Derrière la reprise du RC Lens par Solferino se profile un rapprochement des Sang et Or avec le prestigieux club espagnol de l'Atlético de Madrid. C'est sans doute l'assurance d'une certaine stabilité pour le club artésien mais aussi le risque de le voir un jour freiné dans ses ambitions sportives.
Lundi prochain, à 15h, le tribunal de commerce de Paris devrait officialiser la cession du RC de Lens à la société luxembourgeoise Solferino. Derrière cette nouvelle holding immatriculée en début d'année se trouvent cinq actionnaires, parmi lesquels deux dirigeants du club espagnol l'Atlético de Madrid : Ignacio Aguillo, conseiller du "board" et directeur en charge du développement de l'entreprise, ainsi que Miguel Ángel Gil Marín, directeur général des Colchoneros. Comme nous l'expliquions mercredi, le club madrilène envisage par la suite d'acquérir directement 34,6% des parts du RC Lens, mais il doit encore faire valider ce projet par son conseil d'administration. Une information confirmée par le quotidien sportif espagnol Marca.
L'Atlético de Kolkata comme modèle ?
Selon Marca, ce rapprochement entre Lens et l'Atlético serait calqué sur le modèle utilisé pour la création, en mai 2014, de l'Atlético de Kolkata, club d'Indian Super League, le championnat indien de première division. Cette franchise, basée à Calcutta, est la propriété d'un consortium baptisé Kolkata Games and Sports Private Limited. 75% des parts de ce consortium sont détenus par des hommes d'affaires locaux via la société Catch 22 Informatics. Le club espagnol, lui, n'est qu'actionnaire minoritaire mais prête au club indien ses couleurs et tout son savoir-faire managérial, commercial et surtout sportif. L'Atlético de Kolkata est ainsi entraîné par un coach ibérique, José Francisco Molina (ancien joueur de l'Atlético de Madrid qui succède à son compatriote Antonio López Habas) et compte huit Espagnols dans son effectif parmi lesquels on trouve quelques vétérans comme Borja Fernandez et un ex-réserviste des Colchoneros, Tiri. L'international portugais Helder Postiga (ex-Porto, Saint-Etienne, Valence, Lazio...) est également l'une des stars de l'équipe."L'Atlético respire le football, vit pour le football, et c'est une grande idée d'étendre notre marque et de toucher de nouveaux marchés", s'enthousiasmait Miguel Ángel Gil Marín lors de la création de la franchise indienne. Ignacio Aguillo, qui venait tout juste de rejoindre l'Atlético après 14 ans passés chez BNP Paribas, a été l'une des chevilles ouvrières de ce projet. Un projet couronné de succès puisque l'Atlético de Kolkata a remporté l'Indian Super League dès sa première année d'existence.
Une multinationale du football ?
En acquérant le RC Lens, l'Atlético et ses dirigeants vont pouvoir poursuivre cette politique de développement à l'international qui s'appuie aussi sur la détection et la formation de jeunes talents dans le monde entier. Le club madrilène possède une "Academy" performante d'où sont sorties des stars comme Koke, Fernando Torres ou Gabi. Elle dispose de relais dans de nombreux pays avec des écoles de foot en Roumanie et au Mexique (avec une équipe première qui évolue en 3e division mexicaine sous le nom d'Atlético de Madrid Mexico), et des programmes d'entraînement, d'échanges et de coopération avec la Thaïlande, la Chine, l'Azerbaïdjan, l'Inde et les Etats-Unis. Avec le centre de technique de la Gaillette, les responsables madrilènes vont pouvoir disposer d'un nouveau vivier de talents et d'une infrastructure de premier ordre. L'équipe première pourrait aussi accueillir des jeunes pousses prometteuses mais pas encore assez aguerries pour jouer en Liga espagnole sous le maillot rouge et blanc.Outre l'Atlético, le RC Lens pourrait aussi tisser des liens avec un autre club de football : Millonarios, l'une des formations les plus populaires de Colombie, où ont évolué par le passé des joueurs comme Carlos Valderama et Falcao. Ce club appartient à Amber Capital, un fonds spéculatif dont deux dirigeants, les Français Joseph Oughourlian et Gilles Fretigne, sont également actionnaires de Solferino, le futur repreneur du RC Lens.
Un obstacle pour disputer les compétitions européennes ?
Depuis l'audience de mercredi au tribunal de commerce de Paris, certains supporters lensois craignent que ce rapprochement avec l'Atlético de Madrid ne freine les ambitions sportives du club. Si les futurs dirigeants ont tout intérêt à ce que les Sang et Or remontent très rapidement en Ligue 1 en raison des droits TV très conséquents perçus dans l'élite du football français, que se passera-t-il si Lens est amené à rejouer dans une coupe d'Europe ? L'article 5 des règlements UEFA est on ne peut plus clair :"Pour assurer l'intégrité des compétitions interclubs de l'UEFA, les critères suivants s'appliquent :
a. aucun club participant à une compétition interclubs de l’UEFA ne peut directement ou indirectement :
1. détenir ou négocier des titres ou des actions de tout autre club participant à une compétition interclubs de l'UEFA,
2. être membre de tout autre club participant à une compétition interclubs de l'UEFA,
3. être impliqué de quelque manière que ce soit dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de tout autre club participant à une compétition interclubs de l'UEFA, ou
4. détenir un quelconque pouvoir dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de tout autre club participant à une compétition interclubs de l'UEFA"
Lens et l'Atlético ne pourraient donc pas participer en même temps aux compétitions européennes, que ce soit la Ligue des Champions ou la Ligue Europa. Même si le club espagnol renonce à prendre une participation dans le capital. La seule présence de dirigeants de l'Atlético au sein de Solferino, le futur actionnaire majoritaire du club artésien, suffirait à empêcher les Sang et Or de jouer une coupe d'Europe. Là aussi, l'article 5 du règlement est explicite :
"Personne ne peut être, en même temps, directement ou indirectement impliqué, de quelque manière que ce soit, dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de plus d’un club participant à une compétition interclubs de l’UEFA. Aucune personne physique ou morale ne peut avoir le contrôle de ou exercer une influence sur plus d'un club participant aux compétitions interclubs de l'UEFA, un tel contrôle ou une telle influence se définissant dans le présent contexte comme :
1. la détention de la majorité des droits de vote des actionnaires,
2. le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance,
3. le fait d'être actionnaire et de contrôler seul, en vertu d’un accord conclu avec d’autres actionnaires du club, la majorité des droits de vote des actionnaires, ou
4. le fait d'être en mesure d'exercer, de quelque manière que ce soit, une influence décisive lors de la prise des décisions du club."
Certes, Lens est actuellement en Ligue 2 et la question n'est pas vraiment d'actualité, sauf victoire en Coupe de France ou en Coupe de la Ligue. Mais on sait que Bollaert-Delelis rêve de retrouver un jour les joutes continentales. Le cas Lens / Atlético ne serait pas un schéma inédit en Europe, où plusieurs clubs ont parfois les mêmes actionnaires. L'Italien Giampaolo Pozzo, propriétaire du club italien de l'Udinese, contrôle aussi le FC Grenade en Espagne et Watford en Angleterre. Mais ces clubs ne sont jamais retrouvés qualifiés en même temps pour l'Europe. La marque de boissons énergétiques Red Bull possède aussi deux clubs sur le continent : le Red Bull Salzbourg en Autriche et le RB Leipzig en Allemagne, qui montera la saison prochaine en Bundesliga avec, dit-on, de très grosses ambitions. Salzbourg, premier club acheté par la marque au taureau en 2005, pourrait ainsi souffrir de l'émergence de ce "petit frère", les Autrichiens collectionnant les titres nationaux et jouant l'Europe quasiment chaque année.
Si plusieurs clubs liés entre eux sont qualifiés pour l'Europe, l'article 5 des règlements UEFA prévoit les dispositions suivantes : "un seul d'entre eux peut être admis dans une compétition interclubs de l'UEFA, conformément aux critères suivants (qui s'appliquent dans l'ordre indiqué ci-après) :
a. le club qui, par ses résultats sportifs, se qualifie pour la compétition interclubs de l'UEFA la plus prestigieuse (c.-à-d. par ordre décroissant d'importance : l’UEFA Champions League et l’UEFA Europa League) ;
b. le club le mieux classé dans le championnat national donnant accès à la compétition interclubs de l'UEFA correspondante ;
c. le club dont l'association dispose de la meilleure position dans le classement par coefficient établi conformément à l'annexe D (le fameux indice UEFA des pays NDR)."