La proposition de loi LREM pour l'interdiction des "thérapies de conversion" a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale mardi. Pour Lee Ferrero, homme transgenre fondateur de l'association Transat à Marseille, c'est un premier pas.
"C'est une grande avancée pour les droits humains", se réjouit Lee Ferrero, fondateur de l'association Transat. À 24 ans, Lee se bat pour défendre les droits des personnes transgenres, comme lui. Mardi, la proposition de loi visant à interdire les "thérapies de conversion" a été adoptée à l'unanimité en première lecture à l'Assemblée nationale.
Le texte de loi 4021 portée par la députée LREM Laurence Vanceunebrock prévoit un délit spécifique contre ceux qui se disent "thérapeutes" ou les religieux qui prétendent "guérir" l'homosexualité. Un soulagement pour Lee Ferrero, mais de courtes durées. Le militant LGBT+ ne perd pas de vue la suite du combat.
"Il faudrait réfléchir à la notion de thérapie de conversation. C'est bien de lutter contre les dérives sectaires. Mais il faut vraiment asseoir le fait que l’homosexualité et la transidentité ne sont pas des choix. Il est donc impensable d’inciter quelqu'un à changer d'identité de genre et d'orientation sexuelle".
De tels agissements sont pourtant "extrêmement répandus" chez les praticiens et surtout les psychologues, assure Lee. Il en fait lui-même régulièrement les frais.
"Ils veulent contrôler si la personne est bien trans ou homo. Ils cherchent à décourager les personnes, à tester leurs motivations. Ils considèrent la transidentité comme un diagnostic".
Des méthodes "profondément humiliantes" qui devraient être incluses dans la loi selon le jeune homme. "Cela s'apparente à des thérapies de conversion".
Des violences quotidiennes
Lee a toujours su qu'il n'était pas une femme. Pourtant c'est le genre que la société lui a assigné à la naissance. À 19 ans, il comprend qu'il est un homme et décide d'entamer une transition.
Il prend alors de la testostérone et décide de se faire opérer, deux fois. Aujourd'hui, il subit encore des formes de thérapies de conversion au quotidien.
"C'est quand on va acheter le pain et que la personne questionne notre identité ou nous demande de nous justifier. C'est quand on nous demande quels sont nos organes sexuels en soirée... On est tout le temps sommés de se justifier, de rentrer dans des cases et de se positionner conformément à la norme".
La solution : faire semblant d'être cisgenre (une personne dont le genre ressenti correspond au genre assigné à sa naissance). Cela s'appelle le passing ou le cispassing.
Ressembler à l'idée que les gens se font d'un homme ou d'une femme. "C'est une injonction", explique Lee, qui, avec ses cheveux longs, n'a pas toujours du passing.
"On ne doit pas mettre en doute l'identité de quelqu'un. On ne doit plus dire : 'Si vous étiez une vraie femme, vous viendrez en jupe ou en talons'. C'est de la thérapie de conversion".
"Il n'y a rien à guérir"
"Il n'y a rien à guérir", martèle la ministre déléguée à l'Egalité, Elisabeth Moreno, à l'Assemblée nationale. "Être soi n'est pas un crime, on ne doit pas chercher à modifier l'identité de genre ou l'orientation sexuelle", a-t-elle témoigné à l'AFP.
Un constat que Lee Ferrero ne peut que confirmer. "L'ensemble de la société pense que c'est une réparation lorsque l'on change de corps. Mais il n'y a rien à guérir, non. On ne naît pas dans un mauvais corps. C'est un corps, pour des raisons personnelles, qui peut ne pas convenir à une personne. On ne change pas de genre, on affirme un genre qui est le nôtre. L'étiquette donnée à la naissance par la société n'est pas la bonne".
Sur les réseaux sociaux, le hashtag #RienAGuerir s'est multiplié ces derniers jours. Il reprend le nom du collectif de victimes lancé en 2020, par Benoit Berthe Siward. Ce dernier a été forcé de suivre des thérapies de conversion pour "combattre" son homosexualité.
Sous le hashtag, les témoignages abondent pour soutenir la proposition de loi.
J'ai survécu à presque 4 ans de thérapie de conversion entre mes 8 ans et mes 12 ans, j'ai mis presque 20 ans à me reconstruire avant d'oser être moi même.
— Jade Whirl (@JadeWhirl) October 3, 2021
Les thérapies de conversion sont des pratiques abusives et cruelles.
Laissez nous exister.#RienAGuerir
Un "bon mot d'ordre", selon Lee, car "inclusif pour la transidentité".
Les "thérapies de conversion" en augmentation ?
Pour Elisabeth Moreno, cette loi va permettre de "sauver des vies face à la torture, à la barbarie, à des pratiques moyenâgeuses". Moyenâgeuses, mais pourtant d'actualité.
Le phénomène est né aux États-Unis dans les années 1950 avant d'atteindre la France dans les années 1990. C'est l'époque où voit le jour Torrents, un groupe évangélique, et le groupe catholique Courage.
Au cours de son enquête sur ces réseaux qui prétendent "guérir" de l'homosexualité, le journaliste Jean-Loup Adénor a infiltré Torrents. "C’est un mélange entre prières, exorcisme, groupes de parole", a-t-il déclaré à Ouest-France.
Lors d'une mission parlementaire effectuée en 2019, Laurence Vanceunebrock et Bastien Lachaud ont décrit ces thérapies comme des traitements par "hypnose", "hormones" voire "électrochocs", des dérives "religieuses" entre "appels à l'abstinence" et séances "d'exorcisme", ou le recours aux "mariages forcés" hétérosexuels.
Le phénomène serait en progression. Dans leur rapport, Laurence Vanceunebrock et Bastien Lachaud ont évoqué "une centaine de cas récents" de ce type de thérapie et souligné "l'augmentation des signalements".
"Des dizaines et des dizaines de témoignages sont sortis", a récemment confirmé à l'AFP Timothée de Rauglaudre, coauteur du livre "Dieu est amour" et du documentaire "Homothérapies, conversion forcée" co-réalisé avec Jean-Loup Adenor.
Mi-septembre dernier, la ministre déléguée à la citoyenneté Marlène Schiappa a confié une mission "sur la pratique indigne" des "thérapies de conversion" à la Miviludes, organe de lutte contre les dérives sectaires rattaché au ministère de l’Intérieur.
Une mission qui vise à "expliciter, exemplifier et quantifier le phénomène, en analysant en particulier sa dimension de dérive sectaire".
Face à la recrudescence des dérives sectaires et aux signalements préoccupants de « thérapies de conversion » contre les personnes LGBT+, dans la continuité des travaux de @LaurenceVanceu je confie une mission à la @Miviludes_Gouv pour y mettre fin ??https://t.co/gQR4GB2dVF
— ?? MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) September 13, 2021
Un dossier délicat dans le collimateur de certains parlementaires.
Lors du vote de la loi à l'Assemblée nationale mardi, les députés Xavier Breton et Marie-France Lorho ont présenté un amendement pour condamner les thérapies de conversion seulement si elles concernent les personnes non-hétéro.
Excluant donc les personnes trans et supprimant l'expression "identité de genre" de la proposition de loi 4021, comme le confirme le live-tweet du Coin des LGBT+.
Cette question a été au cœur des discussions, comme le démontre le mail de l'Observatoire de la petite sirène à des députés le 21 septembre relayé par le Huffpost, alertant sur "le danger d’inclure l’identité de genre dans cette proposition".
Selon eux, les "attitudes de prudence" des professionnels vis-à-vis des enfants trans, pourraient être perçues comme "visant à réprimer l’identité de genre vraie ou supposée d’une personne". Ce que condamne la loi 4021, et ce contre quoi se bat l'association Transat.
De son côté, le député LR Fabien Di Filippo souhaitait que les thérapies de conversion, lorsqu’elles visent à modifier l’identité de genre, ne soient pas considérées comme telles pour une personne mineure dans la mesure où, selon lui, l’identité de genre "ne peut être fixée avant la majorité".
On se souvient pourtant de l'histoire de la petite Lili, 8 ans, transgenre, discriminée à l'école, notamment à cause du manque de formation des équipes éducatives autour de la question trans.
L'amendement a finalement été rejeté... et la loi votée à l'unanimité.
Au-delà de la loi, l'accompagnement
Les actes pratiqués par les thérapies de conversion (violences, abus de faiblesse, exercice illégal de la médecine, harcèlement...) sont d'ores et déjà punis par la loi.
Mais pour Laurence Vanceunebrock, créer un délit spécifique est nécessaire pour soutenir les victimes face à la difficulté de porter plainte et pour mieux prendre la mesure du phénomène.
Cette proposition de loi "ne sert à rien juridiquement mais permet d'alerter et de rappeler que c'est illégal, alors que certaines structures font croire le contraire", confirme une source parlementaire entendue par l'AFP.
Le texte de loi doit à présent faire la navette vers le Sénat. Si la loi passe, ils pourront être punis de deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.
La sanction monte à 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende en cas de circonstances aggravantes. Par exemple lorsque la victime est mineure, dépendante ou que l'auteur est un ascendant.
Une sanction "très légère", pour Lee Ferrero, surtout pour les personnes qui organisent des thérapies de conversion. Mais le jeune militant n'est pas pour la prison. "Les auteurs de violences ont avant tout besoin d'être accompagnés", explique-t-il.
"Une loi, c'est bien, c’est un premier pas. Mais il ne faudrait pas que l'on pense uniquement aux dérives sectaires ou aux faits religieux mais aussi à ce que véhiculent nos institutions. C'est un problème d'éducation, de vivre-ensemble, de construction sociale. Plus on sensibilisera les gens à l'existence de la transidentité, moins il y aura de réactions haineuses".
"La transphobie et donc les thérapies de conversion viennent avant tout de fantasmes par rapport à la différence. C'est la peur de l’inconnu. On va travailler à construire des accompagnements".