"Elle a tout quitté par amour pour l'art" : Mary Cassatt, une Américaine en Picardie, l'une des seules femmes peintres impressionnistes

Mary Stevenson Cassatt est née le 22 mai 1844 à Pittsburgh en Pennsyvanie et morte à l'âge de 82 ans, au Mesnil-Théribus, en son château de Beaufresne, dans l'Oise. Un lieu auquel elle reste attachée pendant plus de trente ans. Récit d'une vie d'artiste, marquée par l'indépendance et l'audace.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"Mary Cassatt est née près de Pittsburgh, aux États-Unis, où je me suis rendu quelquefois, dans un petit village du nom d'Allegheny", nous explique Guy Vadepied, l'auteur du livre Mary Cassatt, les impressionnistes et l'Amérique, paru aux éditions Encrage, en 2014. Un fin connaisseur de Méru et ses environs, où il fut maire, député et conseiller général PS pendant 25 années. "Un village dont son père était par ailleurs le maire", s'amuse Guy Vadepied.

"Le conseil général de l'Oise finançait une association en charge d'enfants handicapés au château de Beaufresne, au Mesnil-Théribus. C'est de cette façon que j'ai découvert l'histoire incroyable de cette Américaine qui a tout quitté par amour pour l'art", précise Guy Vadepied.

La petite Mary voit le jour dans une famille nombreuse : elle est la quatrième d'une fratrie de cinq enfants. Une famille qui descend d'émigrés français, arrivés au 17ᵉ siècle sur le sol américain pour fuir les persécutions contre les protestants. D'ailleurs, sa mère, Katherine, parle couramment le français. Ses parents appartiennent à la bonne bourgeoisie.

En 1851, ils partent s'installer en Europe pour tenter de soigner le frère de Mary Cassatt, Robbie, qui décède en 1855 d'un cancer des os. "La fratrie, la mort de son frère, puis plus tard de sa sœur Lydia, seront des éléments déterminants de son œuvre future, nous explique Guy Vadepied. C'est pour elle un déchirement, surtout le décès de Lydia, dont elle est très proche. Les thèmes de l'enfance, de la maternité, seront récurrents dans ses tableaux. Ils feront d'ailleurs sa notoriété, sa marque de fabrique."

En 1855 toujours, la famille repart vivre en Pennsylvannie. Mais la graine est semée, car Mary, alors enfant, a profité de son séjour à Paris pour visiter des musées et apprendre le français.

La naissance d'une artiste envers et contre tout

À la fin des années 1850, Mary Cassatt prend ses premiers cours de dessin aux États-Unis, mais elle est déçue par cet apprentissage. Elle retourne en Europe, accompagnée par sa mère. En 1865, Mary Cassatt annonce à sa famille son intention de rester en France pour étudier l'art, "ce qui provoque une très grosse brouille avec son père, qui ne comprend pas la force de ce désir chez sa fille", nous explique Guy Vadepied.

Elle va fréquenter assidûment tous les ateliers d'art les plus en vogue à cette époque à Paris. Elle a 21 ans. "Il faut préciser qu'au 19e siècle, dans notre pays, les femmes n'ont pas le droit d'intégrer l'école des Beaux-Arts. À l’époque, la misogynie fait rage dans le milieu artistique", poursuit l'auteur.

Leur sont également interdits cafés et brasseries, lieux éminents de l'effervescence artistique qui domine la vie parisienne. "Le 19e est un siècle tellement étonnant, passionnant ! C'est Victor Hugo et c'est Mary Cassatt", s'enthousiasme-t-il.

Immersion totale dans le courant impressionniste

À force d'obstination, Mary Cassatt a obtenu sa carte de copiste du Louvre. Et en 1868, elle présente une première œuvre qu'elle signe du nom de sa grand-mère, Stevenson. Ce tableau, La Joueuse de Mandoline, est accepté au Salon de peinture et de sculpture de Paris où elle découvre Manet et Courbet, artistes majeurs du 19ᵉ siècle.

"Mais la guerre franco-allemande de 1870 éclate, raconte Guy Vadepied. S’ensuit un long périple pour la jeune artiste entre son pays d'origine et les grandes villes européennes : Rome, Londres, Turin, Parme, où elle apprend l'art difficile de la gravure, dont elle deviendra une grande spécialiste. Elle découvre aussi l'Espagne, le musée du Prado à Madrid, puis enfin Anvers".

Un long périple qui affine sa vision et sa technique. À son retour à Paris, elle expose régulièrement au Salon de Paris et finit par attirer l'attention du peintre Edgar Degas. "Une rencontre majeure dans le parcours de Mary Cassatt, explique Guy Vadepied. C'est en effet sous son impulsion qu'elle rejoint le mouvement des impressionnistes, un mouvement pictural qui prône le rejet des règles académiques et une proximité plus forte avec la réalité. Et avec les années, Mary Cassatt deviendra l'un des chefs de file de ce courant qui a bouleversé le monde de la peinture".

"Mary Cassatt entretiendra avec Degas une relation assez complexe, poursuit l'auteur isarien. On s'est perdu en conjectures : étaient-ils amants, amis ? Nul ne le sait. Mais lui la peindra et la dessinera quelquefois. Mary, qui n'aura jamais d'enfants, et ne se mariera jamais, a toujours été d'une discrétion absolue, d'une grande pudeur, sur sa vie privée".

L'affirmation d'un style et d'une femme uniques

Dans ce cercle de peintres, en rupture avec les conventions, Mary Cassatt, qui se distingue par son goût pour les portraits plutôt que pour les paysages, se fait de nouveaux amis, au rang desquels, Camille Pissarro, son futur voisin dans l'Oise, où il vit, à Éragny-sur-Epte. Elle se lie aussi d'amitié avec Pierre-Auguste Renoir, le poète Stéphane Mallarmé et, surtout, Berthe Morisot, doyenne du mouvement impressionniste. "À son contact, Mary Cassatt va d'ailleurs développer des idées féministes", indique Guy Vadepied.

Les années 1890 sont déterminantes dans le parcours de l'artiste américaine. Avec le marchand d'art Paul Durand-Ruel, elle devient conseil de riches mécènes américains, désireux d'investir dans cette nouvelle vague de l'impressionnisme. "Mais ce n'est qu'à partir de 1904 que son œuvre à elle se révèle au public, dans son pays d'origine. Et cette même année, elle reçoit la Légion d'honneur des mains de son ami Georges Clémenceau, le futur président du Conseil, pendant la Grande Guerre".

Enfin, après plusieurs séjours dans l'Oise, sur les conseils de son ami, le peintre Camille Pissarro, Mary Cassatt finit par acquérir le château de Beaufresne au Mesnil-Théribus, modeste village de quelques centaines d'âmes. Nous sommes en 1894 et plus jamais elle ne quittera ce territoire campagnard où elle vient se ressourcer et travailler.

Début de 32 années d'attachement à ce petit bout de Picardie et à ses habitants

Mary Cassatt va vivre 32 années durant en son château de Beaufresne, de 1894 à 1926. Elle fait aménager son nouveau lieu de villégiature estival aux normes du confort moderne : eau courante, chauffage central, salle de bains. Et aménage le parc avec potager, rosiers et arbres fruitiers. Elle y reçoit sa famille, ses amis, français et américains.

"Au début, les gens du pays sont étonnés par cette riche étrangère qui s'est attaché les services d'une dame de compagnie et d'un chauffeur. Ils la surnomment 'Miss Cassatt' et la trouvent un peu hautaine, distante, précise Guy Vadepied. Mais peu à peu, elle épouse totalement la cause de ce village picard".

"Celle qui fréquente les hommes les plus riches de son temps, les Rockfeller, Morgan, Carnegie ou Vanderbilt, va s'attacher au sort de Mesnil-Théribus. Elle finance la première école et la première institutrice du village, veille à offrir un jouet de Noël à chaque enfant. Bref, elle devient la bienfaitrice des habitants".

D'ailleurs, Mary Cassatt s'inspire des femmes et des enfants de ce petit pays pour en faire les sujets de ses œuvres. "Reine Lefèvre, une habitante de Méru, fut son modèle préféré", ajoute Guy Vadepied.

Son affection, pour les habitants du pays, est indéfectible. "En 1909, alors qu'éclate la grève des boutonniers, 99 jours d'un conflit très dur, qui a embrasé la région de Méru, où l'on travaillait la nacre, Mary Cassatt apporte son soutien plein et entier aux tabletiers et aux boutonniers".

La gloire et le déclin physique

À la fin des années 1890, Mary Cassatt se lie d'amitié avec un couple de mécènes américains, les Havemeyer, dont l'épouse, Louisine, devient une amie très proche. "Les deux femmes jouent un rôle déterminant dans la promotion de l'impressionnisme aux États-Unis", explique Guy Vadepied. En 1915, Louisine organise une grande exposition des œuvres que son amie lui a conseillé d'acquérir, au profit des suffragettes, un mouvement que toutes deux soutiennent ardemment. La plus grande partie de cette inestimable collection se trouve aujourd'hui au Metropolitan Museum of Art de New York, témoignage définitif du goût très sûr de Mary Cassatt pour les maîtres français de l'impressionnisme.

"Elle-même, vendait très bien ses toiles, nous dit encore Guy Vadepied. Elle était couverte de distinctions outre-Atlantique et faisait l'objet de nombreuses expositions. On peut dire qu'elle a connu la gloire de son vivant".

Mais Mary Cassatt est atteinte de diabète et elle perd peu à peu la vue. Elle cesse de peindre en 1914 et devient définitivement aveugle en 1921. Elle décède le 14 juin 1926. "La veille de sa mort, elle est à Paris, raconte Guy Vadepied. Sentant ses forces décliner, elle demande alors à regagner son château de Mesnil-Théribus, où elle s'éteindra à l'âge de 82 ans. À la fin de sa vie, son humeur est affectée par les deuils successifs qu'elle a connus. Elle a perdu trois de ses frères et sœurs et ses deux parents".

Le jour de son enterrement, dans le cimetière Saint-Louis, à Mesnil-Théribus, tout le village est rassemblé pour rendre un dernier hommage à celle qui avait choisi d'être inhumée en terre picarde, aux côtés de ses proches, ses frères et sœurs, et ses parents, dans le même caveau.

"J'ai éprouvé un immense plaisir à raconter l'histoire de cette femme hors normes, qui laisse une œuvre considérable, énorme, conclut Guy Vadepied. Ce qui m'a marqué, ce que je retiens, c'est son indépendance, sa passion, son amour absolu de la peinture, qui a guidé tous ses choix."

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information