Des grandes entreprises accaparent les terres en rachetant des milliers d’hectares à des tarifs inaccessibles aux paysans. Dans le Var, la fédération s'inquiète et lance un cri d'alerte ce dimanche 28 août.
Les raisins de la colère. Dans cet article, ce n'est pas du roman de John Steinbeck dont il s'agit, mais de l'indignation de vignerons varois. En effet, ce 28 août, plusieurs collectifs paysans ont mené une action de désobéissance civile. L'objectif : dénoncer la financiarisation et l’accaparement des terres agricoles, par des groupes de luxe.
La mobilisation s'est déroulée sur une parcelle du château d'Esclans dans le Var, parcelle appartenant au groupe LVMH de Bernard Arnault. Deux cents personnes ont répondu à l'appel.
"Notre action est pacifiste, revendiquée et à visage découvert", a martelé Sylvain Apostolo, porte-parole de la Confédération paysanne du Var. Le cortège s’est ensuite élancé vers le domaine du milliardaire. Sur ce terrain, 55% des parts ont récemment été acquises par le groupe LVMH.
Au son des tambours et des slogans "le vivant plutôt que les profits", les manifestants ont vendangé une partie de la production. Le raisin récolté a été amené deux kilomètres plus loin, là où des engins mobiles l'ont transformé en jus pressé. Une tonne de fruits dégustée, pour faire un pied de nez au milliardaire et à ses partenaires.
LVMH : un empire jusque dans le Var
Fondé au XIIIe siècle, le domaine d’Esclans a connu divers propriétaires avant d’être racheté en 1994 par un fonds de pensions suédois qui produit une petite quantité de vin, et vend le raisin restant aux viticulteurs alentour. Passé de main en main, le rosé de Provence connaît une croissance fulgurante à l’international, à partir de 2010. La production atteint 10 millions de bouteilles par an, essentiellement commercialisées à l’export.
En mai 2019, LVMH acquiert un premier domaine dans le Var pour 30 millions d’euros : le Château du Galoupet et ses 72 hectares.
En décembre 2019, la société prend le contrôle du Château d’Esclans. Aujourd’hui, la propriété s’étend sur 427 hectares, dont 140 de vignoble, auquel il faut ajouter les 1000 accaparés via l’achat de raisin aux viticulteurs locaux.
Pourquoi ça pose problème ?
Dans le Var, là où les terres agricoles, étaient déjà plus chères qu’ailleurs, des augmentations du simple au double ont pu être constatées.
"De 45.000 à 120.000 euros l’hectare"
assure le syndicaliste.
Les parcelles deviennent donc inaccessibles aux agriculteurs, qui peinent déjà à s’installer. "Que va-t-il se passer, s’interroge le représentant de la Confédération paysanne varoise, quand dans dix ans, 50 % des paysans seront partis à la retraite et que personne n’aura les moyens de racheter les terres ?"
C’est pour préserver les terres disponibles et les garder accessibles aux petits paysans que le syndicat plaide pour une loi foncière spécifique permettant de lutter contre la spéculation, la financiarisation et l’accaparement.
Toute la France est touchée par ce phénomène
La loi Sempastous, adoptée en décembre 2021, entend favoriser l’installation des agriculteurs et aider le renouvellement des générations agricoles. Elle instaure une nouvelle procédure de contrôle des cessions de parts et actions de sociétés sur le marché du foncier agricole.
"Cette loi vient combler le principal trou dans la raquette de la politique de contrôle des structures", a expliqué Julien Denormandie, alors ministre de l’Agriculture. Pourtant, pour les collectifs paysans, elle reste insuffisante et les contrôles pas suffisamment dissuasifs.
"Trouver des terres, c'est très compliqué, j'y ai passé deux ans, il y a beaucoup de choses qui passent sous les yeux de la Safer (organe de régulation du foncier agricole, ndlr) sans qu'elle puisse rien faire et ça, c'est ce contre quoi on milite, les montages sociétaires font que des ventes se font sans qu'on puisse les réguler", témoigne Gwenaëlle Le Bars, une trentenaire viticultrice installée à Saint-Maximin.
A quelques kilomètres de là, dans les Alpes-Maritimes, à côté de Grasse, des grandes maisons achètent l’hectare à des prix exorbitants pour cultiver les fleurs, nécessaire à la composition de leurs parfums. Difficile donc pour les jeunes agriculteurs de suivre.
La Confédération paysanne, qui lutte "contre l'opacité du marché des parts sociales", plaide pour "doter les Safer de moyens financiers dédiés, garants de leur impartialité dans l'instruction des dossiers". Car, selon elle, en 2019 par exemple, les transactions par achat de parts de société ne représentaient que 6,5% des transactions liées au foncier agricole mais près de 60% des surfaces vendues.
Sur les 27 millions d’hectares de terre agricole que compte la France, aucune donnée précise ne permet de savoir combien sont déjà tombés dans l'escarcelle des grands groupes.