Après leur licenciement de l'usine Freescale, Eric et Bernard ont inventé leur propre emploi : la boulange bio. Julie, active dans l'économie solidaire, se lance avec eux. Loin des patrons et des chaînes d'assemblage, ils ont monté une coopérative auto-gérée baptisée "Au pain levé".
Aujourd'hui, ils font du pain bio, après vingt-cinq ans sur la chaîne d'assemblage de l'usine américaine Freescale. Bernard et Eric, un délégué CGT, en sont licenciés en août 2012 comme plus de 800 autres ouvriers. "Un environnement d'ailleurs pas très bio", rigolent-ils, pour une entreprise qui produit des composants électroniques. Les deux compères se "connaissent de loin" mais se retrouvent plus tard, après la fermeture de l'usine, dans des réunions pour les licenciés. Ils se trouvent un projet commun : faire du pain. Eric s'engage dans un CAP de boulangerie et promet de l'appeler dans un an.Bernard, lui, fait du pain dans le vieux four de sa maison, monte son association "Le peinard" et vend son pain sur les marchés et dans l'Amap où il achète sa nourriture. Chez lui, le bio est une "forte sensibilité". Un an passe, Eric rappelle pour raviver leur projet commun. Réaliste, il se dit "difficilement employable" à 46 ans, dont une vingtaine passés chez Freescale. Dans la boulange, "il y a toujours du boulot" et par la même occasion, il réveille un vieux rêve de gosse. "Vous savez ce que les parents disent : passe ton bac d'abord", lance-t-il, "c'est comme ça que je me suis retrouvé à l'usine."
L'entreprise sans patron
Mais aujourd'hui, c'est à Gardouch, en pleine campagne au sud de Toulouse, qu'ils travaillent. Une troisième a embarqué avec eux, Julie, active dans l'économie solidaire, s'occupe de la compatibilité, de la distribution et de toutes les petites affaires administratives. C'est loin des tâches annihilantes de l'usine et "des ordres arbitraires des chefs", dans le local aménagé à l'arrière de la maison de Bernard, qu'ils travaillent de leurs mains. Et au "pain levé", pas de patron, tous les trois sont salariés-coopérateurs formés en une SCOP, "Au pain levé". "À l'usine, on ne peut prendre aucune initiative", explique Eric. Ici, toute prise de décision est l'occasion d'une discussion "jusqu'aux congés et aux horaires de travail". Un modèle de gestion auquel ils tenaient."Si on refuse l'idée d'un patron, ce n'est pas pour avoir les banques sur le dos à la place"
Ces pains sont vendus majoritairement par commande (aux magasins Biocoop et les épiceries) et par abonnement dans les Amap. La distribution reste dans le circuit court de l'alimentation biologique. Une position défendue aussi bien par Bernard, que Julie et Eric. Lui a basculé pendant sa formation à la boulangerie. Il en retient que l'"on empoisonne les gens en jouant avec les cocktails d'additifs". Au "pain levé", la base est traditionnelle : seulement de l'eau, du sel et de la farine, achetée aux paysans des alentours, pour valoriser les circuits courts.
Le monde alternatif des circuits courts et de l'agriculture bio
Autour de cette mentalité s'organise tout "un monde alternatif" que fréquente Bernard. La veille, il a reçu la visite d'un banquier aspirant boulanger. Il est d'ailleurs actif au sein du Réseau Semences Paysannes, qui œuvre pour sauvegarder des variétés de blé ancien pour l'agriculture autonome et la boulange. Cette organisation clame que les blés "industriels" ont développé des molécules indigestes, d'où le nombre croissant de personnes intolérantes au gluten. Outre les ingrédients, la technique marche à l'ancienne. Ici, pas de chambre froide et les pâtes ne sont pas préparées à l'avance. D'ailleurs, cela les obligent à travaille une dizaine d'heures d'affilée. Avec la comptabilité, la distribution, le bois à couper, les commandes à passer, chacun fait ses 35 heures, "aisément." Mais au service d'un travail "enfin humanisant". Eric raconte : "En rentrant des congés d'été, pour la première fois, j'étais heureux de reprendre le travail."Au pain levé
4 euros le kilo
https://www.aupainleve.fr/
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