Manif devant l'Assemblée nationale, pétitions, rameutage de la presse, à Bercy on est proche de l'overdose concernant les frontaliers. Le ministère de l'Economie, qui a préparé le "basculement" de ces travailleurs français de Suisse vers la Sécu, s'estime assez "mal payé en retour".
Normalement, c'est le ministère des Affaires sociales qui aurait dû plancher sur la fin du droit d'option mais, très occupé par la réforme des retraites, c'est Bercy qui a récupéré le dossier. Une solution pas si incongrue que cela. La fin de ce régime, qui permettait aux frontaliers de choisir entre une assurance privée et Sécu pour leur couverture santé, concerne aussi les finances de la France, du moins le financement de la sécurité sociale.
Pierre Moscovici a donc pris la réflexion pour son compte et "mal lui en a pris", commente l'un de ses conseillers, "il est élu d'un département, le Doubs, directement concerné par les questions frontalières, il a plus à y perdre qu'à y gagner!". Et effectivement, le ministre perd du terrain à l'heure de la mobilisation des frontaliers et des élus UMP qui les soutiennent dans ce combat. "Pourtant, on a tout fait pour limiter la casse", ajoute ce conseiller, "et ce qui est énervant c'est de voir des députés UMP le reconnaître dans notre bureau et lever les troupes ensuite contre ce projet!". Alors, après avoir écouté longuement les frontaliers et les élus, nous avons décidé de tendre un peu l'oreille à la défense du ministère.
Pour le ministère, le régime ne peut plus être prolongé
Ce que demandent les frontaliers, c'est un prolongement de la loi qui leur permettait de choisir leur couverture santé. Cette loi faisait suite aux accords de 1999 entre l'Union Européenne et la Suisse. Chacun savait que ce droit d'option, après une première prolongation, avait un début et une fin: le 1er juin 2014. Le prolonger supposerait de prendre une mesure législative dans la loi de financement de la sécurité sociale 2014. "Nous y avons pensé", explique Bercy, "mais nous avons redouté le recours habituel de l'opposition au Conseil constitutionnel. La prolongation aurait sûrement été jugée inconstitutionnelle et le Conseil nous aurait même rappelé à l'ordre pour cause de rupture d'égalité entre les Français. Pire, dès lors qu’il se serait saisi de la question des frontaliers, il se serait vraisemblablement penché sur une autre dérogation inconstitutionnelle: l'exonération de CSG dont bénéficient les frontaliers."
Et alors?, se demande naïvement le journaliste. "La prolongation censurée, le basculement des frontaliers vers la Sécu se serait fait automatiquement à des taux proches de 15 à 20%", brandit-on à Bercy. D'un autre côté, on ne saura jamais si le Conseil constitutionnel aurait ainsi réagi mais en regardant l'actualité corse récente et la suppression des arrêtés Miot qui offraient un régime favorable aux îliens, on peut imaginer sa position!
Les cotisations des travailleurs frontaliers vont-elles exploser?
Pour basculer vers la Sécu, les frontaliers devront cotiser à hauteur de 6% de leurs revenus la première année, puis, à hauteur de 8%. "A 6%, près d'un frontalier sur deux verra sa cotisation rester stable ou diminuer. A 8%, cette statistique restera vraie pour près de 30% des frontaliers", justifie Bercy.
Petit calcul pour vérifier, prenons le cas d'un célibataire de 40 ans, qui a pour revenus un salaire de 3000 euros net par mois en Suisse. Aujourd’hui, sa cotisation auprès d'une mutuelle privée est de 115,75 euros par mois. Après la réforme, sa cotisation sera de 115 euros par mois la première année et de 154 euros par mois à 8% (calcul effectué sur le site internet du Groupement des frontaliers).
Les frontaliers seront-ils moins couverts par l'Assurance maladie française que par leur assurance privée?
Selon le gouvernement, la couverture de base proposée par les mutuelles frontalières correspond à celle de la sécurité sociale. Il faut l'avouer certains frontaliers bénéficient aujourd'hui de couverture plus large contre un surcoût. De la même manière, s'ils veulent une couverture plus large que celle de la Sécu, ils devront alors payer pour une complémentaire santé.
Les frontaliers pourront-ils toujours se soigner en Suisse?
Les zones frontalières ne sont pas les secteurs les plus équipés en hôpitaux notamment, les frontaliers ont donc peur de ne plus pouvoir bénéficier de soins en Suisse. "Le gouvernement s'est engagé, par la voix du ministre de l'Economie et des Finances, à ce que la continuité des soins en Suisse soit assurée, au moins pour une période transitoire suffisamment longue pour gérer les cas les plus graves", assure-t-on à Bercy.
Un point qui mérite éclaircissement pour le Groupement transfrontalier, le défenseur des intérêts de ces travailleurs français en Suisse. Il faudra malheureusement attendre le décret et les circulaires des Affaires sociales pour en savoir plus. D'ici là, la mobilisation devrait continuer et à Bercy on devrait continuer à s'en agacer.