Une étude de grande ampleur pilotée par l'Ifremer en rade de Toulon dans le Var va mesurer l'impact réel des projets de nurseries artificielles. Des blocs de béton en 3D de la société montpelliéraine Seaboost abritent un écosystème artificiel que colonisent les poissons juvéniles.
Une garderie pour les bébés poissons ? En rade de Toulon ? Non, ce n'est pas un poisson d'avril du mois de septembre ! Juste une expérience scientifique très sérieuse et très concrète. Comme ces projets de nurseries artificielles se développent sur les côtes françaises, les scientifiques ont décidé de se pencher sur leur efficacité.
Herbiers artificiels
Une vaste étude, pilotée par l'Ifremer en rade de Toulon, va tenter d'objectiver ces installations qui manquent de retours d'expérience. Le long du quai océanographique de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), il suffit de se pencher pour voir des herbiers artificiels, de la posidonie imitée en polypropylène, et en dessous, des blocs de béton, réalisés en impression 3D.
A l'abri des prédateurs
Les blocs ont été immergés en juin 2020. Le suivi a commencé immédiatement. Les scientifiques plongent plusieurs fois par semaine pour réaliser des comptages. Car ces blocs font office de rochers dans lesquels s'abritent les poissons juvéniles : un écosystème artificiel qui offre des cavités aux poissons de la rade. Ici, les petits poissons peuvent grandir à l’abri des prédateurs avant de venir renforcer les populations naturelles.Restaurer cette faune
Aujourd'hui, ce sont les premières victimes de la surpêche, de la pollution et du changement climatique. On vérifie si le nombre de bébés poissons est plus important dans ces nurseries artificielles et on regarde comment ils s'adaptent à ce nouveau milieu. L'enjeu : établir le nombre de blocs nécessaires dans les ports si l'on veut restaurer cette faune à plus grande échelle.
944 individus issus de 28 espèces
Depuis qu'ils ont été posés en juin, les chercheurs ont observé 944 individus issus de 28 espèces dont six patrimoniales comme le sar, le labre, le loup, la daurade, détaille Marc Bouchoucha, ingénieur écologue à l'Ifremer. Ce sont des espèces communes déjà présentes dans la rade. Mais comment cette nouvelle abondance et cette biodiversité vont se répercuter sur les stocks de poissons ?
Cuivre, plomb, mercure
Combien de récifs artificiels sont nécessaires pour réhabiliter des zones 100% artificialisées et dégradées comme l'est le port de Toulon, pollué au plomb, au mercure, au cuivre ? Car certains secteurs de la petite rade sont extrêmement contaminés par des métaux comme le cuivre, le plomb ou encore le mercure. Des métaux issus des activités militaires et industrielles passées et actuelles bien connus pour avoir des effets délétères sur les organismes vivants à plus ou moins long terme.
Jumeau numérique de la rade
Pour le mesurer, les chercheurs ont créé un jumeau numérique de la rade, posé des outils de mesure en continu de la taille des poissons et vont déployer des stations vidéo rotatives à l'extérieur du port. Car si les poissons juvéniles sont naturellement ramenés vers les côtes par les courants, que deviennent-t-ils une fois adultes ? "L'homme doit-il leur déployer un corridor marin ?", se demande Marc Bouchoucha. Pour l'instant, ce que l'on ne connaît pas, c'est l'impact sur les populations naturelles extérieures.
Manque de retour d'expérience
Depuis 1960, beaucoup d'initiatives se sont multipliées, surtout en Méditerranée, avec parfois des hérésies, comme les pneus immergés dans les années 1980. Depuis, des procédés perfectionnés ont été développés comme ceux de la start-up montpelliéraine Seaboost, partenaire de l'étude menée à Toulon. Mais en 2012, un rapport de l'État déplorait le manque de retour d'expérience suffisant pour "tirer des enseignements définitifs".
"On favorise le retour à la vie"
"Aujourd'hui, on est solide pour dire que quand on équipe un ouvrage, on favorise le retour de la vie", confirme Julien Dalle, directeur de projets chez Seaboost, qui a par exemple équipé le port de Marseille ou le Cap d'Agde. Il espère que l'étude, portée par l'Ifremer, Seaboost mais aussi la métropole de Toulon et la CCI du Var, gestionnaire du port, "permettra de mieux cerner les répercussions de telles installations et leur calibrage".
Deux ans pour affiner les observations
L'étude, d'une durée de quatre ans, est inédite par l'ampleur des expériences : 3 stations de 50 m2 chacune et la fréquence de suivi. Il faudra encore attendre deux ans pour affiner les observations et émettre des recommandations sur la conduite de tels projets dans les ports.
Le but : établir un dispositif à une plus grande échelle. Pour cela, il faudra extrapoler le nombre de blocs en fonction de la zone... mais pas avant d'avoir passé un ou deux cycles de reproduction des poissons.