Après avoir secouru 128 migrants en méditerranée centrale, l'association SOS Méditerranée a été sanctionnée par les autorités italiennes. Son navire de sauvetage humanitaire, l'Ocean Viking est immobilisé 20 jours et l'association devra payer une amende de 3300€.
Dans la nuit du 11 au 12 novembre, l'association SOS Méditerranée porte secours à trois embarcations naufragées en mer. En tout, elle accueille à bord de son navire de sauvetage, l'Ocean Viking, 128 migrants. Pour les autorités italiennes, l'association aurait dû rejoindre l'Italie dès sa première intervention. France 3 Provence-Alpes fait le point sur cette affaire.
Pourquoi les autorités italiennes ont-elles immobilisé l'Ocean Viking ?
Les autorités italiennes reprochent à SOS Méditerranée de ne pas avoir respecté un décret obligeant les ONG à diriger leurs navires de sauvetage vers le port qui leur a été désigné dès la fin d'une opération. Connu sous le nom de "décret Piantedosi", il est en vigueur depuis le 2 janvier 2023.
Lors d'un sauvetage le 11 novembre dernier, les équipes de SOS Méditerranée ont secouru 33 personnes en mer, dans la zone de recherche placée sous autorité libyenne. Les autorités italiennes leur ont donné pour instruction de rejoindre le port d'Ortona, dans les Abruzzes. Selon le décret Piantedosi, l'Ocean Viking aurait dû se rendre à Ortona dès la fin de cette intervention.
Mais au cours de la même nuit, non loin de la zone du premier sauvetage, l'Ocean Viking reçoit une nouvelle alerte concernant un bateau avec 34 naufragés à bord. Le centre de coordination et de sauvetage italien a redirigé l'équipage de SOS Méditerranée vers les autorités libyennes pour recevoir des instructions. "Au début, nous n'avons pas eu de réponse. Ensuite, nous avons été mis en relation avec une personne qui ne parlait pas l'anglais alors que cela fait partie des critères obligatoires pour gérer un poste de secours. Nous n'avons reçu aucune instruction", détaille Sophie Beau, co-fondatrice de SOS Méditerranée et directrice générale de l'association. Or, la situation d'urgence ne fait pas de doute pour les volontaires de l'association. Le navire naufragé dégage des émanations d'essence. Ses passagers risquent la mort. N'ayant pas d'instruction claire de la part des autorités libyennes –une situation courante, précise Sophie Beau- les membres de l'ONG procèdent au sauvetage.
"Le droit international ne laisse aucune place au doute : abandonner ces 34 naufragés à leur sort au milieu de la mer aurait été illégal et moralement répréhensible, écrit l'association dans un communiqué. Les chances que ce bateau et les personnes qu'il transportait aient pu atteindre le rivage sans assistance étaient extrêmement faibles. L'un des hommes secourus de cette embarcation s'est évanoui en raison d'une importante inhalation de carburant et a dû subir une oxygénothérapie continue ainsi qu’une réanimation par fluides. S'il n'avait pas été secouru, il aurait pu souffrir d'une grave détresse respiratoire ou mourir. De nombreux survivants, dont des mineurs, ont subi d'importantes brûlures dues au carburant et ont dû recevoir des soins médicaux d'urgence."
Plus tard dans la nuit, l'Ocean Viking se dirige vers Ortona et reçoit un message de détresse. Les équipes de SOS Méditerranée procèdent à un troisième sauvetage. 61 personnes migrantes supplémentaires sont secourues.
"Dès le premier sauvetage, nous nous sommes dirigés vers le port d'Ortona", précise Sophie Beau, qui explique que les interventions ont toutes eu lieu sur le trajet. "C'est le deuxième sauvetage qui a le plus posé problème, car nous n'avons pas attendu les instructions des autorités libyennes, qui font défaut sur cette zone."
Pourquoi SOS Méditerranée conteste cette immobilisation ?
"Nous sommes mis en porte-à-faux sur le droit maritime international par ce décret", déplore Sophie Beau."Il n'est juste pas concevable de ne pas respecter le droit international, qui est cette obligation d'assistance. Les conventions internationales sont claires. Nous ne pouvons pas laisser des personnes mourir en mer."
L'association pourrait-elle déposer un recours contre son immobilisation ? "On ne s'interdit aucune option, répond Sophie Beau. Nous ne sommes pas propriétaires de notre navire, donc pas seuls décisionnaires."
Par ailleurs, le port d'Ortona est un port loin de la zone d'intervention de l'Ocean Viking, il a fallu au navire quatre jours de trajet pour le rejoindre. "C'est une autre manière de vider la mer des navires de sauvetage", selon Sophie Beau. "Depuis le début de l’année l’Ocean Viking a dû parcourir 21 000 km supplémentaires du fait de la désignation d’un port lointain, ce qui équivaut à 2 mois de navigation, c’est un demi-million d’euros de fioul en plus. Cet argent qui part, on pourrait le mettre dans d’autres 2/2 moyens de sauvetage direct. C’est une criminalisation de la solidarité, de l’action humanitaire en soi", ajoute dans La Marseillaise Laurence Bondard, responsable de la communication opérationnelle chez SOS Méditerranée.
Quelles sont les conséquences de cette immobilisation ?
"Le bateau est immobilisé 20 jours. Cela signifie 20 jours d'absence de la zone de sauvetage dans une période avec énormément de traversées et de morts", détaille Sophie Beau. "Nous devions simplement faire une escale." Or, l'année 2023 est particulièrement meurtrière en Méditerranée centrale. Au moins 2188 personnes sont mortes à ce jour, selon l'Organisation internationale des migrations. C'est 50% de plus que l'année dernière. "Il y a aussi énormément de naufrages invisibles, qui ne sont pas décomptés", précise Sophie Beau.
"L'immobilisation a un coût", explique en outre la co-fondatrice de SOS Méditerranée. L'affrètement de l'Ocean Viking coûte 24.000€ par jours, financés essentiellement par des fonds privés.
Pour SOS Méditerranée, c'est la première immobilisation à la suite du décret Piantedosi. Mais depuis janvier 2023, les navires des ONG opérant en Méditerranée centrale ont subi douze immobilisations. "Ce décret empêche les navires de sauvetage d'opérer", déplore Sophie Beau.
Qu'est-il arrivé aux migrants sauvés par SOS Méditerranée le 11 novembre ?
"Tout le monde est arrivé sain et sauf à Ortona", précise Sophie Beau.Les 128 migrants qui se trouvaient à bord de l'Ocean Viking. Il s'agit en grande majorité de Syriens, mais aussi de Bangladais, de Soudanais et d'Egyptiens. Certains sont mineurs et ont été grièvement brûlés par le carburant au moment du naufrage.