Depuis 1996, la paix était revenue dans les gorges du Haut-Allier (en Haute-Loire). Un arrêté préfectoral avait apaisé les conflits entre pêcheurs, défenseurs du saumon et adeptes des sports d’eaux vives, mais cet arrêté a été cassé en décembre dernier.
En Haute-Loire, la rivière Allier est navigable sur une bonne centaine de kilomètres. En été, les adeptes de canoë, de kayak et de raft viennent profiter de ces magnifiques gorges sauvages.
Certes, on est loin de la sur-fréquentation que connait l’Ardèche, mais pour régler les conflits d’usage, il avait fallu adopter une règlementation en 1996. L’arrêté préfectoral d’alors (reconduit et réactualisé depuis) stipulait qu’il était possible de naviguer du 1er avril au 15 octobre, entre 10 heures et 18 heures seulement. Il délimitait aussi des zones d’embarquement précises.
Cet arrêté avait été pris pour protéger la reproduction du saumon et éviter que les frayères ne soient détruites au passage des raftings raclant les gravières au fond de l’eau.
Naviguer librement, "une question de principe" pour les kayakistes
Mais en décembre 2015, l’arrêté du préfet de Haute-Loire a été cassé par une décision du tribunal administratif de Clermont-Ferrand (ainsi qu’un arrêté concernant la navigation sur la Loire).
On nous accusait de détruire les frayères à saumons, les études prouvent que c’est faux !
C’est la fédération française de canoë-kayak et son comité régional qui sont à l’origine de cette décision. « Les interdictions de naviguer sur cette rivière depuis 20 ans étaient injustifiées, précise Yves Lecaude, vice-président du comité d’Auvergne de canoë-kayak, on a attendu d’avoir suffisamment de preuves et d’études faites partout en France pour pouvoir attaquer ces arrêtés, on nous accusait de détruire les frayères à saumons, les études prouvent que c’est faux ! ».
Pour Yves Lecaude, c’était avant tout « une question de principe, défendre la liberté de naviguer ».
Les pêcheurs mécontents
Depuis quelques mois, même si dans les faits aucune invasion de rafts et de kayaks n’a été constatée sur le haut-Allier (entre Naussac et Brioude, à l’exception de la portion Alleyras/Monistrol d’Allier interdite aussi bien à la pêche qu’à la navigation à cause du barrage de Poutès), on en revient à la situation conflictuelle que l’on a connue dans les années 90.
À l’époque, certains s’opposaient physiquement au passage des bateaux, des clôtures avaient même été posées au travers de la rivière !
Cet arrêté allait très bien, nous pouvions pêcher tranquillement avant 10 heures, les canoës passaient jusqu’à 18 heures et puis nous pouvions faire le coup du soir à la mouche
Aujourd’hui, les pêcheurs se mobilisent de nouveau pour réclamer le retour à une règlementation, mais ce n’est plus la défense du saumon qu’ils mettent en avant mais leur droit de taquiner les poissons sans être dérangés.
« Cet arrêté allait très bien, nous pouvions pêcher tranquillement avant 10 heures, les canoës passaient tranquillement jusqu’à 18 heures et puis nous pouvions faire le coup du soir à la mouche ensuite».
Alain Piraire, qui préside la société de pêche de Villeneuve-d'Allier Lavoûte-Chilhac ajoute un autre argument : « Au niveau de la sécurité, si on peut faire n’importe quoi et naviguer tout le temps il va y avoir de plus en plus de camping sauvage et de risque d’incendie ! ».
Les professionnels du tourisme … entre deux eaux !
Dans le secteur de Langeac et du Haut-Allier, les sports d’eaux vives représentent une activité saisonnière non négligeable : plus de soixante emplois en été, plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires. On dénombre une quinzaine de structures pour la location, les stages et l’ensemble des activités sur l’eau et dans la nature.
Aujourd’hui, ces professionnels, réunis dans un groupement, sont partagés, voire embarrassés ! « Nous comprenons la fédération de kayak qui souhaite la liberté de naviguer, mais la rivière n’appartient pas qu’aux bateaux, les pêcheurs ont le droit de pouvoir faire le coup du matin ou le coup du soir », explique Hervé Pichon du GPEV (Groupement des Professionnels des activités d’Eaux Vives et de pleine nature).
l'Allier, ce n'est pas l'Ardèche. Cette histoire, c'est beaucoup de bruit pour peu de monde
Il rajoute : « l’Allier, ce n’est pas l’Ardèche, cette histoire c’est beaucoup de bruit pour peu de monde, mais c’est dans notre intérêt qu’il y ait une règlementation ». Il précise aussi que les professionnels ne changeront rien, comme les années précédentes, ils ne mettront leurs bateaux à l’eau qu’entre 10 heures et 18 heures et dans les embarcadères prévus jusqu’ici.
Vers un nouvel arrêté ?
La semaine dernière (mardi 12 avril 2016), le préfet de Haute-Loire, Eric Maire, a essayé de réunir tous les protagonistes autour d’une table de négociation. La fédération de kayak n’est pas venue.
Le préfet aurait promis aux pêcheurs de prendre un nouvel arrêté pour encadrer la navigation très bientôt, probablement avant le début de la saison d’été, afin de mettre fin à ce conflit d’usage et pour des raisons de sécurité.
Mais le comité régional de canoë-kayak se dit prêt de nouveau à saisir la justice. L’affaire n’a peut-être pas fini de faire des vagues dans cette vallée d’ordinaire si paisible !