"Pendant 25 ans, nous avons tous préféré nous taire" : dans le premier livre sur l'affaire de pédophilie qui a ébranlé le diocèse de Lyon, Isabelle de Gaulmyn tente de comprendre les raisons du silence de toute une communauté. Histoire d'un silence paraît jeudi au Seuil.
L'auteure a un point de vue avisé sur l'affaire Bernard Preynat, ce prêtre qui, de 1972 à 1991, est soupçonné d'avoir abusé de jeunes scouts entre huit et 12 ans, "faisant entre 65 et 100 victimes", estime-t-elle.
Rédactrice en chef adjointe de La Croix, cette spécialiste des questions religieuses a grandi à Sainte-Foy-lès-Lyon, fréquentant pendant quatre ans le groupe Saint-Luc, la troupe scoute du père Preynat, éloigné de cette paroisse en 1991 mais enchaînant les postes jusqu'en 2015. Elle sait la singularité d'un territoire où "l'Eglise compte", l'aura que pouvait y avoir un prêtre dynamique et autoritaire.
Le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, visé par des plaintes pour non dénonciation classées sans suite début août, avait dit avoir entendu parler en 2007 des soupçons pesant sur le père Preynat. Son informatrice, "c'est moi", écrit Isabelle de Gaulmyn, 53 ans, même si elle n'est "pas d'accord sur la date", évoquant l'année 2005.
L'"informatrice" de Mgr Barbarin
Elle a revu en 2016 le primat des Gaules. Ce qu'il se disait sur Preynat, "il l'a su assez tôt, en réalité, après son arrivée à Lyon, en 2002". Mais le cardinal, qui "reconnaît volontiers son manque de réactivité", pensait "l'affaire traitée par ses prédécesseurs".
"Pendant 25 ans, nous avons tous préféré nous taire. (...) L'incroyable impunité dont a bénéficié le père Preynat est le fait des évêques. Mais le silence est celui de toute une communauté", estime l'auteure. Silence des familles attachées à la figure du prêtre, silence de l'institution ecclésiale par peur d'un scandale qui la fragiliserait... Silence des victimes aussi, mais comment le leur reprocher ?
C'est en écoutant le témoignage de "l'une des victimes les plus marquées et abimées par Preynat que j'ai compris qu'il y avait sans doute en elles comme une forme de handicap profond, une terreur cachée du prêtre qui persistait, même amoindrie, et qui rendait si difficile d'aller dire la vérité sur ce passé qui ne passait pas".
"Humiliation" et "honte"
La journaliste ne ménage pas l'Eglise lyonnaise, qui "a posé un couvercle" sur ces "agissements" et qui, comme institution, "s'est mise du côté des accusés". La Parole libérée, l'association des victimes du prêtre, "aurait dû être créée par le cardinal Barbarin, s'il en avait eu le courage".
Ces derniers mois, elle a rencontré de nombreux croyants qui lui ont avoué leur "humiliation" face à la révélation en cascade d'affaires de pédophilie, à Lyon et ailleurs. "Moi aussi, j'ai honte", écrit-elle, "car l'Eglise n'a pas réussi à faire mieux que les autres institutions, et elle a même fait pire". Elle espère, confie-t-elle, que cette crise invitera les laïcs à cesser de "mettre des prêtres sur un piédestal" et favorisera une "culture du débat" et de la "transparence" dans l'Eglise.
En catholique, elle s'inquiète cependant des limites du travail en cours. "L'Eglise a commencé à créer des commissions spéciales, à prévoir des lieux pour écouter les victimes. Mais je ne l'ai jamais entendue poser la question du rapport à la foi. Or, pour une victime, c'est toute la relation à Dieu qui est atteinte."