Témoignage. "Le plus dur reste à venir" : avec le gel, un arboriculteur des Hautes-Alpes redoute la pénurie alimentaire

Publié le Écrit par Flore Fenouillet

Eric Allard a perdu 30% de sa production en deux nuits de gel. Plantés sur la commune de Théus, en bord de Durance, ses vergers ont été fortement impactés par les températures négatives enregistrées dans la nuit du 18 au 19 avril. Malgré les moyens de protection dont il s'est doté au fil des ans, tout n'a pas pu être sauvé.

"Les cerisiers chez moi ont quasiment 100% de dégâts". Arboriculteur depuis 40 ans à Théus dans les Hautes-Alpes, Eric Allard semble résigné, et assume des choix difficiles. Alors que le gel a fait son retour vendredi 19 avril menaçant les cultures, les producteurs, comme Eric, font les comptes. 

Jusqu'à 3000 euros par nuit pour sauver des arbres

"On ne protège pas tout", reconnait-il. Par ailleurs conseiller en arboriculture à la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes, l’agriculteur explique qu’il a décidé de sacrifier une partie de sa production, malgré l'existence de solutions techniques. Trop cher, trop coûteux, pour lui, mais aussi pour l'environnement.

Le sauvetage de ses cerisiers aurait nécessité de chauffer les vergers avec des bougies de paraffine, un dérivé du pétrole. Coût de l'opération, pour un hectare et pour une seule nuit : entre 2500 et 3000 euros, hors taxe.

Un budget impossible à engager, surtout qu’Eric Allard sait qu'il aurait fallu le multiplier par 4 ou 5, car d'autres nuits de gel sont annoncées. "Le prix de vente de la récolte ne couvre même pas le coût de cette protection !", s'emporte-t-il.

L’aspersion des vergers en continu

La partie des arbres fruitiers qui a pu être préservée est celle plantée en fond de vallée, proche de la Durance. Les stations de pompage de la rivière ont pu fournir l’eau nécessaire à l’aspersion des vergers à proximité. La technique est  utilisée depuis les années 60 dans ces territoires qui bénéficient de l’irrigation rendue possible par  la construction du barrage de Serre-Ponçon. 

Le principe : asperger les arbres d’eau, tant que la température ne remonte pas au-dessus de zéro : "Un gramme d’eau dégage 80 calories quand elle se transforme en glace", explique Eric Allard. "Encore faut-il disposer de suffisamment d’eau, 50m3 par heure pour un hectare : c’est 5 fois plus que pour un arrosage, désormais indispensable aussi à certaines périodes de l’année, sécheresse oblige". 

Le changement climatique pointé comme responsable

La raison de toutes ces difficultés ne fait pas de doute. "Avec le changement climatique, tout change", explique l’arboriculteur, lucide et révolté. 

"D’habitude, il fait toujours plus froid dans les fonds de vallée. Mais avec les températures [estivales le week-end dernier] de ces dernières semaines, le sol était réchauffé. En revanche, il a fait très froid sur les côteaux, exposés sans transition à de l’air polaire".

Le seuil critique des végétaux a été dépassé.

Eric Allard, arboriculteur dans les Hautes-Alpes

à France 3 Provence-Alpes

Moins 1°C c’est le seuil critique de tous les végétaux, fruitiers, et même vignes. Il a été largement dépassé avec des températures descendues jusqu’à -3 ou -4°C, et ce, alors que la saison est en avance. Or, "à ces degrés de température, les cellules des végétaux éclatent".

Eric Allard a repris le fil de ses années d’expérience. "La période végétative démarre 20 à 25 jours plus tôt désormais . Elle a 10 jours d’avance par rapport à l’an dernier !". 

Résultat une augmentation des risques sur les cultures. Les coups de gels qui n’ont pas disparu, menacent plus gravement les productions. 

Des craintes sur la souveraineté alimentaire

D'après  l'arboriculteur, certaines mesures de protection sont contre-productives compte tenu de la situation du climat. Pas la panacée non plus, car elle demande beaucoup d’eau, la technique de l’aspersion a porté ses fruits : "Pour le gel, il nous faut des réserves collinaires", estime Eric Allard. Une mesure d’urgence, afin de faire face aux incidents et de couvrir le risque qui arrive. 

L’agriculteur dresse au-delà de sa problématique personnelle, un paysage très sombre des enjeux liés aux changements climatiques.

Ca s’aggrave ! Pour le moment, on ne connaît pas la pénurie alimentaire, mais là, on y va, avec ces accidents climatiques à répétition !

Eric Allard, arboriculteur dans les Hautes-Alpes

à France 3 Provence-Alpes

Eric Allard plaide depuis des années auprès des responsables politiques, sans réaction suffisante, estime-t-il,  face à l’ampleur du problème. "On n’est pas entendu sur l’eau, ni sur les crises sanitaires qui arrivent. Il y a la sécheresse, le réchauffement, mais aussi les maladies".

La nécessité de l'anticipation

Le conseiller en arboriculture a écrit un texte à ce sujet afin d’alerter les pouvoirs publics : "Le risque sanitaire, bactéries, champignons, insectes, personne ne souhaite en parler, malheureusement, c'est sûrement le risque  le plus grave, de nouveaux ravageurs arrivent comme le Scarabée du Japon avec des dégâts similaires aux criquets en Afrique".

L’arboriculteur déplore des visions à court-terme. "Pour l’alimentation il faut de l’anticipation, des engagements sur 5 à 10 ans. La souveraineté alimentaire de la France est en jeu". 

Eric Allard déplore certaines décisions inadaptées d’après lui. "On nous a accordé un médicament certifié bio, après la période optimale d’application !", enrage-t-il. 

L’agriculteur qui connaît par coeur son territoire, ne fait pas encore le bilan des dégâts. Ce dimanche, de nouvelles gelées, plus fortes encore, sont annoncées. "Le plus dur est à venir !" prédit l’arboriculteur.

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