C'est un triste anniversaire : le 15 juin 2010, des inondations record frappaient le département du Var, faisant 27 victimes et des dégâts considérables. Mais ce n'étaient que le début d'une décénie d'inondations, conclue en 2019 par deux épisodes. Les agriculteurs appellent à l'aide 10 ans après.
"Démoralisant", "angoissant"... Pour les agriculteurs de la vallée de l'Argens, la question n'est pas de savoir s'il va y avoir d'autres inondations. Mais bien de savoir quand la prochaine crue aura lieu, et quelle sera l'ampleur des dégâts.
La vallée de l'Argens est située au coeur du Var :
Jean-Stéphane Cantilhion de Lacouture est vigneron au Muy. Quasiment depuis toujours. Sa famille est installée ici depuis 250 ans. Lui-même cultive cette terre depuis un peu moins de 30 ans. Mais il a toujours connu la vallée.
Son domaine de La Roquette se situe tout en haut de "l'entonnoir" comme il dit, tout en haut de la basse vallée de l'Argens, qui forme un très long triangle jusqu'à la mer.
"Quand j'étais gamin, il y avait des vergers, des maraîchers partout... On cultivait le maïs, les pois chiches. C'est une terre ultra fertile !"
L'Argens a toujours débordé, mais jamais autant
Aujourd'hui Jean-Stéphane a 61 ans. Et, s'il ne songe pas à baisser les bras, le constat est tout de même amer. "Ils sont de plus en plus nombreux à jeter l'éponge, on se sent abandonnés par les pouvoirs publics." Résultat : les jachères se multiplient.
L'Argens a toujours débordé, c'est grâce au cours d'eau et ses alluvions que la vallée doit sa fertilité. Mais depuis le 15 juin 2010, les catastrophes s'enchaînent. "Un débord de 50 cm, ça n'endommage pas les vignes. Mais quand l'eau dépasse 2 mètres, la plante est recouverte, les débris charriés par le courant arrachent ou couchent les vignes..."
Sans parler de la pollution des sols. "Parfois on retrouve des bidons, des pots de peinture... Dans ces cas-là on sait que les vignes vont y passer." La cave elle-même n'est pas épargnée. Pourtant construite en haut de la colline, elle est submergée en 2010. Jean-Stéphane a perdu l'ensemble de sa récolte, une partie de son matériel. L'ampleur des dégâts n'est même pas vraiment chiffrable.
> Revoir les reportages du journal spécial du 16 juin 2010 :
Six inondations en 10 ans
2011 rebelote, 2014 idem, 2016 encore. 3 mètres 50, 5 mètres 50... Jusqu'à l'hiver 2019, pendant lequel l'Argens déborde deux fois, en novembre puis en décembre. De quoi sérieusement ébranler une vocation.
"On nous a organisé des commissions, des réunions, des études. On perd un temps fou, ça coûte de l'argent, pour au final ne rien voir du tout. Aucun aménagement n'a été fait !
Déjà en 1985, j'étais au syndicat des jeunes agriculteurs, on nous parlait de grands travaux pour l'Est du Var. Rien n'a été fait."
Personne ne nie le facteur climatique : les épisodes méditerranéens, typiques de la région avec leurs fortes pluies, se sont rapprochés ces dernières années et sont bien plus importants. Mais les agriculteurs mettent en cause une artificialisation forcenée des sols, en amont de la vallée. Les rond-points, les routes, les supermarchés, les lotissements...
Le surcroît d'eau n'a plus nulle part où aller, si ce n'est dévaler la pente...
Des solutions existent
"Avant on gérait ces débords plus facilement. Maintenant tout prend de l'ampleur. Il faudrait que toutes les constructions, toutes les parcelles soient équipées de réservoirs de récupération des eaux." Le principe étant d'écrêter l'inondation, de la rendre moins dramatique.
Des solutions simples à mettre en place, et pas si onéreuse. "Le problème c'est qu'on se sent abandonnés. A croire que cette situation est voulue. Ils voudraient une nouvelle plaine des Maures, qu'ils ne s'y prendraient pas autrement." Comprendre : une zone naturelle protégée, rendue à la nature.
Et effectivement, la désertification rurale s'accélère, selon la Confédération Paysanne. "Sur 4.000 hectares de terre arable, à peine 1.000 sont exploités. Le reste est en jachère," explique Sylvain Apostolo, porte-parole à la Confédération.
"Nous voulons lancer un appel à l'aide, pour aider les agriculteurs à survivre et aussi aider les jeunes à s'installer."
Encore le meilleur moyen, selon eux, de maîtriser un peu les aléas climatiques. D'autant que, dans le contexte actuel, il serait judicieux de relancer l'agriculture de proximité. Au moins un bon point pour la crise sanitaire.
Jean-Stéphane, lui, s'apprête à célébrer un bien triste anniversaire. "On a l'habitude des calamités, le gel, les maladies, même la crise économique...
On a l'habitude de vivre un peu dans l'angoisse. Mais la peur des inondations, celle-là, on pourrait la supprimer assez facilement..."
En attendant un petit coup de pouce, il retourne panser les plaies de sa terre, en essayant de ne pas trop penser aux nuages qui s'amoncellent à l'horizon.