L’océan n’est pas le monde du silence, loin s’en faut. Les baleines chantent, les orques buzzent, tandis que les langoustes stridulent ! Depuis une vingtaine d’années, la bioacoustique, l’écoute de la nature, révolutionne la compréhension du vivant.
Les scientifiques français sont aux premières loges ! Ils s’intéressent aux sons émis par la faune marine dans le monde entier. Comment de simples enregistrements sonores peuvent-t-ils contribuer au dessein si grand : préserver l’Océan ? Détecter, recueillir, analyser ces sons permet de comprendre plus finement la vie sous-marine. Cela aide, au-delà de la connaissance pure de la faune, à réajuster les comportements humains pour préserver l’Océan globalement. Voici certains travaux concrets menés grâce à la bioacoustique.
Écouter les orques des Terres Australes Françaises
Pendant son postdoctorat à l’Ensta Bretagne à Brest, une école d’ingénieurs brestoise, il a écouté les vocalises des épaulards situés autour des lignes de pêche à la légine.À Crozet c’est 30% du quota pêché qui serait déprédaté sur un quota fixé à 1000 t
Les orques auraient donc associé le son de la mise à l’eau et de la remontée des lignes à la nourriture.L’acoustique permet de savoir comment les orques interagissent avec ces lignes à tout moment. Nous avons constaté que lorsqu’elles sont proches des lignes, elles produisent une série de clics qui s’accélèrent. Cela nous laisse penser qu’elles sont en train de se nourrir soit sur les lignes, soit aux alentours de celles-ci.
Ces interactions avec les navires entraînent-elles un déséquilibre alimentaire et comportemental des orques, habituées à chasser otaries, baleines et manchots ? La communauté scientifique suggère qu’avec le phénomène de déprédation, les orques mangeraient effectivement un peu plus de légines qu’habituellement. Alors, afin de minimiser les interactions entre bateaux et cétacés, les acousticiens conseillent aux pêcheurs d’adopter des approches plus douces avec leurs palangres et de réduire les manœuvres brusques (changement de régime, marche arrière).Cela explique pourquoi nous entendons les orques près des lignes dès que celles-ci sont mises à l’eau.
Réduire l’impact de la flotte océanographique
Constate Cécile Ducatel, ingénieure en acoustique au sein du laboratoire d’acoustique sous-marine de la flotte océanique française de l’Ifremer. Elle est chargée d’identifier les risques sonores des campagnes océanographiques sur les mammifères marins. Certaines campagnes sismiques de l’Ifremer propagent en effet dans l’eau des ondes acoustiques afin d’obtenir des informations sur les structures et les natures des sous-sols. Ces ondes peuvent entrer en conflit avec celles produites par les mammifères marins.Nous ne pouvons pas ne pas faire du bruit en mer. Les activités humaines génèrent volontairement ou non des sons sous l’eau.
Pour éviter à tout prix ces potentiels impacts, Cécile Ducatel réalise un travail en amont de la campagne océanographique.L’animal peut alors faire plus d’efforts pour communiquer avec ses congénères. Aussi, en fonction du type de source sonore, de la distance à la source et de l’espèce, des modifications du comportement et/ou des lésions physiologiques peuvent survenir.
Ces études et la mise en place de mesures de protection de la faune ont un coût financier important, avant et pendant les opérations en mer. Elles sont aussi essentielles pour pérenniser les campagnes océanographiques. C’est un pari gagnant puisqu’en octobre dernier l’Ifremer et son opérateur Genavir, qui gère la flotte des navires de recherche, ont reçu le label Green Marine Europe qui récompense leurs efforts pour réduire l’empreinte environnementale de leur flotte.Nous étudions les niveaux sonores que va générer la campagne pour savoir si oui ou non cela peut avoir un impact sur la faune locale...
Il est essentiel de comprendre comment les habitats fonctionnent en relation avec le son. Nous avons encore beaucoup à découvrir afin de protéger au mieux la faune marine des sources sonores d’origines humaines.
Migration des baleines sous écoute
Près des îles Crozet, Kerguelen et de la Réunion, les baleines bleues ont été massacrées jusque dans les années 70 par les flottes industrielles japonaises, norvégiennes et russes. Depuis, les scientifiques s’efforcent à connaître davantage ces mastodontes pouvant dépasser 30 mètres de long et 170 tonnes !Maëlle Torterotot, ingénieure de recherche à l’ENSTA Bretagne, a étudié pendant sa thèse les sons produits par ces cétacés. Grâce à un réseau d’hydrophones installé depuis 2010 dans l’Océan Indien, la scientifique et ses collègues ont analysé plus de 50 ans de données cumulées !
L’intérêt à terme est d’utiliser ces connaissances fondamentales afin d’établir des mesures conservation.Les baleines bleues produisent des sons sociaux qui sont associés à un comportement en particulier. En fonction des enregistrements, nous avons pu déterminer les zones que les baleines fréquentaient pour s’alimenter et se reproduire.
En connaissant leurs déplacements nous pouvons savoir quelles zones sont à protéger !
Écouter pour protéger
En Irlande, le projet européen SeaMonitor participe à la conservation d’espèces marines très mobiles ou migratrices. Morgane Pommier, originaire de Cherbourg, réalise sa thèse en écologie marine dans le cadre de SeaMonitor à l’Institut Technologique de Galway en Irlande.
Elle écoute les cétacés et le bruit ambient entre le Nord de l’Irlande et l’Écosse.
L’espèce la plus fréquente dans cette zone est le marsouin commun.
Il fait partie des cétacés qui requièrent des zones spéciales de conservation selon la loi européenne. Le marsouin est petit et timide, donc difficile à observer. Alors ses vocalises sont précieuses pour déterminer sa distribution.
Nous identifions également les nuisances sonores qui pourraient perturber les cétacés. Au-delà d’objectifs de recherche pure, ces données impulsent des initiatives de conservation, comme la création et gestion d’aires marines protégées, ou la mise en place de mesures pour réduire l’impact des activités humaines en général.