Saint-Séverin, petite commune de Charente, n'en peut plus de récolter les poubelles du département voisin. Depuis des mois, des habitants de Dordogne, en résistance contre son nouveau système de taxation des ordures ménagères, multiplient les incivilités en déposant leurs sacs poubelles dans le département limitrophe.
Large, rouge sur fond blanc, la banderole ne peut pas être ignorée par celui qui traverse la commune. "Amis périgourdins vous êtes les bienvenus, mais pas vos poubelles !" Sa cible est clairement identifiée : les habitants du département voisin, la Dordogne.
Cette formule, courtoise, mais sans détours, émane du maire des lieux, Patrick Gallès. Les deux banderoles, posées depuis ce lundi 9 décembre, engagent clairement les automobilistes transfrontaliers à cesser de déposer leurs ordures ménagères dans ses conteneurs à ordures. "Si j'ai choisi cette date-là, ce n'est pas anodin. Le mois de décembre est un mois de production de déchets, il y a les papiers-cadeaux, les déchets alimentaires", explique Patrick Gallès.
C'est que la chose s'est reproduite de manière un peu trop insistante ces derniers temps. Une simple pause-poubelle à l'occasion d'une pause-minute de détente sur la route parce que, comme par hasard, ils avaient justement oublié de déposer leurs ordures en partant de chez eux ce matin-là.
Transfert de poubelles, et de charges
Si l'édile affiche son mécontentement face à ces poubelles supplémentaires, c'est que, au de là du geste incivil, ces dépôts coûtent à la municipalité. "Il n'y a pas que la commune de Saint-Séverin impactée. Dans le sud-Charente, on estime à 4 euros par an et par habitant de plus sur la taxe d'ordures ménagères par rapport à ces apports de déchets de la Dordogne. Ça correspond à peu près à 25 kilos de plus par an et par habitant, soit 15% de plus".
De quoi énerver au-delà de la municipalité. Cette dernière confie en effet que plusieurs "frictions" se sont déjà produites, entre habitants des deux départements. "Ce n'est pas allé très loin, bien heureusement, mais ça crée des tensions, ça peut créer de la suspicion. C'est pour ça qu'il faut réagir avant que ça aille trop loin", alerte le maire.
Je pense qu'ils ont raison, parce que c'est pas juste que tout le monde ne soit pas pareil !
Un riverain
Un manque de civisme compréhensible
Pour preuve, il suffit de déambuler quelques minutes dans les rues de la commune pour croiser un témoin de ces incivilités."Je connais des personnes qui font ça, explique cet habitant d'un village voisin, "S'ils les jettent dans des containers à Saint-Séverin, ça reste dans des containers, ce n'est pas lâché dans la nature. Donc je peux comprendre que, pour économiser, ils fassent ça."
Le système d'avant, il marchait vachement mieux !
Un riverain
Malgré le mécontentement, lui, explique comprendre la démarche et s'offusque, au même titre que les Périgourdins, du système de collecte du département. "Payer plus pour avoir un service en moins... Il n'y a plus de ramassage au porte-à-porte, et ça augmente de 5 % : on est toujours taxé avec moins de service public, donc ce n'est pas normal. Alors c'est vrai que quand on a la possibilité d'avoir des containers où l'on n'a pas ce système de financement, ben oui, je comprends".
Même son de cloche pour cet autre habitant qui regrette une dégradation de la situation. "Le système qu'on avait ici, il marchait très bien. À Périgueux, ils voyaient très bien que ça ne marchait pas, tout le monde mettait tout n'importe où. Ils viennent nous mettre ça ici. Alors maintenant, ici, personne ne respecte plus rien."
Fallait s'y attendre
Ce comportement n'est, de toute évidence, pas une surprise pour grand monde. Il était même largement prévisible. La mise en place de la redevance incitative par le SMD3 (Syndicat mixte départemental des déchets de la Dordogne) en janvier 2023 a développé chez les Périgourdins des traits de caractère assez peu communs jusqu'alors : rébellion, résistance, ruse, système D et incivilités.
Depuis bientôt un an, le SMD3 ne cesse d'expliquer, de batailler, de plaider et même de menacer pour faire passer la pilule, rien n'y fait : les Périgourdins n'ont toujours pas admis d'être assujettis à un forfait pas forcément adapté, de payer plus cher alors que la collecte à domicile disparaît, de devoir stocker des poubelles à domicile avant d'aller les déposer eux-mêmes dans des conteneurs parfois inaccessibles et de devoir présenter un badge pour le faire.
Incivisme revendicatif
Alors les incivilités se sont multipliées. Après avoir amené leurs ordures jusqu'aux points d'apports que le SMD3 qualifie de "volontaires", certains Périgourdins ayant épuisé leur bonne volonté déposent les poubelles devant les conteneurs. Quand ils ne forcent pas les accès, où ne mettent pas le feu aux conteneurs.
La guerre étant déclarée, le SMD3 veut désormais déployer des caméras douées d'intelligence artificielle pour remettre ces rebelles dans le droit chemin. Mais quand le container gratuit de la commune d'à côté est aussi proche que la borne d'apport du SMD3, la tentation est forte, comme acheter un paquet de cigarette à deux pas de la frontière d'Andorre.
Face à un système compliqué et pas toujours opérationnel, les Périgourdins ont vite compris qu'il était plus facile de faire un détour par le bac à l'ancienne des voisins. "Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'accord entre les deux départements", résume cette habitante de Saint-Séverin, parfois excédée de voir ses poubelles pleines, mais qui comprend tout de même les motifs des périgourdins.
Un point de vue pas très éloigné de celui de Patrick Gallès. "Il faut réfléchir le territoire en bassins de vie. C'est vrai que nos voisins périgourdins ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas forcément venir déposer, reconnait l'édile. Ça leur coûte cher, ce n'est pas forcément pratique pour eux, moi, je comprends très bien qu'ils viennent là. Et c'est par la pédagogie et par cette banderole que je voulais les interpeller avec un petit peu d'humour."
Les fêtes approchent, il faudra jeter les papiers-cadeau et les coquilles d'huîtres, un moment crucial qui déterminera si la méthode était bonne.