La fin de non-recevoir du ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, aux réformes institutionnelles votées par l'Assemblée de Corse, a provoqué une levée de boucliers des milieux politiques insulaires, au lendemain de sa première visite dans l'île le 12 juin.
"Aucun des sujets débattus depuis des décennies et aujourd'hui portés par la majorité de notre Assemblée et du peuple corse ne trouve grâce à ses yeux", a déploré vendredi la coalition nationaliste Femu a Corsica.
Cette formation, qui compte 11 élus sur 51 à l'assemblée territoriale, a stigmatisé lors d'une conférence de presse, "les approximations, contre-vérités juridiques" et autres "références mensongères au droit communautaire qui ont émaillé les interventions (de Bernard Cazeneuve) au détriment d'un dialogue sincère et constructif".
Pour sa première visite en Corse, le ministre, jeudi, a fermé la porte à toute évolution institutionnelle dans trois domaines: transfert de la compétence fiscale, statut de co-officialité de la langue corse, question foncière et instauration d'un statut de résident pour enrayer la spéculation foncière et immobilière.
L'Assemblée de Corse a adopté à de larges majorités, voire à l'unanimité, des résolutions sur ces questions depuis un an.
Tout au plus, Bernard Cazeneuve a-t-il évoqué la possibilité de débattre d'une éventuelle révision constitutionnelle pour consacrer la spécificité de l'île dans la Charte fondamentale.
Dirigeant et élu de Femu a Corsica, le maire de Bastia, Gilles Simeoni, avait déclaré jeudi soir en recevant Bernard Cazeneuve que ce blocage de l'Etat "ne pourra que conduire à l'ouverture d'une crise politique profonde".
"Dialoguer, ce n'est pas fermer les portes. Réfléchissons ensemble afin que des solutions s'inscrivent dans le cadre constitutionnel", avait répliqué le ministre.
"Inquiétude"
Qualifiant même cette visite de "néfaste", le dirigeant du parti indépendantiste Corsica Libera (3 élus), Jean-Guy Talamoni, a stigmatisé "les mensonges" de Bernard Cazeneuve invoquant le droit européen pour rejeter notamment le vote par les élus corses de l'instauration d'un statut de résident pour devenir propriétaire dans l'île."Le plus important, c'est que la majorité à l'assemblée demeure solide et cohérente car aucun gouvernement, de gauche ou de droite, ne peut s'y opposer", a ajouté Jean-Guy Talamoni.
Le président de l'exécutif de la collectivité territoriale, Paul Giacobbi, qui est aussi député PRG de Haute-Corse, a lui-même déploré les propos de Bernard Cazeneuve.
"Ses réserves sont infondées. Il n'a ainsi jamais été question que les agents publics parlent obligatoirement le corse", a souligné Paul Giacobbi à propos de la co-officialité de la langue.
En outre, "prétendre que le statut de résident serait en contravention avec le droit européen est une inexactitude", a-t-il affirmé.
Il a au passage annoncé que la Corse "appliquerait pleinement le droit européen dans d'autres domaines", faisant implicitement allusion aux transports.
A l'inverse, le sénateur PRG de Corse-du-Sud Nicolas Alfonsi, non élu à l'assemblée, s'est réjoui de ce que "l'abcès ait été percé, car la position de l'assemblée ne menait nulle part".
Les élus communistes de l'assemblée, dont la majorité est de gauche, ont indiqué ne pas avoir été surpris par les propos ministériels sur la co-officialité et le statut de résident. Les positions du ministre en revanche ont été accueillies avec satisfaction par certains élus de droite.
"On revient au réel, de ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, Bernard Cazeneuve ayant clarifié les positions", a estimé le député UMP de Corse-du-Sud Camille de Rocca Serra.
Exprimant son "inquiétude", l'autre député UMP de Corse-du-Sud, Laurent Marcangeli, qui est aussi maire d'Ajaccio, a déploré le "refus total par l'Etat des votes d'une assemblée délibérante démocratiquement élue et qui a ainsi reçu une série de gifles".
Alors que pour son "baptême du feu en Corse", selon l'expression employée par France 3 Corse, Bernard Cazeneuve avait été accueilli par le mitraillage de la caserne de gendarmerie de Bastia, un profond scepticisme entoure désormais la prochaine visite dans l'île de la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, attendue le 7 juillet.