Violences sexuelles : le seuil d'âge de 15 ans fixé par Eric Dupond-Moretti "va dans le bon sens" pour les associations

Mardi, le ministre de la Justice a annoncé que tout acte de pénétration sexuelle commise sur un mineur de moins de 15 ans par un adulte sera qualifié de viol. Une mesure qui rassure les associations, mais certaines exceptions font débat. 

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"On est en train de fissurer cette chape de plomb, notamment idéologique, qui interdisait à la parole des victimes de se libérer", a affirmé Eric Dupond-Moretti sur le plateau du 20 heures de France 2 mardi.

Trois semaines après le lancement d'une consultation pour améliorer la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, le garde des Sceaux a apporté une première réponse : la création d'un seuil d'âge fixé à 15 ans en deçà duquel tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sera considéré comme un viol. En d'autres termes, il n'existera plus de questions de consentement sous ce seuil.

"Cet âge correspond à l'âge de la majorité sexuelle", explique Eric Florentino, responsable formation chez SOS Femmes 13 qui voit ici une "vraie avancée" : "Cela met fin au sempiternel débat sur la question très compliquée : le consentement chez les mineurs. Ça va clarifier les choses et éviter des débats qui ouvrent la porte à tout et n’importe quoi".

"C’est très protecteur de la victime, et a l’avantage de la clarté, estime Me Eolas, avocat au barreau de Paris, sur Twitter. Il n’y a plus à louvoyer, plus de zone grise : pas 15 ans, pas touche. C’est du bon droit pénal : la ligne rouge est limpide"

Si Me Joanny Moulin, avocat à Marseille et président de l'association Parole d'Enfant, reconnaît une loi "qui va dans le bon sens", il en voit néanmoins les limites : "Entre un père incestueux ou un pédophile de 40 ans qui agressent un enfant de 4 ans, ce n'est pas pareil qu’entre ado de 17 ans qui peut avoir une relation avec une mineure de 15".

"Il ne faut pas rigidifier de façon implacable. Il faut toujours se méfier de tout texte qui ne permet pas un raisonnement et une appréciation des cas individuels par les magistrats".

L'écart d'âge en question

Le ministre de la Justice a apporté deux précisions : "Il faudra un écart d’âge entre l’auteur et la victime (...), il faudra bien sûr que l'on puisse démontrer que l'auteur connaissait l'âge de la victime. Le jeune homme de 17 ans et demi qui a une relation avec une jeune fille de 14 ans et demi ne peut pas devenir un criminel quand il a 18 ans."

Dans un communiqué paru mardi, le gouvernement souhaite introduire un écart d'âge de 5 ans pour ne pas criminaliser une relation adolescente consentie qui se poursuit après la majorité du partenaire plus âgé. 

Un consensus doit encore être trouvé, mais cette idée inquiète, notamment Alain Lhote, avocat pénaliste au barreau de Marseille. "Ça ne me paraît pas être une bonne idée. L'expérience nous le démontre, on sait très bien que la maturité sexuelle d’un adolescent de 17 ans et demi ce n’est absolument plus la même qu’il y a quelques années".

"Cette différence ne me paraît pas conforme à la réalité qu’on peut observer devant tribunaux ou les cours d’assises, poursuit l'avocat marseillais. Qui empêche à un mineur de 17 ans et demi de violer une jeune fille de 14 ans ? C’est introduire une notion supplémentaire qui ne me paraît pas fondée ni judicieuse, qui ne tient pas compte de l’évolution de la maturité sexuelle et qui ne tient pas compte non plus de la réalité judiciaire".

C’est la porte ouverte à toutes les dérives.

Me Alain Lhote

"Commencer à rentrer dans le détail avec cette différence d’âge, c’est la porte ouverte à toutes les dérives et à un contentieux qui sera infini, estime Alain Lhote. Il vaut mieux affirmer un principe fort, quitte à laisser aux tribunaux correctionnels la marge d’appréciation".

"On comprend bien le problème, mais où fixe-t-on le seuil ?", s'interroge Eric Florentino de SOS Femmes. "Comment détermine-t-on la question du consentement ? On en revient aux problèmes classiques des violences sexuelles quel que soit l’âge, ça va être compliqué."

Pas de loi pour l'inceste et les agressions sexuelles

Du côté des associations, on attend à présent la création d'un crime spécifique pour l'inceste, qui n'est pas encore prévu dans la loi.

"Ce serait aberrant d’imaginer que parce qu’on a plus de 15 ans, on pourrait consentir à son inceste", témoigne Pascal Cussigh, avocat et président de l'association CDP-Enfance et secrétaire du Collectif pour l'enfance. "On doit le coupler avec un seuil d’âge à 18 ans en cas d’inceste pour protéger les victimes de toutes les discussions sur le consentement".

"Réglementer l'inceste est indispensable, sinon l'écart d’âge va devenir un effet pervers de la loi, et cela va aller à l’encontre des objectifs que se donne le législateur. L’idée n’est pas non plus de reformer vite le droit pour donner l’autorisation au grand-frère de violer sa petite sœur", craint l'avocat. 

Autre inquiétude : le garde des Sceaux n'a donné aucune indication au sujet des agressions sexuelles. "Il faut légiférer sur tous les actes sexuels. Pas seulement les pénétrations", martèle le président de CDP-Enfance.

Une prescription "réactivée"

Mardi soir, Eric Dupond-Moretti a également évoqué la question de la prescription. "Un délai au-delà duquel il est impossible de poursuivre des faits devant une juridiction, même si les faits sont avérés et même s’ils ont existé", a-t-il rappelé. 

Alors que le délai de prescription est passé de 20 ans à 30 ans en 2018, le ministre de la Justice souhaite "faire bouger une prescription que l’on a qualifiée de "réactivée""

En clair, le délai de prescription commencerait qu'à partir des faits commis sur la dernière des victimes. "Une excellente chose", pour Me Joanny Moulin. "Des personnes qui ont été victimes vont récupérer leur qualité de victime même s’il y a prescription."

Me Moulin estime que l'imprescriptibilité n'est en revanche pas concevable en termes de difficultés matérielles : manque de témoins, manque d'éléments... "Si c’est pour aboutir à un non-lieu en cours d’instruction ou à un acquittement devant une cour d’assises ou une relax devant le tribunal correctionnel. C’est un dégât supplémentaire causé aux victimes".

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