HISTOIRE. L'île du Levant : le paradis "nu et au soleil" au large d'Hyères

Située à une quinzaine de kilomètres au large d'Hyères et du littoral varois, l’île du Levant est déserte jusqu’au début du 20e siècle. Deux médecins parisiens, André et Gaston Durville en font l’acquisition en 1928. Adeptes du naturisme, ils entendent y réaliser et développer leur rêve : vivre sainement, nu et au soleil. Ainsi naissait, il y a 91 ans, la cité d’Héliopolis dont la renommée traverse les âges et les continents.

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Il était une fois, il y a fort longtemps, l’île du Levant avant les Docteurs Durville. 

La première description, connue, de l’île du Levant remonte à la moitié du IIIe siècle avant Jésus Christ. C’est Apollonius de Rhodes, géographe, poète et écrivain grec de l'époque, qui la mentionne dans son épopée " Les Argonautiques ".

À cette époque antique, cet îlet, de quelque 1 000 hectares, ainsi que les îles de Porquerolles, Bagaud et Port-Cros composent l’archipel des îles Stoechades qui font partie des Colonies de Massalia, l’actuelle Marseille ville grecque et libre.

Selon la mythologie, ce serait grâce à Jason que les Argonautes auraient réussi à descendre le Rhône au travers du pays des Celtes et des Ligures. Arrivés en Méditerranée, ils accostent aux Stoechades où ils sont en sécurité, protégés par Castor et Pollux . Un demi-siècle plus tard, l’île du Levant passe sous la domination de l’empire romain.

Au début de l’ère chrétienne, notre ère donc, Pline l’Ancien, la désigne sous le nom de Phila. Elle s’appelle plus tard l’Île du Titan, puis Cabaros ou Cap Roux. Aujourd’hui, elle fait partie des Îles d’Or. Administrées par la ville d’Hyères, elles sont connues également sous le nom d’îles d’Hyères.

Et de 400 à... 1928 !

  • Un site déjà très prisé par le clergé

Aux premiers siècles du christianisme, quelques ermites vivent sur l’île. Mais ils doivent trop parler de ce petit paradis…

Et, vers l’an 400, l’île du Levant connaît déjà une grande renommée, pour l’époque.  Les moines des îles de Lérins y établissent une annexe de leur couvent, dirigée par Théodore qui devint, en 426, le 3e évêque de Fréjus.

Vers 1400, les Bénédictins s’installent sur l’Île du Levant. Ils construisent un couvent dont on retrouve quelques vestiges au Jas Vieux, près de la Tour du Titan.

  • Le marquisat de François 1er

Malgré les invasions de pirates barbaresques, l’île est encore habitée en 1536, lorsque le redoutable Khayr-ad-Din, le fameux Barberousse, alors allié au Roi de France, y séjourne.
En 1538, les Îles d’Or sont érigées en marquisat par François 1e..

Se succèdent alors une farandole de "Marquis des Îles d’Or."

L’activité de certains propriétaires retient l’attention

Ainsi, en 1860, le Comte de Pourtalès installe au village de l’Avis une colonie pénitentiaire pour mineurs. Ces derniers se révoltent et l’établissement est finalement supprimé. De cet épisode funeste, subsiste, aujourd'hui encore, au cimetière du Levant, une stèle sur laquelle les noms des enfants morts sont gravés. Le lieu est aujourd'hui accessible sur demande et à la Toussaint.

  • Les chassés-croisés des propriétaires jusqu’en 1928

En 1880 la propriété de l’île échoit à Edouard Otlet, puis à ses héritiers, jusqu’en 1892.
Mais ces derniers doivent de l’argent à l’Etat. Et, la Marine nationale a des visées sur l’île du Levant. Un endroit idéal pour effectuer les exercices de tir de la flotte de guerre évoluant au large de Toulon.

En 1892, l’Etat saisit l’occasion. Il fait mettre en vente le domaine des Otlet.

Pour la petite histoire, ni la batterie des Arbousiers, pas plus que le chemin central de l’Île, ne font partie de la saisie. C’est pourtant grâce à ce chemin que l’on peut sillonner l’île, jusqu’à la plage du Titan !

Si la propriété de l’île du Levant a bien souvent changé de mains, il n’en demeure pas moins que tous les propriétaires qui y ont acquis des droits, n’en ont possédé, à chaque fois, qu’une partie, petite ou grande, et ce jusqu’en 1928 où tout change.

1928 - Une nouvelle vie, saine, nue et sous le soleil

C’est en 1928 que l’intégralité de l’île du Levant, soit près de 1 000 hectares, devient LA propriété de Gaston et André Durville via la Société Immobilière des Îles d’Or.

En 1931, persuadés des bienfaits de vivre sainement, nus et sous le soleil, les docteurs Gaston et André Durville parviennent à acheter la totalité des actions de la Société immobilière des Îles d’Or.

Ils décident de fonder le premier centre naturiste. Le Levant n’a connu jusqu’alors que conflits et révoltes. Cinquante ans après la fermeture de la colonie pénitentiaire de Sainte-Anne, en 1848, ils choisissent cette île isolée pour lancer le concept d’un domaine naturiste. 

Sur le premier lot, de 25 hectares, dont les deux médecins sont devenus personnellement propriétaires est créée la fondation de la cité naturiste d’Héliopolis.

La pratique raisonnée du naturisme fait de beaux corps et de splendides cerveaux

Docteurs Gaston et André Durville

Cette citation extraite de "La cure naturiste, pour entretenir sa vigueur et se guérir sans médicaments" aux Editions de l'Institut Naturiste, résume bien l'état d'esprit du site.

La philosophie des Durville tranche avec le mode de vie des années 1930. Ils prônent des bains de soleil et du sport quotidien. Une douche pas jour. Pas de consommation d'alcool ni de viande. Une révolution pour l'époque. 

1932 - Création de la cité naturiste d’Héliopolis

Encore confidentielle, l’existence de l’île du Levant, à seulement une quinzaine de kilomètres, en pleine mer, au large des côtes du Var, éclate au grand jour lors de la parution, le 8 janvier 1931, dans la revue "Naturisme" (revue des Dr Durville) d'un article au titre évocateur : "vers la création du plus formidable centre naturiste du monde."

Tels les premiers conquérants du Far West, les adeptes des Docteurs Durville débarquent au Levant. Ils rêvent d'un village utopique dans lequel on vit différemment. Une cité idéale.  

Si tout est à faire, cela ne pose pas de problème. Les naturistes cherchent de l’eau et construisent puits et fontaines. Ils ouvrent des chemins et pour cela font acheminer, par deux bateaux, des matériaux de construction. La première année, plus de 250 tonnes sont acheminées par bateaux. Une fois déchargés, tous les matériaux sont transportés, d’abord à dos d’âne, puis dans des voitures à traction animale. 

La construction d’une boulangerie, de magasins généraux et de restaurants sont entrepris.

L’ancienne Batterie des Arbousiers se transforme en habitation et on ouvre une librairie-papeterie. Vingt-cinq maisons sont désormais là pour témoigner de l’effort accompli.


Afin d’encadrer ce foisonnement, la commune d’Hyères, dont l’île du Levant dépend administrativement, y délègue même un adjoint.
 
Dès août 1931, 400 adeptes venus de tous les coins de France, de Belgique et de Suisse s’établissent sous les pins et les arbousiers du Grand Avis vers la Figueraie, leurs quartiers naturistes.
Les campeurs peuvent même prendre leur repas au restaurant végétarien du Rond-Point, chez Marcel, tandis que les sédentaires font découvrir, non sans satisfaction aux visiteurs, les 20 km de chemins carrossables, les cent villas et bungalows achevés ou en chantier.


Moins d’une année plus tard, deux hôtels, soit 75 chambres, peuvent désormais accueillir des voyageurs. Les pouvoirs publics prenant acte de l’accroissement de la population – permanente ou saisonnière - mettent à l’étude la création d’un bureau de poste et d’une école. 

L'extrait d'un reportage de sur L'île du levant en 1936 nous laisse à voir les cache-sexes portés à l'époque par les vacanciers.  

 

 

Allo ? L’île du Levant ?
 
En juillet 1936, ni portable, ni wifi mais des objets accrochés à des fils servant à communiquer. Le 12 juillet de l’année des premiers congés payés, le téléphone et le télégraphe sont installés dans un bureau de poste. Les P.T.T, (les postes, télégraphes et téléphones) s'implantent sur l'île du Levant.

Lors de l'inauguration l'inspecteur principal Jambert avait tenu à inaugurer le bureau de Poste en tenue naturiste. Voici un extrait de la revue Naturisme n°380 du 1er septembre 1936 :

En effet, à 10h56, M. Jambet franchissait le seuil du bureau de poste, le torse nu, vêtu en tout et pour tout du « slip » réglementaire. 
Après une courte visite de l’établissement, l’inspecteur principal procéda aux premières « manipulations » administratives. Il ouvrit l’enveloppe officielle contenant les fonds et les timbres. À cette occasion, le livre de caisse « Récapitulation des recettes et des dépenses » reçut la signature de M. Jambet, précédée de la note : « Vu le 12 juillet 1936 à l’Ile du Levant, l’inspecteur naturiste. »

Cette « terre magique » pour les naturistes offrait, il faut bien le dire, peu de confort jusqu’au début des années 90. Durant de nombreuses années, ni eau courante, ni électricité, ni ramassage d'ordures.
Il faut attendre pas moins de 58 ans pour que la fée électricité se pare du « minimum » et débarque sur l’île du Levant.


Souvenirs de Frets Verhees, propriétaire de l'hôtel Le Ponant et Philippe Fourneau, syndic de l'époque, homme de dossier et de négociation :

« Nos lumières étaient au pétrole, au gaz ou encore à la bougie et le soleil était la meilleure solution pour chauffer l'eau, surtout celle de nos douches prises à l'extérieur », se souvient Frets Verhees. Mais, dans les années 1960-1970, cette solution n'est plus satisfaisante. D'où l'apparition de groupes électrogènes, surtout chez les commerçants. Le bruit et la pollution condamnent à terme cette pratique brisant l'atmosphère si paisible et agréable du Levant. La seule solution valable s'impose : se raccorder par un câble sous-marin au réseau EDF du continent.

Il se trouvait qu'à l'époque j'avais des relations amicales avec le capitaine de vaisseau André Subra. Il fallait convaincre aussi la Marine de s'électrifier. Une table ronde diplomatique fut alors organisée entre EDF et les différents intervenants de l'île. C'est comme ça que l'aventure a commencé.

Philippe Fourneau

C’est du Cap Bénat, au Lavandou, que part le câble électrique. Il rejoint Port-Cros, à Porman, et traverse la passe de 600 mètres pour arriver, enfin, au port de l'Ayguade, au Levant. Plusieurs dizaines de kilomètre de câble souterrain et sous-marin sont nécessaires.

Une fois que le projet et son financement, jusqu'aux portes du domaine, sont bouclés, le plus difficile reste à faire : créer un réseau sur Héliopolis et faire participer les propriétaires à son financement.
En ce temps-là, le commerce levantin est encore florissant, l'île vibre dans une atmosphère de fête ! Aussi, chacun mettra la main à la poche selon certains critères.
« C'est le succès d'une initiative privée ! », se félicite Philippe Fourneau. 
« Particulièrement fier d'avoir mené à bien un projet aussi difficile, monté à une vitesse inespérée » dira Frets Verhees. Aucun câble n’est aérien. Tous ont été enterrés. Encore un sujet de fierté pour Frets Verhees.

L'arrêté municipal sur la pratique du naturisme 

En 1978 un arrêté municipal sur la pratique du naturisme (mis à jour en 2004) édicte clairement les zones où la pratique n'est pas autorisée. 

"Article 5. - Le nudisme intégral est interdit dans tous les établissements ouverts au public". 

L'arrêté délimite aussi des zones et des secteurs réservés aux naturistes. Le stationnement aux "non-naturistes" y est interdit. Le nu intégral obligatoire. Il prohibe aussi l'utilisation d'appareil photo et de caméra sans l'autorisation des personnes photographiées. 

L'objectif est entre autres de créer un lieu de liberté, mais aussi d'éloigner les voyeurs. Avec la popularité grandissante de l'île dans les années 50-70, l'arrivée d'artistes célèbres qui vont dessiner, peindre, parler de l'île, elle commence à attirer les regards.  

Une centaine d'habitants à l'année

En 1993, la réserve naturelle volontaire est créée sur décision du préfet du Var. 20 hectares de végétation au nord du domaine de l'île du Levant. Des sentiers au milieu du maquis que les visiteurs peuvent arpenter du bord de mer au sommet de l'île (138) d'où on peut admirer un panorama de l'est des Alpes au Massif de Sainte Baume. 

Reportage de septembre 2015 :

Une balade qui peut se faire avec un guide. Frédéric Capoulade est adjoint spécial de la ville d'Hyères. Il fait partie de cette petite centaine d'habitant à l'année sur le Levant. Habitué de l'île depuis la fin des années 50, il est un des témoins privilégiés de l'évolution de l'art de vivre au Levant. Il en a même fait un blog.  

"Le naturisme n'a pas perdu de son attrait encore aujourd'hui. Il y a des cours de Yoga, de bien-être, de sport. Ce sont plutôt des connaisseurs qui reviennent année à après année. Tout le monde s'y sent bien et protégé." 

Frédéric Capoulade est adjoint spécial de la ville d'Hyères.

Mais le Levant, qui peut accueillir jusqu'à 1200 personnes au pic de la période estivale commence à attirer une clientèle friande de fête. Loin de l'esprit tranquille des débuts et des Docteurs Durville. Un changement d'époque. Signe du temps qui passe sur cette petite île grecque il était une fois. 

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