Comment faire d'un modeste vin de table, un vin glamour ? La réponse, c'est peut-être le changement de couleur. Depuis 20 ans, le rosé glisse doucement de l'orangé au rose pâle sans renoncer à son caractère et à son goût fruité. Explications.
C'est une évolution passée presque inaperçue, à part pour les connaisseurs. Le rosé a changé de couleur ! Tout doucement, imperceptiblement, année après année, il est passé de l'orangé, proche de l'abricot mûr, au rose pâle. Une façon de se démarquer et de changer de gamme.
Selon Gilles Masson, directeur du Centre du Rosé à Vidauban dans le Var, "c'est une longue histoire, depuis 20 ans, le rosé n'a cessé de s'éclaircir et ce sont les Provençaux qui ont donné cette tendance."
Un rosé qui prend bien la lumière sur le papier glacé des magazines, une pâleur qui donne un signal de légèreté, de finesse et de délicatesse. Mais le vernis marketing ne suffit pas.
"On est copié, imité, jamais égalé !"
"On l'a cultivé, on l'a travaillé, on a le terroir qui permet de produire des rosés très pâles, mais néanmoins expressifs", poursuit Gilles Masson, "l'idée, c'est de faire quelque chose de fin avec du goût, délicat, notamment sur le caractère fruité."
Cette quasi-invention, qui est l'ADN du rosé de Provence, a été copiée dans les régions françaises et dans le monde entier. Le plagiat n'est pas loin, alerte Gilles Masson : "Certains tentent d'éclaircir leur propre rosé pour le faire passer pour un vin de Provence. C'est la rançon du succès. On est copié, imité, jamais égalé !"
Création d'un nuancier de rose
Le centre de recherche a aidé les vignerons dans leurs recherches en observant les nuances du vin et en essayant de contretyper la couleur des rosés de Provence grâce à des machines qui analysent ces différences de manière très subtile.
Toujours à la recherche de la couleur parfaite pour le vin rosé. Pour cela, il a fallu créer un nuancier, trouver des équivalences. Gilles Masson explique la démarche : "On a choisi des noms de fruits pour qualifier les couleurs parce que c'est dans le registre des fruits qu'on trouve le plus d'expression et la dominante aromatique. Par exemple, le litchi, ça peut être évocateur, même s’il n'y a pas de litchi dans le vin."
Saison après saison, vendanges après vendanges, vignerons et experts ont apporté un vocabulaire nouveau. "On a maintenant des rosés nacre, sable, corail pour décrire la couleur de nos vins, en aucun cas le rosé a la couleur et le goût du pomelo... mais ce travail sur le nuancier a été très important car il a permis de qualifier le vin, d'apporter un vocabulaire plus riche", complète Gilles Masson.
En 2024, le rose, c'est même la couleur à la mode : sur les podiums comme pour la signalétique des Jeux Olympiques.
Secret de fabrication : des vendanges nocturnes
Mais pour obtenir ce rose pâle et s'éloigner de l'ancienne couleur corail, il a fallu trouver des solutions.
Les études et l'expérience ont montré qu'il fallait ramasser les raisins plus tôt :"ça permet de rafraîchir et d'obtenir une diffusion de la couleur moindre, de faire des vins plus parfumés et plus fruités", affirme Gilles Masson.
Quand on dit plus tôt, c'est carrément la nuit ! Les vendanges commencent à 2h30, 3 h du matin et s'arrêtent à 10 heures, avant les grosses chaleurs. Après, le raisin est travaillé en cave.
Résultat, les rosés de Provence figurent parmi les meilleurs rosés au monde, entre 13 et 24 euros la bouteille dans cette sélection pour l'été 2024. Des bouteilles de rosé provençal, aux côtés des vins canadiens, chiliens, autrichiens ou espagnols. Car oui, dans ce secteur, la concurrence est mondiale.
Tendance bio
Depuis 2017, un quart du vignoble provençal est bio, soit plus de 6.000 hectares. Un chiffre en constante augmentation. Un virage vers l'agriculture biologique pris parfois il y a longtemps. C'est le cas du village de Correns, entièrement certifié bio depuis 1997.
Si le prix de la bouteille est plus cher, en moyenne 20 % de plus, ce n'est pas dissuasif pour les ventes.
Aujourd'hui, le rosé a réussi à trouver sa place parmi la trilogie des vins du terroir français, encadré par le rouge et le blanc.
Des recherches, des échanges, l'envie d'être à la pointe de la tendance ont contribué à cette "success story provençale" qui a permis de bâtir une solide réputation.
Et à faire du rosé, un vin plus pâle et plus chic, un concentré aromatique et chromatique du terroir provençal qui se consomme toujours avec modération.