médicalisée permettant, par une aide active, une mort rapide et sans douleur".
Euthanasie active, donc, et non plus passive, telle qu'on la pratique aujourd'hui en France, en vertu de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, qui autorise la "sédation profonde et continue [du malade] jusqu'au décès".
Largement décrié par l'opposition de droite (elle a déposé pas moins de 3.000 amendements), le texte n'a quasiment aucune chance d'être voté.
Jean-Marc La Piana applaudit la manoeuvre d'obstruction parlementaire. "Ce n'est pas du Code de la route que l'on parle ici, mais d'une loi absolument fondamentale ! Et il faudrait la remettre en cause, sans aucune discussion ou presque, en seulement quelques heures ?"
Les députés ne disposent en effet que d'une seule journée pour débattre du projet de loi. Subtilités intrinsèques au Palais Bourbon.
Unanimité toute relative
N'en déplaise aux députés de droite, comme à Jean-Marc La Piana, les temps ont changé. L'Espagne a légalisé l'euthanasie en mars 2021. Le Portugal a fait de même début janvier (avant d'être retoqué par la Cour constitutionnelle). Les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, le Canada, la Nouvelle-Zélande : tous pro-euthanasie.
Quant aux Français, 96 % seraient favorables au changement (évitons d'écrire "à cette avancée"...). C'est du moins l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) qui le clame.
L'ADMD s'appuie sur différents sondages, à prendre avec précaution comme le démontre franceinfo. Selon le sondage (et son commanditaire), les réponses favorables peuvent passer de 95 % à 34 %.
Les Français, tous militants de l'euthanasie ? "Les gens qui réclament l'euthanasie et le suicide assisté sont des gens en bonne santé", rétorque Jean-Marc La Piana. Qui s'explique aussitôt.
Face à la mort, incertitude et ambivalence
"On voudrait tous pouvoir choisir le moment de sa mort, ça, c'est le fantasme. Mais dans la réalité, quand l'échéance approche, on est beaucoup plus ambigus."
Jean-Marc La Piana sait de quoi il parle : il en a vu mourir, du monde. Chaque année, 500 patients rendent leur dernier soupir dans sa Maison de Gardanne. Créé il y a 27 ans, l'établissement avait pour but, au départ, de lutter contre le sida.
"En arrivant chez nous, beaucoup de gens réclament de pouvoir mourir. Et puis finalement, la qualité des soins faisant, les voilà moins pressés ! "N'en parlons plus aujourd'hui, on verra bien demain", nous disent-ils. Parce qu'on répond à leur demande de confort au quotidien."
Soins palliatifs contre suicide assisté
C'est là tout le principe des soins palliatifs : éloigner le patient de la douleur, rendre sa situation acceptable, pour lui, comme pour ses proches.
Et si la détresse, physique ou morale, devenait trop intense, reste la "sédation profonde et continue", autrement dit, l'euthanasie passive, permise par la loi Claeys-Leonetti.
Une décision importante, aux conséquences irrémédiables, prise en concertation avec le malade, ses proches, ainsi qu'un collège de médecins.
Car une fin de vie se gère à plusieurs. Le directeur de la Maison en est convaincu : "Nous sommes humains, donc nous faisons des erreurs. Mais à chaque fois qu'on réfléchira en équipe, qu'on partagera, on diminuera le risque d'erreur. Ce qui compte, ce n'est pas de faire le mieux, ce serait prétentieux ; ce qui compte, c'est de faire le moins mal."
La loi et ses imperfections
Ainsi, à écouter Jean-Marc La Piana, la loi Claeys-Leonetti répondrait à la grande majorité des situations de fin de vie, sinon à toutes. "Hypocrisie !", s'emporte le rapporteur du projet de loi Olivier Falorni.
"Certains sont obligés de partir à l'étranger pour se faire euthanasier", déplore le parlementaire. Pour ceux-là, que fait-on ?
Jean-Marc La Piana répond, plus véhément : "Demandez aux proches ayant amené quelqu'un se faire euthanasier en Suisse quelles séquelles ils ont gardées ! Le risque de deuil pathologique est énorme !"
Un risque bien inférieur dans les unités de soins palliatifs, estime notre docteur anti-euthanasie. La raison ? L'entourage du malade est mieux pris en compte dans ce type d'établissement. "Il y a celui qui s'en va ; et il y a ceux qui restent. Pensons à ceux qui restent !"
Partir plus sereinement
Le praticien cite aussi l'exemple d'une de ses patientes atteintes de la maladie de Charcot : "Elle avait pris rendez-vous en Suisse, pour en finir avec la vie. À aucun moment nous n'avons tenté de lui faire changer d'avis. C'est elle qui, se sentant à l'aise au sein de notre établissement, a décidé à deux reprises de repousser son départ pour la Suisse".
Et de continuer :"Nous avons organisé pour elle une sortie à la mer. Elle s'est baignée. Deux jours après, elle était en détresse respiratoire. Comme elle ne souhaitait pas être réanimée, nous l'avons mise en sédation profonde et continue. Elle est décédée."
Une fin de vie moins abrupte, tous en conviendront, qu'un suicide assisté...
Le problème, selon Jean-Marc La Piana, ce n'est pas l'interdiction de l'euthanasie ou du suicide assisté. Le problème, c'est que la France manque d'unités de soins palliatifs, qui permettent aux patients et à leurs proches d'être accompagnés au mieux.
Il conclut par une formule glaçante : "Ce n'est pas parce qu'on accompagne mal les malades qu'il faut les éliminer".