Transport maritime : le vent pourrait devenir le carburant du futur

L’objectif de l’Organisation maritime internationale est claire : réduire de 70% les émissions de CO2 du transport maritime d’ici 2050. De Morlaix à la Gironde, des visionnaires travaillent sur une nouvelle flotte moderne de cargos à voile. Ils inventent le transport de demain.

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À Douarnenez, avec la compagnie TOWT

Guillaume Le Grand a été bercé toute son enfance au gré des navigations de son grand père aux Glénans. Il est l’un des pionniers du transport à la voile en France. Ce diplômé de sciences politiques et ancien trader à la City a tout plaqué pour monter il y a plus de 10 ans une société à Douarnenez qui arme des voiliers de fret entre Europe et Amérique du sud (Mexique, Colombie, Antilles).
Il a d'abord parié sur une flotte de vieux gréements « l’idée était de travailler avec l’existant, de leur redonner une utilité commerciale » Son entreprise TOWT ( Trans Oceanic Wind Transport) s’appuie alors sur quatre voiliers de 20 à 40 mètres avec une capacité d'emport de 10 à 300 tonnes de marchandises. Avec ses navires, il rallie l’Angleterre, le Portugal, la Scandinavie ou traverse l’Atlantique pour transporter des produits bio et non périssables. C’est aujourd’hui le premier transporteur à la voile français.
Fort de son modèle, l’entrepreneur voit aujourd’hui plus grand.

Les vieux gréements ont le grand mérite d’exister mais ce n’est qu’une étape, un étage de la fusée. Sans ces bateaux, nous en serions encore à de la pure théorie et n'aurions rien pu faire jusqu’ici

L’heure a sonné de penser désormais à des bateaux plus adaptés. Il s’est donc engagé dans la construction de 4 voiliers modernes, a signé un partenariat avec le port du Havre, et fait désormais partie de l’association Armateurs de France.
Son premier trois-mâts mesurera 67 mètres et sera en capacité de transporter 1 000 tonnes de marchandises à une vitesse de croisière de 11 nœuds. Il sera ainsi deux fois plus rapide que les vieux gréements aujourd’hui affrétés par Towt, et voguera à une vitesse proche de celle des cargos polluants actuels. Guillaume Le Grand a calculé :

Une fois à l’eau, le Voilier-Cargo économisera plus de 10 000 tonnes d'émission de CO2 par an et plus de 300 000 tonnes sur sa durée de vie. Les quatre bateaux devraient être mis à l’eau en 2022, et desservir des lignes régulières depuis le Havre vers l’Amérique du nord (Québec, New-York) mais aussi les Antilles, l’Amérique centrale et Abidjan.

Pour distinguer et valoriser ces marchandises transportées à la force du vent, le groupe a créé le label Anemos (qui signifie «le vent» en grec ancien). Ce logo est apposé sur les produits qui sont également estampillés, chacun, d’un numéro de voyage.

Rien ne ressemble plus à un produit transporté par la voile qu'un produit transporté par cargo classique, le consommateur ne peut pas se repérer s’il n’y a pas de label.

Ce logo Anemos permet grâce à un code client de vérifier sur internet le chemin parcouru par la marchandise qu’il vient d’acheter. Il peut même accéder au journal de bord, voir les détails de la navigation accompagnés parfois de photos. «C’est vraiment une première européenne. Nous sommes les seuls à offrir cette traçabilité dans un secteur où règne l’opacité. Nous renseignons le trajet emprunté par le produit et son bilan carbone, en toute transparence. Nous offrons ainsi une traçabilité complète aux consommateurs qui peuvent par exemple savoir de quelle coopérative viennent les fèves de cacao» précise Guillaume Le Grand.
Des tablettes de chocolat, paquets de café, bouteilles de rhum, sachets de thé... sont ainsi transportés et labellisés. Les produits sont ensuite vendus via la boutique en ligne de Towt ou en direct dans son magasin situé à Douarnenez en Bretagne. La start-up transporte aussi des produits pour d’autres groupes comme l’enseigne de magasins de produits organiques Biocoop qui fait ainsi venir du vin portugais, de la bière ou de l’huile d’olive. L’idée séduit aussi des restaurateurs, des détaillants ou encore des grands groupes du CAC 40.

On offre une solution concrète aux entreprises qui souhaitent diminuer leur empreinte carbone et répondre aux attentes des consommateurs en la matière. Le consommateur n’a pas toujours conscience que les vêtements qu'il porte, son dernier repas, son lit, son ordinateur ou même son smartphone, quasiment tout ce qu'il touche est passé à un moment donné par la mer.  

Le chiffre est sans appel : 90% des marchandises dans le monde transitent par le transport maritime ! Mais ce système actuel, clef de voûte de l’économie mondialisée, est aujourd'hui montré du doigt pour  sa nocivité sur l'environnement et notre santé. Les cargos utilisent du fioul lourd qui dégagent dans l’air d'énormes quantités de CO2 et de particules fines. S’il était un pays, le transport maritime serait le 4 ème pollueur au monde… et ce dans l’indifférence générale.

La mer est le grand tapis sous lequel, ni vu ni connu, on balaie nos déchets.

Même si l’activité de TOWT est en croissance, cela reste en effet une goutte d’eau par rapport aux 10,5 milliards de tonnes de fret qui transitent sur plus de 5 000 porte-conteneurs tous les ans. Toutefois, le dirigeant estime que son concept est validé et que sa solution est économiquement viable.

                                                     
À Morlaix avec Grain de Sail...

En Bretagne, il y a un autre acteur dont le voilier cargo n’existe pas seulement sur des plans. Il est bel et bien déjà en chantier. La société Grain de Sail est en passe de sortir dès fin juin son premier voilier cargo.
Au départ l’entreprise située au cœur du port de Morlaix s’est lancé en 2013 dans la torréfaction de café puis dans la production de chocolat bio et haut de gamme. A priori rien à voir avec un voilier cargo sauf que Jacques Barreau, son directeur,  réfléchit depuis le début de leur aventure à la meilleure façon de transporter ses propres marchandises de manière décarbonée….
La torréfaction et la chocolaterie sont en réalité les deux piliers fondamentaux pour un troisième défi : construire leur propre flotte de voiliers cargo. Après 10 ans d’existence et un chiffre d’affaire de 4,5 millions en constante augmentation, le projet est bel et bien devenu aujourd'hui une réalité.
Le voilier de 22 mètres, capable de charger 35 tonnes, est en fin de construction au chantier Alumarine shipyard à Couëron . Coût de ce voilier cargo : 1,7 millions. Le navire doit entamer ses premiers chargements à l’automne prochain.  L’idée est de créer une ligne régulière au départ de Morlaix.

Notre voilier pourra réaliser 2 allers et retours transatlantiques par an. Bien évidemment, le voilier ne quittera pas la Bretagne à vide. Nous avons prévu d’exporter nos propres productions mais aussi différents produits français et régionaux vers les Etats-Unis.

Sur le chemin du retour, le voilier passera par l’Amérique centrale et les Caraïbes pour y charger des cafés verts et du cacao. Un petit passage par les Açores pour y récupérer des épices puis retour à Morlaix pour le déchargement.

Nous avons voulu miser sur un premier navire à taille humaine… 

Pas de gigantisme, juste une réalité économique pour une PME soucieuse de son empreinte écologique : "Le but était que le voilier voit réellement le jour, le plus rapidement possible. Nous construisons notre projet pierre après pierre. Nous voulons absolument montrer que le développement durable du transport maritime avec des bateaux modernes n’est pas une utopie »
La suite ? Des bateaux de plus en plus gros le deuxième mesurera entre 30 et 35 mètres.

Nous serons à la fois transporteur et armateurs. Nous devenons notre propre client 

Une révolution dans le fret maritime. Et les projets ne manquent pas : 

Nous allons aussi dans un second temps développer une nouvelle chocolaterie à New York. Ce voilier permet de créer un cercle vertueux. Il est un étendard, un outil de communication incroyable


L’équipage sera composé de 4 marins professionnels mais pourra aussi servir de centre de formation  pour les élèves de la Marine Marchande et pourquoi pas un laboratoire flottant pour des scientifiques ? Tout est ouvert pour cette entreprise bretonne qui fourmille d’idées…


En Gironde, avec les cerfs volants de Beyond the sea

Une autre entreprise, girondine cette fois, est aussi persuadée que le vent sera l’énergie du futur. À la tête de Beyond the sea, le navigateur internationalement reconnu Yves Parlier commercialise et innove avec son système de traction des navire par cerfs-volants !
En 2001, il avait suscité l’admiration en réparant seul son mât, en pleine mer, pour boucler le Vendée Globe. Aujourd’hui, le skipper aguerri met son savoir-faire de bricoleur de génie en faveur de la protection de l’océan. Ce "Géo Trouvetout" commercialise depuis 2014 des ailes de kites sous le nom de liberty kites. « Tout d'abord, nous avons lancé nos recherches, en s'intéressant aux bateaux entre 4 et 12 mètres. Actuellement nous travaillons sur des systèmes plus compliqués, plus sophistiqués et performants, équipés de pilotages automatiques, pour des navires plus conséquents. Nous avons 2 bateaux laboratoires à Arcachon et à Brest et nous travaillons sur des voiles sans cesse plus grandes ».

Cet été, il devrait tester une aile de 40 m2 sur un monocoque sans gréement, histoire de démontrer les nombreux avantages de ces équipements : 

Le kyte prend en effet très peu de place sur le bateau, il fait du vol dynamique, vole 5 fois plus vite que le vent et tire 20 fois plus qu'une voile normale

En 2015, au Québec, il réussit à faire voler une aile de 50m2 sur un crevettier. Mission réussie, le bateau consommait 30% de gasoil en moins !
Ils ont également embarqué une aile de 30m2 sur l’Energy Observer, ce bateau entièrement dédié aux énergies propres et propulsé par un mix d'hydrogène et d'énergie solaire. L’idée était de créer une hybridation de la propulsion pour une économie de 20 % de carburant.
Mais son plus grand tour de force est d’avoir signé un partenariat avec la compagnie CMA CGM. D’ici 2 ans, il espère mettre au point pour leurs navires, des ailes de 200 m2. La compagnie, 3ème transporteur mondial, qui affrète plus de 500 bateaux, vient de créer un département innovation pour décarboner sa flotte. L’objectif est de consommer 4 fois moins de fioul lourd.

La première fois, en 2007, ils m’avaient rigolé au nez : comment voulez-vous qu’un porte-conteneurs de 300 m puisse fonctionner avec un cerf-volant alors que l’on a du mal à remorquer ces mastodontes avec un câble en acier !

Mais depuis une dizaine d’année, l'armateur marseillais étudie sérieusement ses projets. Les mentalités évoluent... "Les prix des carburants vont connaître une inflation considérable, ce qui va alourdir la dépense première de tous les armateurs. Plus que jamais, ils vont être à la recherche d'économies … Un grand pas pour la planète et pour nous. Il faut aussi alerter l'opinion publique pour que ce mouvement de recherche s'accélère et trouver des solutions avec cette énergie formidable : le vent, gratuit et inépuisable. » 
 

À Nantes, avec les cargos Neoline

Un dernier projet très ambitieux et à vocation industrielle pourrait également intéresser la CMA CGM. Il est porté par un ancien commandant de la marine marchande : Jean Zanuttini. La société Nantaise Neoline développe des cargos à propulsion éolienne. La dimension de ce cargo voilier commence à approcher celles des supertankers et intéresse les plus grandes entreprises.
Ce voilier sera capable de transporter des marchandises de plus de 10 mètres de hauteur et pesant 200 tonnes

Nous avons misé sur du fret hors gabarit et hors normes. La start-up a déjà signé un partenariat de trois ans avec Renault pour transporter des véhicules jusqu’à l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, au sud de l’île canadienne de Terre-Neuve en Amérique du Nord.

Cet accord prévoit la construction de deux cargos, de type roulier, de 136 mètres de long, Cette solution de fret à la voile version industrielle est un moyen, pour le constructeur automobile, d’atteindre son objectif de réduction de son empreinte carbone de 25 % d'ici 2022.
La première ligne de transport prévoit ainsi de relier, dès 2022, St-Nazaire à la côte Est Américaine (Halifax/Baltimore), avec deux passages à St-Pierre et Miquelon. « Une route maritime peu desservie, un créneau à prendre. »
L’objectif est de desservir cette ligne avec deux navires afin de permettre deux départs par mois. Coût prévisionnel 45 millions d’euros !
De différentes envergures, ces projets complémentaires symbolisent l’engagement d’un secteur vers une nouvelle ère. S’ils restent pour l’instant embryonnaires, ces inventeurs pourraient bien être des visionnaires. Loin d’être anachronique, miser sur le vent comme énergie du futur, semble être un pari économiquement réaliste. Un retour aux sources pour le transport maritime qui a tout à gagner à miser progressivement sur ces voiliers du futur.
  • Retrouvez les reportages de la rédaction Thalassa sur France.TV
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