Professeur au Collège de France, au Muséum National d’Histoire naturelle et Président du Comité scientifique du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, Yves Coppens nous livre sa vision de la crise du coronavirus. Pour lui, la confiance en l'espèce humaine est la clé.
Le Professeur Yves Coppens, paléoanthropologue étudie l'évolution de l'Homme depuis ces ancêtres primates à ce qu'il est aujourd'hui.
Professeur émérite au Collège de France et au Museum d’histoire naturelle, il est aussi Président du Comité scientifique du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco. Auteur de plus d'un millier d'articles et de livres traitant de sa discipline, Yves Coppens nous a accordé une interview pour mieux comprendre ce que nous vivons actuellement.
Est-ce que vous allez bien ?
Oui je vais très bien, je suis devant une fenêtre remplie de soleil. Il fait très beau à Paris, le printemps est là, je suis très heureux d'être confiné, cela me donne l'occasion d'écrire. J'ai écrit comme jamais, j'ai presque fini un bouquin en deux mois !
Est-ce que ce virus a un caractère exceptionnel selon vous ?
Non pas du tout. Les virus existent depuis toujours, depuis les débuts de l'histoire de la vie, c'est-à-dire 4 milliards d'années, ce qui n'est quand même pas mal.
Et puis, nous avons des ancêtres communs, ce petit coronavirus qui nous embête a un beau génome comme nous. Donc nous sommes cousins, ça rapproche !
Bien sur, c'est un cousin éloigné mais, tout ceci fait qu'on se connaît, on se fréquente depuis bien longtemps. Les virus ont une évolution plus simple que la nôtre et ont une particularité. Ils se mettent sur des hôtes, ils sont des flemmards par excellence et vivent sur nous. Et donc nos rapports sont particuliers. Nous avons un rapport de réciprocité, en l'occurrence pour nous, elle bien désagréable. Vous savez que l'on porte en nous des quantités de kilos d'autres "gens" ? Notre intestin abrite 400 espèces différentes... Cela fait drôle quand même! En revanche, un virus qui touche nos voies respiratoires, on n'en a pas la trace.
Est-ce que vous pensez qu'il y aura un avant et un après, dans les comportements mais aussi dans les mentalités ?
J'y ai pensé mais, je pense que c'est un peu court pour un changement de mentalité. Peut-être, qu'on a pris plus conscience de la fragilité de l'espèce vivante, on voit des gens mourir autour de nous.
Ceci étant dit, le virus a donné l'idée qu'il y avait aussi une fragilité dans notre existence, dans notre système de penser et dans notre système monétaire et économique. Et là aussi, avec un regard sur le passé, on s'aperçoit que ce système n'est pas vieux, il n'a que 5 ou 6 000 ans. Les monnaies étaient à l'origine simplement des haches en métal dont on pesait le poids, il y avait déjà de la tricherie à ce moment-là !Quand on est paléontologue, on ne voit que ça autour de nous, vu que l'évolution est faite de changement d'extinction, de remplacement, on connaît ça par coeur.
Alors, je pense que ce système a une durée, il peut très bien avoir une fin et se transformer, c'est possible. En quoi, je ne sais pas. Nous ne sommes pas installés d'abord dans la vie, ni dans notre système actuel. Un changement sûrement mais, peut-être pas radical.
Le déconfinement est pour bientôt, que peut-on espérer ?
Moi, je crois beaucoup en la science, je crois en des solutions curatives, préventives. L'humanité est d'abord faite de milliards de gens, parmi eux beaucoup réfléchissent, sont des scientifiques, ils travaillent en communauté étroite.
La connaissance est essentielle, elle la donne la liberté. Il faut vraiment apprendre le plus possible aux gens pour être le plus libre possible."Je crois, donc que le déconfinement est une question intéressante sur l'équilibre moral et économique."
Là aussi, on voit la fragilité parce que l'Homme sur le plan biologique évolue seul mais, sur le plan psychique s'il n'apprend pas, il n'évolue pas et donc ne soigne pas.
Vous avez une grande confiance en la science ?
La science c'est simplement l'observation de ce qui est. Le scientifique essaie de comprendre comment ça fonctionne à partir de ce moment, il peut comprendre comment transformer. Moi, j'ai une grande confiance en la science, j'avais déjà grande confiance pour le changement climatique. La science nous éclaire sur ce qu'est le monde.
Actuellement je fais une grande confiance pour combattre, réduire, les aptitudes du coronavirus.
1 km, 100 km, la distanciation sociale ... Est-ce que l'humain peut vivre avec ces libertés limitées ? Comment réagit-il ?
En l'occurrence, moi, j'ai été plutôt frappé par le fait qu'il ne réagissait pas trop mal. Il ne réagit peut-être pas trop mal car, nous avons dans la tête l'espoir de la fin de cette histoire. La période est même créative, il suffit de se balader sur Internet pour être frappé par tout ce qu'il s'est inventé ces temps-ci.
On se réinvente, c'est le côté sympathique. Sympathique mais, en même temps pour moi très angoissant,
Comme ci, les gens étaient dans des cellules et se sentent bien obligés de se contenter des barreaux pour taper dessus.quand j'entends les applaudissements de 20 heures, cela me fait plutôt penser aux révoltes dans les prisons.
Pour moi, c'est un mélange pas très agréable. L'humanité est tout d'un coup emprisonnée pour une histoire de petit personnage de la même famille que nous.
On va devoir vivre avec la distance, la désinfection, les masques... Est-ce que nos cultures n'en prennent pas un coup? Ici, à côté de la Méditerranée, on est très tactile, on se fait la bise... Est-ce qu'il y a des risques de perdre ce qui fait la beauté de nos cultures?
Pour le moment, je pense que tout ça n'est pas condamné. Même si, le virus reste parmi nous il peut vite devenir endémique. On pourra peut-être cohabiter, par exemple, on a en nous la bactérie Escherichia coli, qui est là en permanenece. Moi personnellement, elle m'a déjà attaqué, dans mon écosystème tout d'un coup, il est devenu dominant et m'a créé beaucoup d'ennuis.
Inversement, ce "petit corona" peut rester et devenir une partie de nous, vivre en nous de façon endémique, et de temps en temps seulement créer des petites crises. Ces épidémies seraient passagères donc pour le moment je ne veux pas croire à un changement des comportements.
Vivre aujourd'hui avec des masques, de la distance est important parce que ce virus est toujours VIRU-LENT. Mais c'est pas pour ça qu'il va être éternel."
Vous avez un exemple ?
La syphilis qui nous fait si peur existe de manière endémique chez les Amérindiens et chez les Africains depuis très longtemps. Elle ne cause pas du tout d'ailleurs, les mêmes réactions chez ces peuples qui portent ce parasite en eux, que chez nous lorsqu'il y a une épidémie.
Quels aspects positifs peut retenir l'espèce humaine ?
Une réflexion, sur la beauté du monde et sa fragilité en même temps, sur tout ce pour quoi nous luttons. Ce sont des leçons pour tout le monde. On s'est aperçu qu'avec un petit peu de raison, l'humanité entière faisait réduire son taux de foutu CO2, qui nous embête tant. Quand l'humanité entière est prise dans une pandémie, elle réduit ça d'elle-même c'est un exemple inhattendu et involontaire.
Depuis que l'Homme est Homme, depuis qu'il a un degré de conscience, qu'il sait qu'il sait, il a une facette spirituelle, un besoin de transcendance pour survir et vivre d'espoir. Moi préhistorien, je vois qu'il y a comme cela, depuis les premiers Hommes, des "objets" pour surement vivre l'essentiel, qui est finalement, la beauté, la bonté, la transendance et l'espoir.
Pour conclure, est-ce que l'on peut être confiant en l'espèce humaine ?
Oui j'ai toujours eu grande confiance en l'humanité, je trouve l'Homme extraordinaire, extrêmement créatif, inventif. J'ai une toute confiance en l'humanité, je suis sûr qu'elle va trouver des solutions, l'espoir est au bout du chemin. Il faut songer que par rapport aux autres espèces qui nous entourent, merveilleuses aussi, c'est l'Homme quand même qui a le mieux pratiqué la compassion.
Il a inventé la musique alors quand même ! Il a inventé la science, quand même ! Non, l'humanité est fantastique.