La bibliothèque du théâtre du château de Chantilly et ses milliers de livres, estampes et dessins, "l’un des endroits les plus secrets et les plus précieux"

Avec 1 500 manuscrits et 17 500 imprimés, le cabinet des livres du château de Chantilly regorge d’ouvrages rares. C'est la deuxième collection de manuscrits anciens et médiévaux en France après celle de la Bibliothèque nationale de France. Mais il existe une autre bibliothèque dans le château qui n'est pas ouverte au public. C'est la bibliothèque personnelle du duc d'Aumale, appelée la bibliothèque du théâtre. Et c'est l'histoire du dimanche.

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"Quand on entre ici, on traverse l’histoire. On entre dans l’épaisseur du temps et de l’histoire de l’art." Ici, règnent le silence et les pas feutrés. Les lumières chaudes et tamisées. Le bois des rayonnages. Le métal des escaliers et des rambardes. Et le cuir des livres. Il y en a plus de 20 000. Des livres d'histoire, de géographie et de politique. Majoritairement du XIXe siècle. Ici, c'est la bibliothèque personnelle d'Henri d'Orléans, duc d'Aumale et dernier seigneur du château de Chantilly. Elle n'est pas accessible au public. Seulement aux chercheurs et aux étudiants sur rendez-vous. On appelle cet endroit la bibliothèque du théâtre. Ce que le lieu n'a pas toujours été.

Un domaine démantelé sous la Révolution

Émigré en Angleterre dès les premiers jours de la Révolution française, le huitième prince de Bourbon-Condé, Louis V Joseph revient en France avec Louis XVIII en 1814 lors de la Restauration. Il parvient à récupérer une partie de ses biens dont le château de Chantilly, demeure ancestrale des Condés depuis 1643. Mais le château, qui a servi de prison politique, a été rasé et les pierres, vendues comme matériau de construction. Seuls ont été épargnés le petit château et les grandes écuries. Le parc, laissé en friche pendant des années, a été dispersé en parcelles.

Louis-Joseph, qui est un vieil homme de 78 ans, parvient à racheter quelques arpents de l'ancien parc et se contente de faire quelques réparations sur le petit château. Tout comme son fils unique Louis VI Joseph, dernier prince de Condé, qui hérite de la fortune et des biens de la famille à la mort de son père en 1818. "Il fait construire un théâtre dans le soubassement du grand château, explique Mathieu Deldicque, conservateur du patrimoine et directeur du musée Condé. Ce soubassement n'avait pas été détruit. Au-dessus, il n'y avait plus rien qu'une grande terrasse."

Le duc d'Aumale était un grand historien, un grand amateur de livre, un grand amateur de dessins. C’était un prince collectionneur mais aussi un prince savant.

Mathieu Deldicque,

conservateur du patrimoine - Directeur du musée Condé

Le dernier prince de Condé meurt sans héritier direct en 1830. C'est à son filleul et petit-neveu, Henri d'Orléans, qu'échoit la fortune de la maison Bourbon-Condé. Et Henri d'Orléans va s'atteler à redonner au domaine sa splendeur passée. En 1844, il fait aménager le petit château et envisage la reconstruction du grand château. Mais la Révolution de 1848, qui fait chuter la monarchie de Juillet et qui voit l'avènement de la Seconde République et de Napoléon III, va faire avorter son projet. Le duc d'Aumale et sa famille s'exilent alors en Angleterre.

Il faudra donc pour cela attendre son retour en France, 22 ans plus tard, en 1876, pour que les travaux commencent. Des travaux qui dureront six ans et dont l'issue est l'édifice que l'on connaît aujourd'hui.

Le grand château de Chantilly renaît de ses ruines. Le duc d'Aumale en profite pour faire disparaître le théâtre vers 1888. Celui qui se définissait volontiers comme étant "décidément bibliomane" a en effet une passion pour les livres. Tous les livres. "Il va faire installer à la place du théâtre une bibliothèque personnelle. Lui allait régulièrement au théâtre à Paris donc il n’avait pas besoin d’un théâtre à Chantilly, remarque Mathieu Deldicque. C’était un grand historien, un grand amateur de livre, un grand amateur de dessins. C’était un prince collectionneur mais aussi un prince savant. Donc il a créé ici un endroit prodigieux juste pour lui, pour son plaisir et sa lecture personnels. Ce sont ses propres collections qui sont ici. Il pouvait consulter ses livres et dévoiler les dessins issus de ses réserves. C’est un lieu assez magique."

Une architecture moderne et des livres de son temps

Magique par son architecture. La fin du XIXe siècle, c'est l'époque de Gustave Eiffel et de la modernité métallique. Une modernité qu'Honoré Daumet, l'architecte choisi par le duc d'Aumale n'hésite pas à utiliser pour reconfigurer les lieux : escaliers, rambardes, coursives à claire-voie, le tout en fer.

Le parterre s'est ouvert en un vaste atrium. Les anciens balcons sont remplacés par la superposition de trois rayonnages de bois d'un seul tenant d'un côté. De l'autre, des rayonnages encore où sont rangés une collection de journaux de l'Ancien Régime et deux grands meubles à plans. Au fond de la bibliothèque, la scène est, elle aussi, devenue un rayonnage.

Dans ces armoires, vous avez l’un des plus importants cabinets de dessin du monde. L’un des plus précieux aussi. Tous les grands maîtres sont à nos pieds. C’est là qu’on a les plus grands trésors.

Mathieu Deldicque

Magique également par ce dont le lieu regorge : "À l’étage, le cabinet des livres, qui est accessible aux visiteurs du château de Chantilly, abrite tous les manuscrits les plus précieux, les livres rares, les incunables. C’est la deuxième collection de manuscrits anciens et médiévaux en France après celle de la Bibliothèque nationale de France, révèle Mathieu Deldicque. Ici, c’est plutôt une bibliothèque de travail. Ce sont principalement des livres de la vie quotidienne, d’histoire, de culture générale, de géographie et de politique. Ils sont devenus patrimoniaux parce que ce sont des livres du XIXe siècle mais beaucoup moins rares que ceux du cabinet des livres." Il y en a 20 000 au total.

Magique enfin par les merveilles que cette bibliothèque abrite. Sur une des coursives en hauteur, Mathieu Deldicque désigne en contrebas des armoires installées au centre de l'ancien parterre : "Juste en dessous, vous avez un cabinet extraordinaire. C’est le cabinet des dessins et une partie des estampes du musée Condé. C’est l’une des principaux cabinets d’art graphique de France. Dans ces armoires, vous avez l’un des plus importants cabinets de dessin du monde. L’un des plus précieux aussi. Tous les grands maîtres sont à nos pieds. C’est là qu’on a les plus grands trésors."

Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Dürer, Clouet le portraitiste de la Renaissance, Poussin, Delacroix, Watteau... sous clé dans des portefeuilles à l'abri de la lumière qu'ils craignent comme la peste. Il faut dire qu'ils ont tous plus de 500 ans.

Mathieu Deldicque ouvre l'une des armoires et en sort une boîte en carton, assez plate. Il met des gants avant de l'ouvrir. "Je vais vous sortir un de ces trésors". Il ôte le couvercle de la boîte et saisit délicatement un passe-partout avec, au centre, un portrait à la pierre noire, à la pierre sanguine et à la craie blanche. C'est l'un des 366 dessins du portefeuille Clouet, "un fond très célèbre, unique au monde, très précieux et pourtant très simple dans sa matérialité puisqu'ils sont faits aux trois crayons."

Comme un album photo de la cour de France

La préciosité de ces dessins tient dans ceux qu'ils représentent. Car Jean et François Clouet, un père et son fils, sont les portraitistes officiels de la cour de France sous François Ier, Henri II et Catherine de Médicis. Le portefeuille Clouet de la bibliothèque du théâtre du château de Chantilly renferme tous les portraits de la cour de France sur une cinquantaine d'années. "C’est la grande période de la Renaissance française. Et la Renaissance française, ça n’est pas que Chambord, ça n’est pas que Léonard de Vinci, ça n’est pas que le château de Fontainebleau. C’est aussi cet art intime mais éminemment politique : tous les grands hommes et les grandes femmes politiques de l’époque sont représentés dans cette collection. C’est sans équivalent au monde. Dans aucun pays, vous n’avez la même chose pour des cours étrangères."

Une collection que le duc d'Aumale a rachetée à la fin de sa vie en Angleterre au comte de Carlisle qui veut s'en séparer. Celui-ci a acheté les 366 dessins des décennies plus tôt à Florence. C'est Christine de Lorraine, l'une des petites-filles de Catherine de Médicis, qui l'a emmenée en Italie comme cadeau de mariage avec Ferdinand Ier de Médicis, grand-duc de Toscane en 1589. Un lien fort unit les deux femmes : Catherine de Medicis a élevé Christine de Lorraine à la mort de sa mère en 1575 alors que l'enfant n'avait que 10 ans. "Cette collection de dessins, c'était la collection de sa grand-mère, raconte Mathieu Deldicque. C’était une façon pour la jeune mariée d’emporter la cour de France avec elle, d’emporter son pays avec elle, comme un album photos d’un peu tout le monde."

On a parfois les mêmes modèles à quelques années de différence. On voit l’évolution physique. Comme dans un album de famille.

Mathieu Deldicque

La collection va rester à Florence chez les Médicis du XVIe au XVIIe siècle qui la vendent ensuite à des lords anglais qui l’emmènent dans le nord de l’Angleterre. "Jusqu’à ce que le duc d’Aumale voie toutes ces écritures apposées par Catherine de Médicis et ses secrétaires. Des écritures typiques du XVIe siècle et françaises. Il comprend que ce sont des représentations des personnages de la cour de France. Il les rachète et les rapporte en France parce qu’il avait le projet de créer un musée pour que tous les trésors en exil reviennent en France."

Mathieu Deldicque nous montre le portrait de la marquise de Rothelin, une suivante de Catherine de Médicis. Puis celui d'un protonotaire, envoyé par la cour pontificale en France. Tous ont le même format. "On a parfois les mêmes modèles à quelques années de différence, indique Mathieu Deldicque. On voit l’évolution physique. Comme dans un album de famille. Là, c'est l’Amirale de France, la femme de l’Amiral, par Jean Clouet. On la retrouve quelques années plus tard, dessinée par François Clouet : on voit la mode qui change, les bijoux qui changent. Elle a un peu plus de cernes, un peu plus de rides. Les modèles ne sont pas épargnés. On voit les yeux un peu fatigués, la barbe grisonnante. Celui-ci, c’est le sieur de Fontaine : il a un œil un peu plus fermé. Il devait avoir une coquetterie. Il était peut-être aveugle de cet œil-là. Borgne. Donc on a aussi les défauts physiques qui sont représentés. On a l’impression qu’ils sont vivants."

Au total, le cabinet des dessins de la bibliothèque du théâtre du château de Chantilly abrite plus de 5 000 estampes et 4 000 dessins. Des bijoux accumulés pendant des décennies par un homme passionné par l'art et la culture, qui meurt en Italie, veuf et sans descendant direct au printemps 1897. Le duc d'Aumale lègue le domaine de Chantilly et ses collections à l'Institut de France sous réserve qu'un musée ouvert au public soit créé dans le château pour y exposer tous ses chefs-d’œuvre.

Des chefs-d’œuvre parmi lesquels sommeille une autre merveille inestimable, la Joconde nue de Léonard de Vinci. Mais ça, c'est une autre histoire. Du dimanche, évidemment.

Avec Julien Guéry / FTV

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