A l'heure des cérémonies confinées pour commémorer le 8 mai 1945, la profanation du cimetière juif de Carpentras le 8 mai 1990 reste un des actes antisémites les plus marquants de l'après-guerre en France. Il avait suscité une mobilisation historique, jusqu'au sommet de l'Etat.
L'affaire, qui a marqué le deuxième septennat du président François Mitterrand, démarre dans la nuit du 8 au 9 mai 1990. Cinq néonazis âgés de moins de 25 ans, armés de pelles, pioches et pieds-de-biche saccagent 34 sépultures dans le carré juif du cimetière de cette cité du Vaucluse.
Comble de l'horreur, le cadavre d'un homme, Félix Germon, 81 ans, décédé 15 jours plus tôt, est exhumé, son linceul ouvert et son empalement simulé avec un pied de parasol.
Partie de Carpentras, cité où les Juifs ont été protégés depuis le Moyen-Âge et pendant des siècles par la Papauté, et où se trouve la plus ancienne synagogue de France, l'onde de choc s'étend au pays tout entier.
Une surmédiatisation dûe à la présence d'un ministre
A 92 ans, Claude Mossé, écrivain et journaliste se souvient très bien de ce 8 mai 1990. "Il était 14h50, j'étais chez moi en train d'écrire, quand le journal radiophonique de France Info parle de cette profanation", raconte-t-il.Il décide alors de se rendre sur place pour vérifier l'information. Il y voit Pierre Joxe, alors ministre de l'Intérieur. Ce dernier était en déplacement à Nîmes, quelques heures plus tôt. Le voici au cimetière devant les caméras "de la France entière et même au-delà", tout juste une heure après la découverte des faits.
Pour Claude Mossé, c'est la présence immédiate du ministre qui a provoqué "cet emballement médiatique". "Il y a eu depuis bien d'autres profanations de cimetières juifs, parfois bien plus graves, mais qui n'ont pas provoqué cette surmédiatisation".
Il met en cause les idées véhiculées par Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national (FN), devenu depuis le Rassemblement national (RN) dirigé par sa fille Marine.
Les politiques de tous les autres bords condamnent, la société s'indigne. C'est le début d'une mobilisation qui fera date contre l'antisémitisme et culminera le 14 mai avec une manifestation à Paris rassemblant plus de 200.000 personnes, dont François Mitterrand.
Il s'agit d'une première pour un président de la République depuis 1945, et le restera jusqu'à la manifestation de 2015 après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, à laquelle participera François Hollande.
"Trois honnêtes bourgeois carpentrassiens" jamais condamnés
Six ans après la profanation, le 30 juillet 1996, trois jeunes gens avouent en être les auteurs. D'après Claude Mossé, il s'agirait en réalité d'un marché conclu avec les renseignements généraux, "soucieux de classer l'affaire"."Les trois hommes risquaient dix ans pour trafic de stupéfiants. Ils ont pris moins de deux ans pour la profanation du cimetière", argumente l'écrivain.
Pour Claude Mossé, les vrais profanateurs sont "trois honnêtes bourgeois carpentrassiens". Ils n'auraient jamais été inquiétés par la justice, "seuls ceux qui s'intéressent un peu à ville, connaissent la vérité", ironise-t-il.
De cet évènement qui a marqué l'histoire de sa ville, Claude Mossé en a écrit un livre en 1996, "Carpentras, la profanation".L'affaire marquera durablement la famille Le Pen et le FN. Trente ans après, rebaptisé RN, il s'est très profondément implanté dans la région, devenue l'un de ses bastions.
C'est dans l'une des circonscriptions de Carpentras qu'est élue en 2012, à 22 ans, Marion Maréchal, la petite fille de Jean-Marie Le Pen. Un symbole qui a permis de "laver l'affront" fait au nom des Le Pen, s'enorgueillira le patriarche.
La ville, elle, tente d'oublier, alors que pour beaucoup son nom reste associé à la profanation. Aucune commémoration n'est prévue cette année, pas plus que les précédentes, précise le maire divers gauche Serge Andrieu.