Un jeune border collie de 4 mois porteur de la rage est mort en décembre dans le Var. Il a été importé illégalement du Maroc. Les vétérinaires poussent un coup de gueule face au manque de communication autour de cas, alors que la rage peut être mortelle pour l'humain.
Christel Joubert est docteur vétérinaire à Aubagne (Bouches-du-Rhône) depuis plus de 20 ans. Son numéro d’ordre est le 14261 13400, acquis en 1999, juste après sa thèse. Elle - et bon nombre de ses collègues - pousse un véritable coup de gueule face à l'absence de communication des services de l'Etat français sur le cas de rage détecté dans le Var il y a quelques semaines.
Un border collie de 4 mois, importé illégalement du Maroc le 16 décembre 2023, est mort treize jours après.
Le 16 janvier dernier, Christel Joubert, découvre sur le site de France 3 Côte d’Azur l’article traitant d’un cas de rage dans ce département. Elle décide de prendre attache avec notre rédaction pour nous faire part de son mécontentement.
Depuis, elle a contacté quelques collègues vétérinaires de la région Provence Alpes Côte d'Azur. Elle a tenu à nous faire partager son sentiment, celui d’une grande partie de la profession vis-à-vis de cette maladie qu’est la rage.
Ces professionnels de la santé animale tempêtent contre l'absence d'information et de communications des pouvoirs publics sur ce virus qui tue aussi des humains.
Paroles de vétos
"J’ai appris ce dernier cas de rage, qui a eu lieu fin décembre dans le département du Var, le 11 janvier dernier par un organisme vétérinaire. Aussitôt, j’ai diffusé l’information sur un groupe Facebook qui compte environ 9000 vétos et assistant(e)s vétérinaires. Un grand nombre d’entre eux n’étaient pas au courant. Y compris plusieurs qui exercent dans le Var à seulement quelques kilomètres du cas de suspicion de rage" a-t-elle confié à France 3 Côte d'Azur.
Pour avoir des informations plus précises de la direction départementale de la protection des populations, elle a "dû harceler [sa] DDPP pour qu’elle envoie un mail à tous les vétérinaires du département. Et, même suite à ça, visiblement, tous mes collègues ne l’ont pas reçu !"
Mes confrères qui ont appris qu’il y a eu un cas de rage dans leur département par leurs clients en consultation ! On passe pour des… !
Christel Joubert, docteur vétérinaire
Christel Joubert ne décolère par lorsqu'elle évoque l'absence de communication de certaines de ces instances : "Pire encore, quand vos clients vous disent qu’ils l’ont lu dans la presse animalière grand public, alors que vous, votre ministère ne vous en a même pas informé !"
J'ai des confrères qui ont appris, qu’il y a eu un cas de rage dans leur département par leurs clients en consultation.
Christel Joubert, docteur vétérinaire
Prise de précautions
Même constat d’exaspération des docteurs vétérinaires Carine Gantier, n°ordre 21083 et Céline Meurant n°ordre 18692, toutes deux associées au sein de la même clinique à La Garde, dans le département du Var. Elles parlent d'une même voix.
"Nous avons appris ce cas de rage proche de notre clinique, à moins de 10 kilomètres, via les réseaux sociaux, et grâce à une consœur vétérinaire d’un autre département qui a eu la présence d’esprit de nous prévenir le 11 janvier."
"C’est seulement, ainsi, nous avons pu prendre nos dispositions pour limiter les risques envers notre personnel. Or il s’est avéré que ce chien, porteur de la rage, a voyagé illégalement par avion du Maroc à la France. Il a réussi à passer tous les contrôles sans obstacle malgré l’absence de certificat officiel, le non-respect des délais imposés pour la vaccination rage ainsi que l’absence de titrage antirabique, tous obligatoires pour traverser notre frontière."
L'animal a bien été mis sous surveillance, suite à cette importation illégale, "dès le 20 décembre 2023 auprès de notre DDPP", confie-t-elles.
Nous n’avons été prévenues que le 15 janvier 2024 par un simple mail de la DDPP du Var. Soit 26 jours après l’entrée du chien enragé sur le territoire français. C’est tout simplement inadmissible !
Gantier Carine et Meurant Céline, vétérinaire à La Garde
Le jeune border collie n'a pas survécu. "Le décès de ce chien a été déclaré dès le 29 décembre 2023 auprès de cette même DDPP. Les résultats d’autopsie, le 5 janvier 2024, effectués par un laboratoire agréé, ont confirmé que ce chien était bien porteur du virus de la rage. Malheureusement, nous n’avons été prévenues que 15 janvier 2024 par un simple mail par cette même DDPP. Soit 26 jours après l’entrée de ce chien enragé sur le territoire français. C’est tout simplement inadmissible !" affirme l'une de ces professionnelles.
"La rage, ça tue"
Même sentiment de colère et d’exaspération du docteur Delphine Bianci, professionnelle de santé animale à La Valette, à proximité de Toulon. "Nous sommes les dindons de la farce ! Ça, pour la COVID, les autorités, elles ont su nous trouver pour que nous donnions nos gants, nos blouses ou encore nos appareils respiratoires enrichis à l’oxygène. Nous avons même participé à la campagne de vaccination rémunérée à un tarif horaire inférieur à celui d’un infirmier ! Et là, il y a un cas de rage à moins de 10 kilomètres de notre clinique. On ne plaisante pas avec cette maladie. Mais non, personne ne nous prévient. C’est tout simplement scandaleux !".
"La rage ça tue", martèlent les docteurs Carine Gantier et Céline Meurant. "Nous avons vraiment l’impression d’être toujours la 5ème roue du carrosse de l’Etat. Le risque sanitaire n’étant pas négligeable avec un risque humain mortel à 100% dès les symptômes déclarés de cette maladie, il est impensable à l’heure d’aujourd’hui qu’aucun protocole digne de son nom ne puisse être mis en place pour nous prévenir le plus rapidement possible. Devant l’incapacité de notre Etat à assumer ses responsabilités en temps et en heure, nous avons préféré faire vacciner tout le personnel, avec son accord, afin de limiter les risques et de rassurer toute l’équipe au sein de notre structure. De même, il aurait été judicieux de nous faire parvenir un minimum de renseignements (soit l'identité du chien concerné, NDLR) même sous couvert de non-divulgation en dehors de la clinique, afin de vérifier la non-mise en contact avec ce chien, et rassurer notre personnel."
Le protocole vaccinal de la rage : le parcours du combattant
Selon les deux vétérinaires de La Garde, "le protocole vaccinal de la rage à l’hôpital ne concerne que les voyageurs et les personnes ayant été en contact avec un animal enragé. Lors du cas de rage de décembre dernier, le personnel hospitalier nous a redirigés vers la médecine du travail qui nous a répondu qu’elle ne faisait pas d’ordonnance pour délivrer les vaccins rages et que les doses (3 doses pour un protocole complet, NDLR) étaient à charge pour le personnel".
Une dépense d'environ 250 euros par personne qui permet de se prémunir de cette maladie qui peut être mortelle pour les humains. Pour la clinique de Carine Gantier et Céline Meurant, c'est un total de 1250 euros de dépense pour 5 salariés.
Selon nos informations, le prix du vaccin à Marseille, dans un centre de vaccination est d’environ 50 euros par injection et le protocole en exige 3. Mais selon, où l’on achète le vaccin, qui n’est pas remboursé, le prix peut varier du simple au double...
Ces professionnels pointent les conséquences que cela pourrait avoir en matière de santé publique. "Il faut absolument que des protocoles soient mis en place rapidement pour ce genre de cas" plaident-ils de concert.
Selon eux, "les importations illégales d’animaux sont de plus en plus nombreuses et tous les propriétaires n’ont pas l’honnêteté de nous prévenir afin de prendre les dispositions adéquates et obligatoires pour mettre en règle ces animaux".
Un manifeste à plusieurs mains
Alors, à plusieurs mains, des vétérinaires français ont rédigé une sorte de manifeste sous la plume fédératrice de Christel Joubert :
- Assez, de ne pas être informé par notre ministère de tutelle
Ces vétérinaires, porte-parole, sont plus que lasses "que le ministère communique, en priorité avec les médias et ne les tienne pas informés des situations en cas d’introduction d’animal avec suspicion ou confirmation de rage. Il est bien beau de dire dans le communiqué de presse du ministère de l’agriculture, dont nous dépendons, que, 'Les vétérinaires sont en première ligne dans le dispositif de surveillance et de détection d’éventuels cas de rage en France. Qu’ils sont les interlocuteurs privilégiés pour accompagner les propriétaires d’animaux dans la prévention de la maladie'. Dans les faits, il nous tient à l’écart."
- Assez, d’être mal ou pas informés par les directions départementales de la protection des populations (DDPP)
"Si le ministère ne nous alerte pas, il semblerait qu’il n’informe pas non plus toujours très bien les DDPP dont nous dépendons. Et, même lorsque celles-ci sont averties, la diffusion de l’information est très aléatoire suivant les départements. Certains confrères, de l’autre bout de la France, ont été avisés par leur DDPP alors que les DDPP du Var et des Bouches-du-Rhône sont restées muettes. De nos jours, il est inconcevable qu’on ne mette pas en place un protocole simple d’information quasi en temps réel lors de risque de crise sanitaire comme l’introduction d’un cas de rage".
- Assez, que nos frontières soient des passoires pour les animaux qui entrent en France
Autre administration dans le collimateur des vétérinaires : le service des douanes. "Les contrôles aux douanes pour les animaux sont insuffisants pour ne pas dire inexistants. Sûrement par manque de moyens et d’effectifs, mais aussi, pour certains douaniers, par manque de formations.
Tout le monde n’est pas au courant des nécessités réglementaires pour passer les frontières avec un animal. Entre ceux qui ne sont pas contrôlés, ceux qui sont contrôlés pas en règle mais que personne ne remarque, ceux dont on ne contrôle que les papiers sans jamais vérifier la puce de l’animal… Et, c’est vraiment le fruit du hasard si on tombe sur la douane volante".
Et d'ajouter,
"Pourtant, il y a un vrai problème avec les animaux en provenance des pays de l’Est et du Maghreb et en particulier avec ceux du Maroc. Pour ces pays, le contrôle doit être systématique et complet. Nous avons de la chance, pour l’instant il n’y a pas eu de mort humain. Malheureusement la chance ne dure pas éternellement".
- Assez, du manque de communication grand public sur les risques de la rage
La presse et les médecins n’échappent pas également aux foudres de ces vétérinaires. "Les particuliers ne sont pas assez informés des risques de la rage lors de leurs voyages touristiques. Les médecins n’en parlent pas ou au mieux, peu. Nous, vétérinaires nous ne cessons de répéter qu’il ne faut toucher aucun animal. Et, évidemment, n’en ramener aucun. Nous le disons à tous nos clients, mais nous passons pour des empêcheurs de tourner en rond".
Chaque année, la rage tue environ 50 000 personnes dans le monde. Soit une personne toutes les dix minutes. Une fois qu’un humain développe les symptômes de la rage, il n’y a aucun traitement possible. La seule et unique issue est la mort !
"Les médias, eux aussi, ne communiquent pas assez sur ce virus. Rien dans la presse nationale aux heures de grande écoute. C’est une vieille maladie qui ne fait plus peur. Il faudrait la renommer avec des sigles genre R2024. Là ça ferait sûrement peur !".
- Assez, que la médecine du travail néglige les vétérinaires
Autre absente aux abonnées, selon Christel Joubert, la médecine du travail. "La médecine du travail ne nous parle jamais des risques de la rage dans notre métier, et ça, c’est juste un scandale. Depuis 25 ans que je pratique, jamais un toubib ne m’en a parlé quand j’étais salariée, ni n’en a parlé à mes employés depuis que j'ai une clinique. Le vaccin est conseillé, mais pas obligatoire. Dingue non ! Cerise sur le gâteau, il n’est pas pris en charge par la sécurité sociale. Il est à notre charge ! ".
Un appel à la mise en place d’un protocole dédié à la rage
En conclusion, les vétérinaires interviewés revendiquent trois choses incontournables selon elles :
- La mise en place d’un protocole standardisé d’information rapide de tous les vétérinaires de France lors de l’introduction sur le territoire français d’un animal suspect de rage (et encore plus si il est confirmé) ;
- L’obligation vaccinale des personnels des structures vétérinaires et sa prise en charge par la sécurité sociale ;
- Enfin, une campagne nationale pour informer le public des risques lorsqu’ils voyagent et des contrôles systématiques et complets pour les animaux provenant de pays à risque.
Cerise sur le gâteau
Malheureusement, les faits dénoncés par les vétérinaires de la région PACA ne semblent pas être imputables au seul sud-est de la France.
Une de leur consœur parisienne nous a appris ce 7 février dans la soirée, avoir vu arriver à son cabinet un chat en provenance du Maghreb qui avait voyagé par avion. Un animal qui n’a subi aucun contrôle aux douanes quand lui est son propriétaire ont posé un pied ou une patte sur le territoire français !