Dordogne : à la prison de Neuvic, les détenus combattent leurs addictions

Depuis deux ans, le centre pénitentiaire de Neuvic en Dordogne abrite une Unité de réhabilitation pour usagers de drogues (Urud) d'une quinzaine de places.
 

"Cette incarcération, c'est une chance": à la prison de Neuvic en Dordogne, Paul n'est pas qu'un détenu purgeant sa peine mais aussi un patient qui tente de décrocher du crack et du cannabis grâce à un programme unique en France.

Depuis deux ans, ce centre pénitentiaire abrite une Unité de réhabilitation pour usagers de drogues (Urud) d'une quinzaine de places. Accepté dans ce dispositif expérimental il y a trois mois, Paul se plie chaque matin à l'exercice du "morning". Devant ses compagnons, il livre ses états d'âme.
 

Ici je peux comprendre pourquoi je consomme.
Paul, détenu


"Hier soir, j'ai eu des envies de fumer", lâche le trentenaire aux cheveux gominés. "Du coup, j'ai fait du coloriage, ça m'a passé."
"Ici, je peux comprendre pourquoi je consomme
", confie-t-il. "J'ai compris que tout passe par les émotions."
 

Volontariat

Comme Paul, tous les détenus ont volontairement intégré l'unité. Cocaïne, cannabis, alcool, jeux d'argent, vol... Ils débarquent avec leurs addictions dans cette "communauté thérapeutique". Un modèle de soins inspiré par les expériences des alcooliques et narcotiques anonymes, dans lequel la vie ensemble incite chacun à s'interroger et s'affirmer.
 

Portes ouvertes

Dans cette aile de la prison, les portes des cellules restent ouvertes et les détenus passent leur temps dans une salle commune, repeinte pour évoquer la vie de naufragés sur une île déserte.
C'est là qu'ont lieu les "espaces collectifs de médiation". Des ateliers qui proposent des activités de théâtre, d'écriture, de musique, de poterie...

Toujours avec le même objectif: "Travailler sur les émotions pour les gérer, ou sur les comportements pour les décaler", résume Philippe Lempereur, directeur du comité d'étude et d'information sur la drogue et les addictions de Dordogne, qui supervise l'expérience.

"Le pari fou, c'est de créer une dynamique communautaire dans 20 m2", reprend l'éducateur spécialisé.

 
 

Vaincre l'omerta

Pour cela, l'îlot adopte ses règles collectivement: respect des autres, pas de trafic, pas de jugement, pas de consommation en journée...

En prison, le principal obstacle, "c'est l'omerta" qui empêche de se livrer, explique la coordinatrice de l'unité, Laure Chardonneret. Et la courte durée du séjour: six mois maximum à Neuvic, contre deux ans dans une "communauté" classique.
 

Le "récit de vie", exercice intime

Arrivé depuis trois semaines, Jules, 26 ans, est rattrapé par la pression. Ce matin-là, il repousse son "récit de vie", un exercice intime fondateur pour gagner la confiance du groupe et intégrer définitivement ce programme encadré par un médecin, une psychologue, des éducateurs et agents pénitentiaires.


En prison, le cannabis est omniprésent. S'ils arrivent à être abstinents ici, dehors c'est les rois du monde
Laure Chardonneret, coordinatrice de l'unité


Paul, lui, confie n'être "authentique" que depuis "deux semaines". Il avoue désormais lorsqu'il fume un joint le soir dans sa cellule pour suppléer ses envies de crack. "Si je dis rien, les autres peuvent pas m'aider", note-t-il.


"Ce qu'on leur demande, c'est au moins de l'authenticité. Ils ne perdront pas leur place s'ils parlent" de leur consommation, reprend Mme Chardonneret. Car en prison, le cannabis est omniprésent: "S'ils arrivent à être abstinents ici, dehors c'est les rois du monde."
 

Les plus anciens encouragent la démarche

Les pensionnaires de l'unité ne partagent leurs promenades qu'avec les nouveaux arrivants de la prison, pas avec les autres détenus. Malgré cette précaution, Grégory, 20 ans, se procure facilement des joints.

Dehors, le jeune homme fumait "10 g par jour". Il tente d'arrêter pour "faire plaisir" à son frère gendarme. Depuis trois semaines, il ne fume plus "qu'un soir sur deux" et bénéficie des encouragements des plus anciens.


"Ici, j'ai réussi à me dire que j'ai besoin d'aide", témoigne de son côté Paul. A sa libération, il envisage d'intégrer un centre thérapeutique, avant de retrouver sa femme et son fils de six ans.
 

80% des pensionnaires se dirigent vers une structure de soins

Plus de 90 détenus ont déjà séjourné à l'Urud et "les résultats sont très intéressants", selon le directeur de la prison de Neuvic, Éric Berthomieu. "Pour ceux qui ont été libérés ensuite, environ 80% sont allés dans une structure de soins", assure-t-il.
 

Aucune agression depuis la création de l'unité

Côté surveillants, l'unité séduit également: aucune agression depuis sa création. La participation aux ateliers transforme les rapports, raconte une surveillante qui assume son "rôle de confidente" à l'Urud. "Ils arrêtent de voir l'uniforme. On n'est plus là simplement pour ouvrir des portes", apprécie-t-elle.

L'expérimentation pourrait faire des émules: après évaluation, l'Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT) recommande une "généralisation du dispositif à un niveau national".

* Les prénoms des détenus ont été modifiés.
 
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