Viols de Mazan : 51 accusés, soumission chimique, consentement… 13 choses à savoir sur le procès qui s'ouvre lundi

Pendant 10 ans, Dominique P. a recruté des inconnus sur internet pour violer son épouse, après l'avoir droguée. Voici tout ce qu'il faut savoir sur cette affaire portée devant la justice dès ce lundi 2 septembre, à Avignon.

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92 viols en neuf ans. Entre 2011 et 2020, ils sont une cinquante d'hommes de tous âges à avoir violé l'épouse de Dominique P, au domicile du couple dans le Vaucluse, au bord de l'Auzon. Lundi 2 septembre, le procès hors norme des viols de Mazan va s'ouvrir au tribunal d'Avignon pour une durée de quatre mois. Profils des accusés, soumission chimique, pathologies mentales... France 3 Provence-Alpes fait le point sur cette affaire. 

Un mode opératoire rodé

Dominique P. contactait des hommes via le site internet "coco.gg". Il les faisait venir dans son pavillon de Mazan, au pied du Ventoux, filmait les abus sexuels et conservait les enregistrements sur son ordinateur. 

Pour les hommes invités, au milieu de la nuit, les consignes étaient strictes, pour ne pas réveiller l'épouse droguée : ni parfum, ni odeur de cigarette, se réchauffer les mains en les passant sous l'eau chaude, se déshabiller dans la cuisine pour éviter d'oublier un vêtement dans la chambre.

Le mari participait aux viols et les filmait, encourageant ses complices en des termes particulièrement dégradants. Mais il ne réclamait aucune contrepartie financière, sa seule motivation semblant être d'assouvir ses fantasmes.

Au total, 92 faits de viols sur son épouse sont recensés, par 72 hommes. Mais seule une cinquantaine seront formellement identifiés.

Le mari interpellé en 2020

Cette affaire hors du commun avait débuté le 12 septembre 2020 par un simple fait divers. Surpris par un vigile, le mari avait été interpellé dans un magasin de Carpentras (Vaucluse) en train de filmer sous les jupes de clientes.

En fouillant son ordinateur, saisi à son domicile de Mazan, les enquêteurs découvrent des milliers de photos et vidéos de son épouse, visiblement inconsciente, souvent en position fœtale, violée par des dizaines d'inconnus, au domicile familial.

Les policiers retrouvent aussi des conversations du mari sur coco.gg, où il invitait ses interlocuteurs à venir profiter de sa femme. Dénoncé comme un "repaire de prédateurs", ce site de rencontres a été fermé en juin par la justice.

"Le mari utilisait de puissants anxiolytiques pour droguer sa femme. Les individus entraient à pas feutrés, chuchotaient et si la victime bougeait un bras, ils s'en allaient", avait expliqué fin 2021 à l'AFP le commissaire Jérémie Bosse Platière, de la police judiciaire d'Avignon, lorsque l'affaire avait éclaté.

Violée 92 fois sans "aucun souvenir"

La victime est une septuagénaire qui souhaite conserver son anonymat. Dans un entretien accordé à l'AFP, l'un de ses avocats, Me Antoine Camus, a souligné "les questions vertigineuses" que soulève ce dossier. "Elle va véritablement vivre pour la première fois, mais en différé, ce qui lui est arrivé, à l'audience."

"On le sait, elle ignorait tout de ce qui lui était infligé. Elle n'a aucun souvenir des viols qu'elle a subis pendant dix ans. Elle va les découvrir tout au long de ces quatre mois. C'est ce qui fait de ce dossier, pour elle, une épreuve absolument terrible."

Le mari "pris dans l'addiction", sans pathologie mentale

Aujourd'hui âgé de 71 ans, Dominique P., ex-salarié d'EDF, ne souffre "d'aucune pathologie ou d'anomalie mentale" mais d'une "déviance sexuelle ou paraphilie de type voyeurisme", selon plusieurs examens psychiatriques réalisés lors de l'enquête. Il y est qualifié de "patriarche", "manipulateur" doté d'une personnalité "perverse", utilisant sa femme comme "appât".

Lors de ses auditions, il a expliqué retirer "du plaisir" à voir son épouse forcée à effectuer des actes qu'elle refusait habituellement.

"Le fait de soumettre quelqu'un peut susciter un formidable sentiment de toute-puissance et de pouvoir sur un être plus faible, ou qu'on domine. C'est un sentiment de domination masculine", souligne Véronique Le Goaziou, chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de sociologie, spécialiste des violences sexuelles, entendue par l'AFP.

"Il y a une part de voyeurisme, ça c'est incontestable, déclare Me Béatrice Zavarro, avocate du principal mis en cause. (...) Je pense qu'aujourd'hui, au bout de presque quatre années de détention, il est dans un raisonnement peut-être un peu plus posé et qu'il saura très certainement expliquer."

Affirmant avoir été lui-même violé à l'âge de neuf ans, par un infirmier, l'accusé principal a exprimé ses regrets aux enquêteurs, affirmant avoir été "pris dans une addiction" l'empêchant d'arrêter.

Je pense qu'il fait partie de ces hommes-là qui ont ce parcours de vie normale et qui, d'un coup, basculent. Mais je crois que malheureusement, les prisons sont remplies de ces gens-là.

Me Béatrice Zavarro, avocate du principal mis en cause

AFP

"Le personnage, c'est un homme lambda, décrit Me Zavarro. C'est un homme qui a vécu une vie de travail et qui a été retraité. Et à partir de la retraite, il y a quelque chose qui se passe, qui fait qu'à un moment donné, il songe à ce schéma criminel. Mais le pourquoi du comment ? Je pense qu'il s'expliquera à la Cour criminelle."

Des auteurs au profil de "Monsieur Tout-le-monde"

Pompier, artisan, ex-policier, électricien ou encore journaliste... Les 51 accusés ne souffrent d'aucune pathologie psychique notable, selon des experts, qui pointent toutefois leur sentiment de "toute-puissance" sur le corps féminin.

"La première réaction qui va venir à la bouche de beaucoup sera 'c'est un grand malade', 'c'est un fou'. Pas sûr du tout.", estime Mme Le Goaziou à propos du principal accusé.

La part des auteurs de viols pour lesquels on arrive à diagnostiquer une véritable pathologie mentale est infime.

Véronique Le Goaziou

AFP

Parmi ceux qui comparaîtront lundi devant la cour criminelle de Vaucluse, des hommes âgés de 21 à 68 ans lors de la découverte des faits. Trois catégories émergent : le mari, "organisateur" des 92 faits de viols, ceux soupçonnés de s'être rendus une seule fois au domicile du couple, et ceux venus plusieurs fois.

La victime a renoncé au huis clos

La victime principale avait dans un premier temps demandé le huis clos. "Ma cliente attend que la justice passe, pour comprendre, expliquait à l'AFP Me Camus en mars dernier. Elle essaie de se reconstruire, surtout après avoir pris cette espèce de TGV en pleine figure". Avant d'y renoncer finalement.

"C'est ce qu'auraient souhaité ses agresseurs", déclare son avocat. "Et elle est bien résolue à affronter leur regard, à commencer par celui de son ex-mari, avec lequel elle a vécu 50 ans, mais dont elle a découvert, à 68 ans, qu'elle ne savait rien".

"Le temps a fait son œuvre, et aujourd'hui, elle réalise qu'à partir de sa propre histoire, il y a beaucoup d'enseignements à tirer, et sa première volonté est évidemment que ça se sache. Le silence, c'est ce que veulent les agresseurs finalement. Ceux qui se trouvent dans le box, mais ceux qui se trouvent encore à l'extérieur et qui continuent ce type d'agissements."

Un procès symbolique de la soumission chimique...

La soumission chimique consiste en l'administration à des fins criminelles de substances psychoactives à l'insu de la victime ou sous la menace, pour commettre un crime ou un délit. Le mari a reconnu que certains soirs, il administrait de puissants anxiolytiques à sa femme, à son insu. Du Temesta le plus souvent.

Totalement inerte sur les vidéos, la victime subira toutes sortes de viols des hommes mis en accusation. Seuls quelques-uns questionnent le mari sur la passivité de l'épouse, trouvant "bizarre" qu'elle ne réagisse pas.

"La somnologie à un tel degré pourrait évoquer la nécrophilie", témoigne un expert, "chaque individu disposait de son libre arbitre afin de cesser ses agissements et quitter les lieux". Seuls trois l'auraient fait.

On est dans le rapport de soumission, dans le jeu de pouvoir, dans la toute-puissance, dans le pétage de verrou, dans l'exultation de soi. On peut dire de tout ça que c'est du patriarcat.

Véronique Le Goaziou

... Et du consentement

"Par définition, quand on passe à l'acte, on ne se pose pas de questions sur le consentement, analyse Véronique Le Goaziou.. Le passage à l'acte, c'est justement le fait de n'être pas arrêté, par soi-même, par la barrière de la conscience, de l'interdit, du surmoi, du contrôle social ou des lois", explique-t-elle.

Cette question de savoir si les visiteurs étaient préalablement au courant que l'épouse était inconsciente sera centrale lors du procès. Mais il sera difficilement tenable pour les "récidivistes", les 10 accusés revenus jusqu'à six fois pour certains, de soutenir qu'ils ne savaient pas.

"On peut en tirer l'enseignement qu'il y a un problème aujourd'hui avec le consentement en matière sexuelle, déclare Me Camus, avocat de la victime. Tous, très clairement, auraient dû tourner les talons immédiatement."

"Dans quel esprit tordu peut-on imaginer que cette femme ait pu délibérément, consciemment, être mise dans cet état de sédation ?, poursuit l'avocat. Ça n'a évidemment aucun sens. Mais ça en dit beaucoup des difficultés que nous avons encore à ce jour dans cette société avec la notion de consentement sexuel."

Un type d'affaire "extrêmement rare"

Selon Véronique Le Goaziou, ce procès des viols de Mazan est un "un type d'affaire "extrêmement rare".

Rare pour l'âge des deux protagonistes principaux - un couple d'une soixantaine d'années ensemble depuis 1971 -, pour son mode opératoire - l'époux droguant sa femme pour la rendre inconsciente et invitant d'autres hommes à en abuser, sans contrepartie financière -, et pour le nombre d'accusés.

"La particularité de ce dossier, c'est que vous avez 50 personnes, décrit Me Zavarro. Je ne parle pas du mien, mais vous avez 50 personnes qui pourraient, effectivement, comme vous l'avez souligné, être jugées individuellement, c'est-à-dire qu'on n'est pas dans le cadre d'une association de malfaiteurs."

"On n'est pas dans le cas d'une bande organisée, on n'est pas dans le cas d'une complicité. Donc, c'est 50 cas individuels qui vont se retrouver dans une même enceinte pour un même procès."

Un procès hors norme

69 jours d'audience prévus, 51 accusés, 5 parties civiles, 36 médias accrédités... Le procès est hors normeJusqu'au 20 décembre, devant la cour criminelle de Vaucluse, composée de magistrats professionnels et non de jurés populaires, les accusés vont comparaître, dont 18 dans le box réservé aux détenus.

Les audiences se tiendront chaque jour à partir de 9h au tribunal judiciaire d’Avignon. L'accès à la salle de la cour criminelle départementale de Vaucluse est autorisé en priorité aux parties au procès, leurs avocats et leur famille.

La fille de la victime s'est portée partie civile 

Le couple a trois enfants. Deux fils, et une fille, Caroline Darian. Elle s'est portée partie civile lors de ce procès. Elle souhaite le médiatiser pour dénoncer la soumission chimique, combat qu'elle dénonce avec son association M'endors pas, publié chez Lattès en 2022.

Initiatrice d'une campagne #mendorspas Stop soumission chimique, elle a aussi témoigné à visage découvert sur BFMTV en juin 2023. "J'étais proche de mon géniteur, on était une famille unie, on passait aux yeux de tous pour une famille exemplaire", confiait-elle.

Comme les épouses de ses deux frères, Caroline Darian a aussi été photographiée nue par son père, à son insu. Et elle se demande si celui-ci ne l'aurait pas droguée, une accusation qu'il dément et que l'enquête n'a pas démontrée.

Selon Me Camus, les enfants du couple se posent aujourd'hui des questions "absolument vertigineuses" : "Qui est cet homme qui les a élevés ? De qui sont-ils les enfants ? (...) Que valent leurs souvenirs d'enfance ? Les anniversaires, les vacances ? C'est une vie entière qui, à l'âge de 40, 45 et 50 ans, vole en éclats."

Sont-ils vraiment les enfants d'un monstre ? Sont-ils les enfants d'un psychopathe ?

Me Antoine Camus

AFP

"Ils espèrent avancer dans leur compréhension. De qui est cet homme (...) dont ils réalisent aujourd'hui qu'ils ne connaissent rien. Ils veulent comprendre qui il est, de qui ils sont les enfants."

Objectif pour l'accusé : "Eviter 20 ans"

Selon l'avocate de l'accusé principal, Me Zavarro, Dominique P. "est dans un état d'esprit d'affronter son procès, d'affronter son épouse, d'affronter sa famille, d'affronter sa fille aussi." "Il est là, il sera là." Chacun des 51 accusés encourt une peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle. Une peine que veut éviter l'avocate de Dominique P.

"Ce sera l'objectif d'éviter 20 ans parce qu'il y a quand même un message à faire passer. Donc oui, on tâchera, on tâchera d'éviter 20 ans. On ne sait pas, on verra bien". Le message : "Dire que ces gens-là sont là en connaissance de cause."

Dominique P. mis en examen dans deux autres affaires

Traqué par le pôle "cold cases" de Nanterre, Dominique P. a en effet été mis en examen pour un meurtre accompagné d'un viol à Paris en 1991. Les faits datent de l'époque où le couple vivait encore en région parisienne.

Le 4 décembre 1991, Sophie Marne, une jeune employée d'agence immobilière de 23 ans, est retrouvée morte à Paris alors qu'elle avait rendez-vous avec un client pour la visite d'un logement. La victime a été droguée à l'éther, frappée avec une arme blanche, ligotée et violée avant d'être tuée.

Dans l'autre affaire, survenue le 11 mai 1999 à Villeparisis en Seine-et-Marne, la victime est également employée d'une agence immobilière, mais elle réussit à échapper à son agresseur, qui tente de l'endormir à l'éther pour la violer. Rattaché à la tentative de viol de Villaparisis par son ADN, le suspect reconnaît son implication, mais il nie être le meurtrier de Sophie Marne

Les deux affaires, toutes deux clôturées par des non-lieu, auraient pu en rester là. Mais 23 ans après la tentative de viol de Villeparisis, les enquêteurs ont fait des rapprochements entre les deux "cold case", frappés par la similitude du mode opératoire et du contexte des faits.

"Tous deux commis dans le cadre d'une visite d'appartement, les deux victimes étant toutes deux agents immobiliers", a précisé le parquet de Nanterre jeudi 12 janvier 2023 à France 3 Provence Alpes.

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