Depuis les attentats de 2015, notamment contre la rédaction de Charlie Hebdo, la laïcité est devenue un objet d'étude à part entière en collège et en lycée. Une thématique qui alimente discussions et réflexions en classe, entre incompréhensions, curiosité et débats.
"Si on ne doit pas porter de signe religieux à l'école, alors autant ne pas parler de laïcité", lui lance un élève de cinquième. Ce jour-là, Sophie Gomez s'attaque à un "gros" chapitre du programme d'Éducation Morale et Civique : la laïcité.
Pendant une bonne heure, comme pour chaque cours qui aborde ce sujet, la professeure d'Histoire-Géographie a donc présenté à sa classe les grands principes de la laïcité.
Cela en s'appuyant sur la charte affichée dans tous les établissements scolaires publics depuis 2013 et sur le texte de la loi 1905.
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A l’École, une charte pour faire de la #laïcité une culture commune et partagée >> https://t.co/p7hPDBkTZe pic.twitter.com/gmxJ7DH0xM
— Gouvernement (@gouvernementFR) December 9, 2015
Ainsi, la discussion s'engage avec ses élèves. La plupart questionnent, beaucoup comprennent, mais un des adolescents semble contrarié. "En gros, il voulait dire que si on ne souhaite pas parler de la religion de façon religieuse, on n'a qu'à ne pas en parler du tout", résume l'enseignante varoise.
Le jeune garçon se referme sur lui-même. Alors, pour éviter tout malentendu, Sophie Gomez lui propose une discussion à la fin du cours.
J'avais peur qu'il se soit braqué. Mais, non, ce n'était pas une opposition frontale. Il s'agissait seulement d'un sujet qui le touchait particulièrement et qu'il n'avait pas spécialement envie d'aborder dans la classe,
Sophie Gomez, professeure d'Histoire-Géographie.
L'envie de comprendre
Sophie Gomez est professeure "titulaire sur zone de remplacement" dans Var, c'est-à-dire qu'elle tourne d'établissements en établissements, collège comme lycée, en fonction des besoins. L'enseignante a donc parlé de la laïcité devant un nombre d'élèves aux profils bien différents. "Et, jamais, ça n'a créé de fortes tensions. C'est surtout un cours qui provoque le débat", assure-t-elle.
D'après son expérience, cette thématique attire davantage l'attention des adolescents que d'autres. Elle remarque notamment que les élèves sont souvent plus impliqués dans ce cours parce qu'il s'agit d'un sujet qui les touche au quotidien.
Une observation confirmée par Françoise Lantheaume, professeure émérite en sciences de l'éducation et de la formation à l’université Lyon 2. Pendant cinq ans, elle a mené un travail de recherche sur la question des religions en milieu scolaire. "C'est un objet d'étude qui intéresse les élèves parce qu'il leur permet de mieux comprendre le monde", assure-t-elle.
Le côté mystérieux de la religion intéresse les élèves. La plupart n'en connaissent pas grand-chose, mais savent que cela impacte le monde dans lequel on vit.
Françoise Lantheaume, professeure émérite à l’université Lyon 2
Lorsque Sophie Gomez est amenée à parler de laïcité, ces heures de classe prennent alors la forme d'exposés et de discussions. L'idée étant d'évoquer, plus globalement, "le vivre-ensemble, l'acceptation de l'autre et le respect de la législation française."
À chaque fois, les questions fusent."En fait, les élèves ne sont pas bien informés sur les religions. Alors, ils ont beaucoup d'interrogations à partir d'idées préconçues", détaille Sophie Gomez qui assure s'atteler à la déconstruction de ces stéréotypes.
Elle poursuit : "les élèves essaient aussi de comprendre pourquoi on interdit les signes religieux dans le cadre scolaire tandis que dans la rue ou en famille ça ne l'est pas. Tout ça donne l'occasion de discuter avec eux de la différence qu'il y a dans un service public d'éducation et le reste de la vie courante."
La laïcité est une source de liberté et protection
Françoise Lantheaume, professeure émérite à l’université Lyon 2
Françoise Lantheaume assure également qu'enseigner n'est pas plus propice aux tensions que d'autres cours dispensés au collège et au lycée. En se fondant sur ses résultats de recherche, elle affirme que c'est surtout un objet d'étude qui demande du temps et de la pédagogie.
"Des provocations existent, mais rien n'est ancré dans le marbre. Un élève qui, à un moment donné, s'est braqué, peut se montrer compréhensif six mois ou un an après", note-t-elle.
Un cours sur la caricature
Sophie Gomez enseigne l'histoire, la géographie et l'EMC depuis cinq ans. Elle a commencé un an avant l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020. Ce professeur avait été tué, après avoir montré deux caricatures de Mahomet issues du journal satirique Charlie Hebdo à ses collégiens, dix jours auparavant.
"Évidemment, maintenant, on a de l'appréhension avant d'aborder les questions de religion et de laïcité", assure-t-elle, sans pour autant parler de peur. Elle affirme continuer d'évoquer ces sujets en classe, de manière libre et sans se sentir plus menacé que pour n'importe quel autre cours.
"C'est un sentiment partagé par mes collègues, notamment ceux qui étaient en poste au moment des attentats de 2015", soutient-elle. D'ailleurs, la Varoise ne s'interdit pas de montrer des caricatures de Charlie Hebdo à ses élèves.
Seulement, elle raconte les intégrer à un cours dédié à l'histoire de la caricature depuis le XIXᵉ sicle. Son objectif est de montrer que les présidents, les députés, les religions et les stars, sont tous soumis à la critique de façon relativement égale.
"Ça ne résout pas tout, mais je pense que ça aide à la compréhension des élèves", estime-t-elle.
La nécessité d'être formé
Sophie Gomez admet toutefois que parler de religion et de laïcité demande plus de temps de préparation que d'autre sujet abordé en cours. "C'est une thématique sur laquelle on doit être carré sur ce qu'on dit. Et pour y arriver, c'est important d'avoir été formé", souligne-t-elle.
Pour sa part, la professeure varoise a suivi deux formations : une à la suite de l'assassinat de Samuel Paty et une autre, dispensée par le rectorat, dans le cadre du plan lancé par Jean-Michel Blanquer en 2021.
C'est nécessaire de se former soi-même, si on veut pouvoir expliquer aux jeunes quelle est l'importance de la laïcité.
Sophie Gomez
Cependant, tous les professeurs de France ne semblent pas tous pas avoir eu accès ou recours à ces formations.
D'après une enquête du Syndicat Enseignant – Unsa, menée auprès de près de 5 000 personnels de l’Éducation nationale, la moitié d’entre eux affirment n’avoir jamais reçu de formation, initiale ou continue, sur le principe de la laïcité.
Les répondants à ce questionnaire sont des enseignants titulaires, stagiaires ou contractuels, mais aussi des conseillers principaux d’éducation, des surveillants ou encore des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH).
Autant de corps de métiers en contact avec des élèves.